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M. Courtois comprit toute l’importance de ces traces.

– Que personne n’avance, dit-il.

Et, suivi seul du juge de paix, il s’approcha du corps.

Bien qu’on ne pût distinguer le visage, le maire et le juge reconnurent la comtesse. Tous deux lui avaient vu cette robe grise ornée de passementeries bleues.

Maintenant comment se trouvait-elle là?

Le maire supposa qu’ayant réussi à s’échapper des mains des meurtriers, elle avait fui éperdue. On l’avait poursuivie, on l’avait atteinte là, on lui avait porté les derniers coups, et elle était tombée pour ne plus se relever.

Cette version expliquait les traces de la lutte. Ce serait alors le cadavre du comte que les assassins auraient traîné à travers la pelouse.

M. Courtois parlait avec animation, cherchant à faire pénétrer ses impressions dans l’esprit du juge de paix. Mais le père Plantat écoutait à peine, on eût pu le croire à cent lieues du Valfeuillu, il ne répondait que par monosyllabes: oui, non, peut-être.

Et le brave maire se donnait une peine infinie: il allait, venait, prenait des mesures, inspectait minutieusement le terrain.

Il n’y avait pas à cet endroit plus d’un pied d’eau.

Un banc de vase, sur lequel poussaient des touffes de glaïeuls et quelques maigres nénuphars, allait en pente douce, du bord au milieu de la rivière. L’eau était claire, le courant nul; on voyait fort bien la vase lisse et luisante.

M. Courtois en était là de ses investigations lorsqu’il parut frappé d’une idée subite.

– La Ripaille, s’écria-t-il, approchez.

Le vieux maraudeur obéit.

– Vous dites donc, interrogea le maire, que c’est de votre bateau que vous avez aperçu le corps?

– Oui, monsieur le maire.

– Où est-il, votre bateau?

– Là, amarré à la prairie.

– Eh bien, conduisez-nous y.

Pour tous les assistants, il fut visible que cet ordre impressionnait vivement le bonhomme. Il tressaillit et pâlit sous l’épaisse couche de hâle déposée sur ses joues par la pluie et le soleil. Même, on le surprit jetant à son fils un regard qui parut menaçant.

– Marchons, répondit-il enfin.

On allait regagner la maison, lorsque le valet de chambre proposa de franchir la douve.

– Ce sera bien plus vite fait, dit-il, je cours chercher une échelle, que nous mettrons en travers.

Il partit, et une minute après reparut avec sa passerelle improvisée. Mais au moment où il allait la placer:

– Arrêtez, lui cria le maire, arrêtez!…

Les empreintes laissées par les Bertaud sur les deux côtés du fossé venaient de lui sauter aux yeux.

– Qu’est ceci? dit-il; évidemment on a passé par là, et il n’y a pas longtemps, ces traces de pas sont toutes fraîches.

Et, après un examen de quelques minutes, il ordonna de placer l’échelle plus loin. Lorsqu’on fut arrivé près du bateau:

– C’est bien là, demanda le maire à La Ripaille, l’embarcation avec laquelle vous êtes allés relever vos nasses ce matin?

– Oui, monsieur.

– Alors, reprit M. Courtois, de quels ustensiles vous êtes-vous servis? Votre épervier est parfaitement sec; cette gaffe et ces rames n’ont pas été mouillées depuis plus de vingt-quatre heures.

Le trouble du père et du fils devenait de plus en plus manifeste.

– Persistez-vous dans vos dires, Bertaud?, insista le maire.

– Et vous Philippe?

– Monsieur, balbutia le jeune homme, nous avons dit la vérité.

– Vraiment! reprit M. Courtois d’un ton ironique; alors vous expliquerez à qui de droit comment vous avez pu voir quelque chose d’un bateau sur lequel vous n’êtes pas montés. Ah! dame! on ne pense pas à tout. On vous prouvera aussi que le corps est placé de telle façon qu’il est impossible, vous m’entendez, absolument impossible de l’apercevoir du milieu de la rivière. Puis, vous aurez à dire encore quelles sont ces traces que je relève, là sur l’herbe, et qui vont de votre bateau à l’endroit où le fossé a été franchi à plusieurs reprises et par plusieurs personnes.

Les deux Bertaud baissaient la tête.

– Brigadier, ordonna monsieur le maire, au nom de la loi, arrêtez ces deux hommes et empêchez toute communication entre eux.

Philippe semblait près de se trouver mal. Pour le vieux La Ripaille, il se contenta de hausser les épaules et de dire à son fils:

– Hein! tu l’as voulu, n’est-ce pas?

Puis, pendant que le brigadier emmenait les deux maraudeurs qu’il enferma séparément et sous la garde de ses hommes, le juge de paix et le maire rentraient dans le parc.

– Avec tout cela, murmurait M. Courtois, pas de traces du comte!…

Il s’agissait de relever le cadavre de la comtesse.

Le maire envoya chercher deux planches qu’on déposa à terre avec mille précautions, et ainsi on put agir sans risquer d’effacer des empreintes précieuses pour l’instruction.

Hélas! était-ce bien là celle qui avait été la belle, la charmante comtesse de Trémorel! Étaient-ce là ce frais visage riant, ces beaux yeux parlants, cette bouche fine et spirituelle.

Rien, il ne restait rien d’elle. La face tuméfiée, souillée de boue et de sang n’était plus qu’une plaie; une partie de la peau du front avait été enlevée avec une poignée de cheveux. Les vêtements étaient en lambeaux.

Une ivresse furieuse affolait certainement les monstres qui avaient tué la pauvre femme! Elle avait reçu plus de vingt coups de couteau, elle avait dû être frappée avec un bâton ou plutôt avec un marteau, on l’avait foulée aux pieds, traînée par les cheveux!…

Dans sa main gauche crispée était un lambeau de drap commun, grisâtre, arraché probablement au vêtement d’un des assassins.

Tout en procédant à ces lugubres constatations et en prenant des notes pour son procès-verbal, le pauvre maire sentait si bien ses jambes fléchir qu’il était forcé de s’appuyer sur l’impassible père Plantat.

– Portons la comtesse à la maison, ordonna le juge de paix, nous verrons ensuite à chercher le cadavre du comte.

Le valet de chambre, et le brigadier qui était revenu, durent réclamer l’assistance des domestiques restés dans la cour. Du même coup les femmes se précipitèrent dans le jardin.

Ce fut alors un concert terrible de cris, de pleurs et d’imprécations.

– Les misérables! Une si brave femme! Une si bonne maîtresse!

M. et Mme de Trémorel étaient, on le vit bien en cette occasion, adorés de leurs gens.

On venait de déposer le corps de la comtesse au rez-de-chaussée, sur le billard, lorsqu’on annonça au maire l’arrivée du juge d’instruction et d’un médecin.

– Enfin! murmura le bon M. Courtois.

Et plus bas il ajouta:

– Les plus belles médailles ont leur revers.

Pour la première fois de sa vie, il venait sérieusement de maudire son ambition et de regretter d’être le plus important personnage d’Orcival.