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Ah! Sauvresy lui avait tendu la main quand il se noyait! Sauvresy le recueillait après l’avoir sauvé, il lui ouvrait son cœur, sa maison et sa bourse, en ce moment même, il s’épuisait en efforts pour lui reconstituer une fortune. Les hommes de la trempe du comte de Trémorel ne peuvent recevoir que comme des outrages tant et de si grands services.

Est-ce que son séjour au Valfeuillu n’était pas une souffrance continuelle? Est-ce que du matin au soir son amour-propre n’était pas à la torture? Il pouvait compter les jours par humiliations. Quoi! il lui fallait subir, sinon reconnaître, la supériorité d’un homme qu’il avait traité en inférieur!

«D’ailleurs, pensait-il, jugeant sur le sien le cœur de son ami, n’est-ce pas uniquement par orgueil, par ostentation, qu’il se conduit si bien en apparence avec moi? Que suis-je à son château sinon le vivant témoignage de sa munificence, de sa générosité et de son dévouement? Il semble ne plus vivre que pour moi: Trémorel par ci, Trémorel par là! Il triomphe de ma défaite, il se pare de ma ruine, il s’en fait une gloire et un titre à l’admiration publique.»

Décidément, il ne pouvait pardonner à son ami d’être si riche, si heureux, si estimé, d’avoir su régler sa vie, tandis que lui, à trente ans, il avait gaspillé la sienne.

Et il ne saisirait pas l’occasion qui se présentait de se venger de tant de bienfaits qui l’accablaient? Oh! si!

«En définitive, se disait-il, essayant d’imposer silence aux sourds murmures de sa conscience, suis-je allé la chercher, sa femme? Elle vient à moi de son plein gré, d’elle-même, sans la moindre tentative de séduction; la repousser serait une duperie.»

L’envie a d’irrésistibles arguments. La détermination d’Hector était irrévocable lorsqu’il entra au Valfeuillu.

Il ne partit pas.

Et il n’avait cependant ni l’excuse de la passion, ni l’excuse de l’entraînement, il n’aimait pas, il n’aima jamais la femme de son ami, et son infamie fut réfléchie, raisonnée, froidement préméditée. Mais entre elle et lui, une chaîne se riva, plus solide que les liens fragiles de l’adultère: leur haine commune pour Sauvresy.

Ils lui devaient trop, l’un et l’autre. Sa main les avait retenus au bord du cloaque où ils allaient rouler. Car Hector ne se serait pas brûlé la cervelle, car Berthe n’aurait pas trouvé de mari. Fatalement ils en seraient arrivés, lui, à traîner en compagnie de chevaliers d’industrie un grand nom déshonoré; elle, à étaler sur les chaises du boulevard une beauté flétrie.

Les heures de leurs premiers rendez-vous se consumèrent en paroles de colère, bien plutôt qu’en propos d’amour. Ils sentaient trop profondément, trop cruellement l’ignominie de leur conduite, pour ne pas chercher à se rassurer contre leurs remords.

Ils s’efforçaient de se prouver mutuellement que Sauvresy était ridicule et odieux. Comme s’ils eussent été absous par ses ridicules – en admettant qu’il en eût.

Si, en effet, notre monde est horrible à ce point que la confiance y soit une sottise, il fut un sot, cet homme de cœur qu’on trompait sous ses yeux, dans sa maison. Il fut un sot, car il avait foi en sa femme et en son ami.

Il ne se doutait de rien, et tous les jours il se félicitait d’avoir réussi à retenir Trémorel, à le fixer. À tout venant, il répétait sa fameuse phrase:

– Je suis trop heureux!

Berthe, il est vrai, dépensait pour entretenir ses riantes illusions des trésors de duplicité.

Elle, si souvent capricieuse autrefois, nerveuse, volontaire, elle devint peu à peu soumise jusqu’à l’abnégation et d’une angélique douceur.

De son mari dépendait l’avenir de sa liaison, et rien ne lui coûtait pour empêcher le plus léger soupçon d’effleurer sa naïve sécurité. Elle payait l’horrible tribut des femmes adultères, réduites par la peur, par leurs anxiétés de tous les instants, aux feintes les plus honteuses et les plus déshonorantes de la passion.

Telle fut d’ailleurs leur prudence que, chose rare, personne, dans leur entourage, ne se douta jamais de rien.

Et cependant, Berthe n’était pas heureuse.

Cet amour ne lui donnait rien des joies célestes qu’elle en avait attendues. Elle espérait être emportée dans les nuages, et elle restait à terre, se heurtant à toutes les misérables vulgarités d’une vie de transes et de mensonges.

Peut-être s’aperçut-elle, que pour Hector elle était surtout une vengeance, qu’en elle il aimait surtout la femme enlevée à un ami lâchement envié.

Et pour comble, elle était jalouse!

Après plusieurs mois, elle n’avait pu obtenir de Trémorel qu’il rompît avec miss Fancy. Toutes les fois qu’elle se résignait à aborder cette question si humiliante pour elle, il avait la même réponse, prudente et sensée peut-être, mais à coup sûr injurieuse et irritante:

– Songez, je vous prie, Berthe, répondait-il, que miss Fancy est notre sécurité.

Le fait est, cependant, qu’il songeait aux moyens de se débarrasser de Jenny. L’entreprise présentait des difficultés. Tombée dans une misère relative, la pauvre fille devenait plus tenace que le lierre et désespérément se cramponnait à Hector.

Elle lui faisait souvent des scènes, prétendant qu’il n’était plus le même, qu’il changeait; et elle était triste, elle pleurait, elle avait les yeux rouges.

Un soir, dans un accès de colère, après avoir attendu en vain son amant une partie de la journée, elle lui avait fait des menaces singulières.

– Tu as une autre maîtresse, lui avait-elle dit, je le sais, j’en ai la preuve. Prends garde! Si jamais tu me quittais, c’est sur elle que tomberait ma colère, et crois que je ne ménagerais rien.

Le comte de Trémorel eut le tort de n’attacher aucune importance aux propos de miss Fancy. Cependant ils hâtèrent la séparation.

«Elle devient insupportable, pensait-il, et si un jour je ne venais pas, elle serait capable de me relancer jusqu’au Valfeuillu et d’y faire un scandale affreux.»

C’est pourquoi, les plaintes et les larmes de Berthe aidant, il s’arma de courage et partit pour Corbeil, résolu à rompre à tout prix. Il prit, pour annoncer ses intentions, toutes les précautions imaginables, cherchant de bonnes raisons, des prétextes plausibles.

– Il faut être sage, vois-tu, Jenny, disait-il, et pour un temps cesser de nous voir. Je suis ruiné, tu le sais, un mariage seul peut me sauver.

Hector s’était préparé à une explosion terrible de fureur, à des cris perçants à des attaques de nerfs, à des évanouissements. Rien. À sa grande stupéfaction, miss Fancy ne répondit pas un seul mot.

Seulement, elle devint plus blanche que sa collerette, ses lèvres d’ordinaire si rouges blêmirent, ses grands yeux s’injectèrent, non de sang, mais de bile.

– Ainsi, fit-elle, les dents serrées par sa colère contenue, ainsi tu te maries!

– Il le faut bien, hélas! répondit-il, avec un soupir hypocrite, songe que dans ces derniers temps je n’ai pu t’être utile qu’en empruntant de l’argent à mon ami; sa bourse ne sera pas éternellement à ma disposition.

Miss Fancy prit les mains d’Hector et l’attira au jour, près de la fenêtre. Là, le fixant, comme si l’obstination de son regard eût pu faire tressaillir la vérité en lui, elle lui dit lentement, en scandant ses mots: