Выбрать главу

– C’est bien vrai, n’est-ce pas, si tu m’abandonnes, c’est pour te marier?

Hector dégagea une de ses mains pour l’appuyer sur son cœur.

– Je te le jure sur mon honneur, affirma-t-il.

– Alors, je dois te croire.

Jenny était revenue au milieu de la chambre. Debout, devant la glace, elle remettait son chapeau, disposant gracieusement les brides, tranquillement, comme si rien ne s’était passé.

Quand elle fut prête à sortir, elle revint à Trémoreclass="underline"

– Une dernière fois, demanda-t-elle d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre ferme et que démentaient ses yeux brillants d’une larme près de rouler, une dernière fois, Hector, c’est bien fini?

– Il le faut.

Fancy eut un geste que Trémorel ne vit pas, sa figure prit une expression méchante, ses lèvres s’entrouvrirent pour quelque réponse ironique, mais elle se ravisa presque aussitôt.

– Je pars, Hector, dit-elle, après un moment de réflexion. Si c’est vraiment pour te marier que tu me quittes, jamais tu n’entendras parler de moi.

– Eh! mon enfant, j’espère bien que je resterai ton ami.

– Bien! bien! Si au contraire, comme je le crois, c’est pour une autre maîtresse que tu m’abandonnes, rappelle-toi ce que je te dis. Tu es un homme mort, et elle est une femme perdue.

Elle ouvrait la porte, il voulut lui prendre la main, elle le repoussa.

– Adieu!

Hector courut à la fenêtre pour s’assurer de son départ. Oui, elle se résignait, elle remontait l’avenue qui conduit à la gare.

«Allons, se dit-il, ç’a été dur, mais moins que je ne croyais. Vraiment, Jenny était une bonne fille.»

16

Lorsqu’il parlait à miss Fancy d’un mariage conclu, le comte de Trémorel ne mentait qu’à demi. Il était, en effet, question pour lui d’un mariage, et si les choses n’étaient pas aussi avancées qu’il lui plaisait de le dire, au moins les préliminaires faisaient-ils prévoir une prompte et favorable issue.

L’idée venait de Sauvresy, plus que jamais désireux de compléter son œuvre de sauvetage et de restauration.

Un soir, il y avait de cela un peu plus d’un mois, il avait, après le dîner, entraîné Trémorel dans son cabinet.

– Accorde-moi, lui avait-il dit, un quart d’heure d’attention, et, surtout, ne me réponds pas à l’étourdie; les propositions que je vais te faire méritent les plus sérieuses réflexions.

– Va! je sais être sérieux quand il le faut.

– Commençons donc par la liquidation. Elle n’est pas terminée encore, mais elle est assez avancée pour qu’on puisse prédire les résultats. J’ai, dès aujourd’hui, la certitude qu’il te restera de trois à quatre cent mille francs.

Jamais, en ses rêves les plus optimistes, Hector n’avait osé espérer un tel succès.

– Mais je vais être riche, s’écria-t-il joyeusement.

– Riche, non, mais bien au-dessus du besoin. Et maintenant il est, je crois, un moyen de reconquérir la position que tu as perdue.

– Un moyen! Lequel! bon Dieu!

Sauvresy fut un moment à répondre, il cherchait les yeux de son ami pour se rendre bien compte de l’impression que sa proposition allait produire.

– Il faut te marier, dit-il enfin.

L’ouverture parut surprendre Trémorel, mais non désagréablement.

– Me marier! répondit-il, le conseil est plus aisé à donner qu’à suivre.

– Pardon, tu devrais savoir que je ne parle jamais à la légère. Que dirais-tu d’une jeune fille appartenant à une famille honorable, jeune, jolie, bien élevée, si charmante qu’après ma femme je n’en connais pas de plus charmante, et qui t’apporterait un million de dot?

– Ah! mon ami, je dirais que je l’adore. Et tu connais cet ange?

– Oui, et toi aussi, car l’ange est Mlle Laurence Courtois.

À ce nom, la figure radieuse d’Hector s’assombrit, et il eut un geste de découragement.

– Jamais! répondit-il, jamais M. Courtois, cet ancien négociant, positif comme un chiffre, ce fils de ses œuvres, pour parler comme lui, ne consentira à donner sa fille à un homme assez fou pour avoir gaspillé sa fortune.

Le châtelain du Valfeuillu haussa les épaules.

– Voilà bien, répliqua-t-il, l’homme qui a des yeux pour ne pas voir. Sache donc que ce Courtois, que tu dis si positif, est tout bonnement le plus romanesque des hommes, comme un ambitieux qu’il est. Donner sa fille au comte Hector de Trémorel, le cousin du duc de Samblemeuse, l’allié des Commarin-d’Arlange, lui semblerait une spéculation superbe, alors même que tu n’aurais pas le sou. Que ne ferait-il pas pour se procurer cette rare et délicate jouissance de pouvoir dire à pleine bouche: «Monsieur le comte mon gendre!» ou «Ma fille, madame la comtesse Hector! Et tu n’es plus ruiné, tu as ou tu vas avoir vingt mille francs de rentes qui, ajoutés à deux livres de parchemins que tu possèdes, valent bien un million.

Hector se taisait. Il avait cru sa vie finie, et voilà que tout à coup de magnifiques perspectives se déroulaient devant lui. Il allait donc pouvoir se dérober à l’humiliante tutelle de son ami! Il serait libre; riche, il aurait une femme supérieure – à son avis – à Berthe; son train de maison écraserait celui de Sauvresy.

Car l’image de Berthe traversa son esprit, et il songea qu’ainsi il échappait à cette maîtresse si belle, si aimante, mais altière, mais envahissante, dont les exigences et la domination commençaient à lui peser.

– Je t’affirme, répondit-il sérieusement à son ami, que j’ai toujours considéré M. Courtois comme un homme excellent et des plus honorables, et Mlle Laurence me paraît une de ces personnes accomplies qu’on serait encore heureux d’épouser sans dot.

– Tant mieux, mon cher Hector, tant mieux, car il est, à ce mariage, une condition que je te crois, d’ailleurs, fort capable de remplir. Avant tout, il faut plaire à Laurence. Son père l’adore, et il ne la donnerait pas, j’en suis sûr, à un homme qu’elle n’aurait pas choisi.

– Sois tranquille, répondit Hector avec un geste triomphant, elle m’aimera.

Et, dès le lendemain, en effet, il prit ses mesures pour rencontrer M. Courtois, qui l’emmena visiter des poulains qu’il venait d’acheter et qui finit par l’inviter à dîner.

Pour Laurence, le comte de Trémorel déploya toutes ses séductions, superficielles, il est vrai et de mauvais aloi, mais si brillantes, si habiles, qu’elles devaient surprendre, éblouir et charmer une jeune fille.

Bientôt, dans la maison du maire d’Orcival, on ne jura plus que par ce cher comte de Trémorel.

Il n’y avait rien encore d’officiel, il n’y avait eu ni une ouverture, ni une démarche, ni même une allusion, et pourtant M. Courtois comptait bien qu’Hector, un de ces jours, lui demanderait la main de sa fille, et il se réjouissait d’autant plus de répondre: oui, qu’il pensait bien que Laurence ne dirait pas: non.

Et Berthe ne se doutait de rien. Berthe, lorsqu’un danger si grand menaçait, ce qu’elle appelait «son bonheur», en était encore à s’inquiéter de miss Jenny Fancy.