Il avait peur et horreur de Berthe, comme d’un reptile, comme d’un monstre. Si parfois ils se trouvaient seuls et qu’elle l’embrassât, il frissonnait de la tête aux pieds. Elle était si calme, si avenante, si naturelle; sa voix avait si bien les mêmes inflexions molles et caressantes, qu’il n’en revenait pas. C’était sans s’interrompre de causer qu’elle glissait son épingle à cheveux dans le flacon bleu, et il ne surprenait en elle, lui qui l’étudiait, ni un tressaillement, ni un frémissement, ni même un battement de paupières. Il fallait qu’elle fût de bronze.
Cependant il trouvait qu’elle ne prenait pas assez de précautions, elle pouvait être découverte, surprise. Il lui dit ses frayeurs, et combien elle le faisait frémir à tout moment.
– Ayez donc confiance en moi, répondit-elle; je veux réussir, je suis prudente.
– On peut avoir des soupçons?
– Qui?
– Eh! le sais-je? tout le monde, les domestiques, le médecin.
– Il n’y a nul danger? Et quand même!…
– On chercherait, Berthe, y songez-vous? On descendrait aux plus minutieuses investigations.
Elle eut un sourire où éclatait la plus magnifique certitude.
– On peut chercher, reprit-elle, examiner, expérimenter, on ne retrouvera rien. Vous imagineriez-vous que j’emploie niaisement l’arsenic?
– De grâce, taisez-vous!…
– J’ai su me procurer un de ces poisons inconnus encore, qui défient toutes les analyses; un de ces poisons dont bien des médecins, à cette heure, et je parle des vrais, des savants, ne sauraient seulement pas dire les symptômes.
– Mais où avez-vous pris… Il s’arrêta net devant ce mot: poison; il n’osait le prononcer.
– Qui vous a donné cela? reprit-il.
– Que vous importe! J’ai su prendre de telles précautions que celui qui me l’a donné court les mêmes dangers que moi, et il le sait. Donc, rien à craindre de ce côté. Je l’ai payé assez cher pour qu’il n’ait jamais l’ombre d’un regret.
Une objection abominable lui vint sur les lèvres. Il avait envie de dire: «C’est bien lent!» Il n’eut pas ce courage, mais elle lut sa pensée dans ses yeux.
– C’est bien lent parce que cela me convient ainsi, dit-elle. Avant tout, il faut que je sache à quoi m’en tenir au sujet du testament, et j’y travaille.
Elle ne s’occupait que de cela, en effet, et pendant les longues heures qu’elle passait près du lit de Sauvresy, peu à peu, avec des nuances insaisissables à force de délicatesse, avec les plus infinies précautions, elle amenait la pensée défiante du malade à ses dispositions dernières.
Si bien que lui-même il aborda ce sujet d’un si poignant intérêt pour Berthe.
Il ne comprenait pas, disait-il, qu’on n’eût pas toujours ses affaires en ordre, et ses volontés suprêmes écrites, en cas de malheur. Qu’importe qu’on soit bien portant ou malade?
Aux premiers mots, Berthe essaya de l’arrêter. De telles idées lui faisaient, gémissait-elle, trop de peine.
Même, elle pleurait des larmes très réelles, qui glissaient, brillantes comme des diamants, le long de ses joues et la rendaient plus belle et plus irrésistible, des larmes vraies, qui mouillaient son mouchoir de fine batiste.
– Folle, lui disait Sauvresy, chère folle, crois-tu donc que cela fait mourir?
– Non, mais je ne veux pas.
– Laisse donc. Avons-nous été moins heureux parce que le lendemain de mon mariage j’ai fait un testament qui te donne toute ma fortune? Et, tiens, tu dois en avoir une copie; si tu étais complaisante, tu irais me la chercher.
Elle devint toute rouge, puis fort pâle. Pourquoi demandait-il cette copie? Voulait-il la déchirer? Une rapide réflexion la rassura. On ne déchire pas une pièce que d’un mot sur une autre feuille de papier on peut anéantir.
Cependant, elle se défendit un peu.
– J’ignore où est cette copie.
– Je le sais, moi. Elle est dans le tiroir à gauche de l’armoire à glace: Va, tu me feras bien plaisir.
Et pendant qu’elle était sortie:
– Pauvre femme, dit Sauvresy à Hector, pauvre Berthe adorée, si je mourais, elle ne me survivrait pas.
Trémorel ne trouvait rien à répondre, son anxiété était inexprimable et visible.
«Et cet homme-là se douterait de quelque chose! pensait-il, non, ce n’est pas possible.»
Berthe rentrait.
– J’ai trouvé, disait-elle.
– Donne.
Il prit cette copie de son testament, et la lut avec une satisfaction évidente, hochant la tête à certains passages où il rappelait son amour pour sa femme.
Quand il eut fini sa lecture:
– Maintenant, demanda-t-il, donnez-moi une plume avec de l’encre.
Hector et Berthe lui firent remarquer qu’écrire allait le fatiguer, mais il fallut le contenter. Placés au pied du lit, hors de la vue de Sauvresy, les deux coupables échangeaient les regards les plus inquiets. Que pouvait-il écrire ainsi? Mais il venait de terminer.
– Prends, dit-il à Trémorel, lis tout haut ce que je viens d’ajouter.
Hector se rendit au désir de son ami, bien que sentant que l’émotion devait faire chevroter sa voix, et il lut:
«Aujourd’hui (le jour et la date), sain d’esprit, bien que souffrant, je déclare n’avoir pas une ligne à changer à ce testament. Jamais je n’ai plus aimé ma femme, jamais je n’ai tant désiré la faire héritière, si je viens à mourir avant elle, de tout ce que je possède.
Clément Sauvresy.»
Si forte était Berthe, si parfaitement et toujours maîtresse de ses impressions, qu’elle parvint à refouler la satisfaction immense qui l’inondait. Tous ses vœux étaient comblés, et pourtant elle parvint à voiler de tristesse l’éclat de ses beaux yeux.
– À quoi bon! fit-elle avec un soupir.
Elle disait cela, mais une demi-heure plus tard, seule avec Trémorel, elle se livrait à tous les enfantillages de la joie la plus folle.
– Plus rien à craindre, disait-elle, plus rien. À nous maintenant la liberté, la fortune, l’ivresse de notre amour, le plaisir, la vie, toute la vie! Trois millions, Hector, nous avons trois millions au moins! Je le tiens donc, ce testament! Désormais il n’entrera plus un homme d’affaires ici. C’est maintenant que je vais me hâter.
Incontestablement, le comte était content de la savoir libre, parce qu’on se défait bien plus facilement d’une veuve millionnaire que d’une pauvre femme sans le sou. L’action de Sauvresy calmait bien des anxiétés aiguës.
Cependant, cette expansion de gaieté pareille à un éclat de rire, cette inaltérable sécurité lui semblèrent monstrueuses. Il eût souhaité plus de solennité dans le crime, quelque chose de grave et de recueilli. Il jugea qu’il devait au moins calmer ce délire.
– Vous penserez plus d’une fois à Sauvresy, fit-il d’une voix sombre.
Elle fit une roulade: prrr, et vivement répondit: