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Afin que la lumière de la lampe ne gênât pas le malade, on avait disposé les rideaux de la tête du lit de telle façon que, couché, il ne pouvait voir la cheminée. Pour l’apercevoir, il lui fallait se hausser sur ses oreillers et se pencher en s’appuyant sur le bras droit.

Mais il dormait, d’un sommeil pénible, fiévreux, agité de frissons convulsifs. Sa respiration pressée et sifflante soulevait la couverture à intervalles égaux.

Berthe et Trémorel n’échangeaient plus une parole. Le silence morne, sinistre, n’était troublé que par le tic-tac de la pendule, ou par le froissement des feuillets du livre que lisait Hector.

Dix heures sonnèrent.

Peu après, Sauvresy fit un mouvement, il se retournait, il s’éveillait. Légère et attentive comme une épouse dévouée, d’un saut, Berthe, fut près du lit. Son mari avait les yeux ouverts.

– Te sens-tu un peu mieux, mon bon Clément? demanda-t-elle.

– Ni mieux, ni plus mal.

– Souhaites-tu quelque chose?

– J’ai soif.

Hector, qui avait levé les yeux aux premières paroles de son ami, se replongea dans sa lecture.

Debout devant la cheminée, Berthe préparait avec des soins minutieux la dernière potion prescrite par le docteur R… et qui nécessitait certaines précautions.

La potion prête, elle sortit de sa poche la fiole de cristal bleu et y trempa, comme tous les soirs, une de ses épingles à cheveux. Elle n’eut pas le temps de la retirer, on la touchait légèrement à l’épaule.

Un frisson la secoua jusqu’aux talons; brusquement elle se retourna et poussa un cri terrible, un cri d’épouvante et d’horreur:

– Oh!…

Cette main qui l’avait touchée, c’était celle de son mari. Oui, pendant qu’elle était devant la cheminée, dosant le poison, Sauvresy bien doucement s’était soulevé; puis doucement, il avait écarté le rideau, et c’était son bras décharné qui s’allongeait vers elle, c’étaient ses yeux effrayants de haine et de colère qui flamboyaient devant les siens.

Au cri de Berthe, un autre cri sourd, un râle plutôt, avait répondu.

Trémorel avait tout vu, tout compris, il était anéanti.

«Tout est découvert!» Ces trois mots éclataient dans leur intelligence comme des obus. Partout autour d’eux, ils éblouissaient, écrits en lettres de feu. Il y eut un moment d’indicible stupeur, une minute de silence si profond qu’on entendit battre les tempes d’Hector.

Sauvresy était rentré sous ses couvertures. Il riait d’un rire éclatant et lugubre, comme le serait le ricanement d’un squelette dont les mâchoires et les dents s’entrechoqueraient.

Mais Berthe n’était pas de ces créatures qu’un seul coup, si terrible qu’il soit, peut abattre. Elle tremblait plus que la feuille, ses jambes fléchissaient, mais déjà sa pensée s’égarait en subterfuges possibles. Qu’avait vu Sauvresy, avait-il même vu quelque chose? Que savait-il? Et quand il aurait vu le flacon de verre bleu, ces choses-là s’expliquent. Ce pouvait être, ce devait être par un simple effet du hasard que son mari l’avait touchée à l’épaule juste au moment du crime.

Toutes ces pensées ensemble traversèrent son esprit en une seconde, rapides comme l’éclair rayant les ténèbres. Et alors, elle osa, elle eut la force d’oser s’approcher du lit, et de dire avec un sourire affreusement contraint, mais enfin avec un sourire:

– Quelle peur tu viens de me faire!

Il la regarda pendant une seconde qui lui parut durer un siècle, et simplement répondit.

– Je le comprends!

Plus d’incertitude possible. Aux yeux de son mari, Berthe ne vit que trop clairement qu’il savait. Mais quoi? mais jusqu’où? Elle parvint à prendre sur elle de continuer:

– Souffrirais-tu davantage?

– Non.

– Alors, pourquoi t’es-tu levé!

– Pourquoi?…

Il réussit à se hausser sur ses oreillers et avec une force dont on ne l’eût pas cru capable, une minute auparavant, il poursuivit:

– Je me suis levé pour vous dire que c’est assez de tortures comme cela, que j’en suis arrivé aux limites de l’énergie humaine, que je ne saurais endurer un jour de plus ce supplice inouï de me voir, de me sentir mesurer la mort lentement, goutte à goutte, par les mains de ma femme et de mon meilleur ami.

Il s’arrêta. Hector et Berthe étaient foudroyés.

– Je voulais vous dire encore: Assez de ménagements cruels, assez de raffinements, je souffre. Ah! ne voyez-vous pas que je souffre horriblement. Hâtez-vous, abrégez mon agonie. Tuez-moi, mais tuez-moi d’un coup, empoisonneurs!

Sur ce dernier mot: empoisonneurs, le comte de Trémorel se dressa comme s’il eût été mû par un ressort, tout d’une pièce, les yeux hagards, les bras étendus en avant.

Sauvresy, lui, à ce mouvement, glissa rapidement sa main sous les oreillers et en retira un revolver dont il dirigea le canon vers Hector, en criant:

– N’approche pas.

Il avait cru que Trémorel allait se précipiter sur lui, et, puisque le poison était découvert, l’étrangler, l’étouffer.

Il se trompait. Hector se sentait devenir fou. Il retomba comme une masse.

Berthe, plus forte, essayait de se débattre, s’efforçant de secouer les torpeurs de l’épouvante qui l’envahissait.

– Tu es plus mal, mon Clément, disait-elle, c’est encore cette affreuse fièvre qui me fait tant de peur qui te reprend. Le délire…

– Ai-je vraiment le délire? interrompit-il d’un air surpris.

– Hélas! oui, mon bien-aimé, c’est lui qui te hante, qui peuple d’horribles visions ta pauvre tête malade.

Il la regarda curieusement. Réellement, il était stupéfait de cette audace qui croissait avec les circonstances…

– Quoi! ce serait nous qui te sommes si chers, tes amis, moi ta…

L’implacable regard de son mari la força, oui, la força de s’arrêter, les paroles expirèrent sur ses lèvres.

– Assez de mensonges, va, Berthe, reprit Sauvresy, ils sont inutiles. Non, je n’ai pas rêvé, non, je n’ai pas eu le délire. Le poison n’est que trop réel et je pourrais te le nommer sans le retirer de ta poche.

Elle recula épouvantée comme si elle eût vu la main de son mari étendue pour lui arracher le flacon de cristal.

– Je l’ai deviné et reconnu dès le premier moment, car vous avez choisi un de ces poisons qui ne laissent guère de traces, il est vrai, mais dont les indices ne trompent pas. Vous souvient-il du jour où je me suis plaint d’une saveur poivrée? Le lendemain j’étais fixé, et j’ai failli ne pas l’être seul. Le docteur R… a eu un doute.

Berthe voulut balbutier quelques mots. Sauvresy l’interrompit.

– On s’exerce au poison, poursuivait-il, d’un ton d’effrayante ironie, avant de s’en servir. Vous ne connaissez donc pas le vôtre, vous ne savez donc rien de ses effets? Maladroits! Comment! votre poison donne d’intolérables névralgies, des insomnies dont rien ne triomphe, et vous me regardez sottement, sans surprise, dormir des nuits entières. Comment! je me plains d’un feu intérieur dévorant, pendant que votre poison charrie des glaces dans les veines et dans les entrailles, et vous ne vous en étonnez pas! Vous voyez disparaître et changer tous les symptômes, et vous n’êtes pas éclairés. Vous êtes donc fous. Savez-vous ce qu’il m’a fallu faire pour écarter les soupçons du docteur R… J’ai dû taire les souffrances réelles de votre poison, et me plaindre de maux imaginaires, ridicules, absurdes. J’accusais précisément le contraire de ce que j’éprouvais. Vous étiez perdus, je vous ai sauvés.