Allons-y ! dit M. Bouc en se levant.
Puis-je vous accompagner ? demanda Constantine.
Certainement, cher docteur. A moins que M. Poirot n'y voie quelque inconvénient ?
Pas le moindre.
Après un échange de politesse, aucun ne voulant passer le premier pour sortir, tous trois s'éloignèrent du compartiment.
u □
La déposition de l'employé des
wagons-lits.
Dans le wagon-restaurant, tout était prêt pour recevoir ces messieurs.
Poirot et M. Bouc s'assirent l'un à côté de l'autre et, en face d'eux, à la même table, le médecin prit place.
Devant Poirot s'étalait le plan du wagon-lit Constantinople-Calais avec les noms des voyageurs écrits à l'encre rouge ; à côté, les passeports et les billets de chemin de fer formaient un petit tas. On n'avait pas oublié l'encre, le papier, les porte-plume, et les crayons.
Parfait ! déclara Poirot. Ouvrons sans plus tarder notre enquête. Convoquons tout d'abord le conducteur du wagon-lit. Vous connaissez sans doute la moralité de cet homme ? Peut-on se fier à ses dires ?
Oh ! mais oui ! Pierre Michel appartient au service de la Compagnie depuis plus de quinze ans. C'est un Français. il habite près de Calais. Ce n'est peut-être pas un phénix d'intelligence, mais il est foncièrement honnête.
Bon, dit Poirot. Faites-le venir.
Bien qu'ayant recouvré une partie de son sang-froid, Pierre Michel demeurait encore sous le coup de l'émotion.
J'espère que monsieur n'a aucune négligence à me reprocher dans mon service ? demanda-t-il en regardant tour à tour Poirot et M. Bouc. C'est horrible, ce qui vient de se passer, mais j'ose croire que ma responsabilité n'est pas en jeu ?
Ayant calmé les craintes de l'employé, Poirot se mit à l'interroger. Il lui demanda d'abord son nom, son adresse, depuis combien de temps il travaillait à la Compagnie et depuis quand il faisait le trajet Constantinople-Calais. Poirot connaissait déjà tous ces détails, mais cet interrogatoire de pure forme permit au conducteur de se mettre à l'aise.
Arrivons maintenant aux événements de cette nuit. A quelle heure Mr Ratchett s'est-il couché ?
Presque tout de suite après dîner, monsieur, avant que le train quitte la gare de Belgrade. Comme la veille, il m'avait prié de préparer son lit pendant le dîner, ce que je fis.
Quelqu'un a-t-il pénétré ensuite dans son compartiment ?
Son valet de chambre, monsieur, et son secrétaire, le jeune Américain.
Personne d'autre ?
Pas que je sache, monsieur.
Bien. C'est la dernière fois que vous l'avez vu ou entendu ?
Non, monsieur. Vous oubliez qu'il a sonné vers une heure moins vingt. peu après l'arrêt du train.
Que s'est-il passé exactement ?
J'ai frappé à son porte, mais il répondit qu'il avait sonné par erreur.
Il répondit en anglais ou en français ?
En français.
Quels termes a-t-il exactement employés ?
« Ce n'est rien. Je me suis trompé ».
Parfait, dit Poirot. C'est bien ce que j'avais entendu. Après cela, vous êtes parti ?
Oui, monsieur.
Etes-vous retourné vous asseoir sur votre siège ?
Non, monsieur, j'ai d'abord répondu à un autre voyageur qui venait de sonner.
Bien, Michel. Je vais maintenant vous poser une question importante. Où étiez- vous à une heure et quart ?
Moi, monsieur ? J'étais à ma place au fond du couloir.
Vous l'affirmez ?
Mais oui. à moiins.
A moins ?
Ah ! en effet, je suis allé dans l'autre wagon, celui d'Athènes, voir Vivet, mon collègue. Nous avons parlé de la neige. Ce devait être peu après une heure.. Je ne saurais préciser.
Et quand êtes-vous revenu ?
On m'a sonné, monsieur. Je crois vous l'avoir déjà dit. C'était la dame américaine. Elle avait sonné plusieurs fois.
Oui, je me rappelle. Et après ?
Après, monsieur ? J'ai répondu à votre coup de sonnette et vous ai apporté une bouteille d'eau minérale. Puis, environ une demi-heure après, j'ai fait le lit dans le compartiment du jeune Américain. le secrétaire de Mr Ratchett.
Mr MacQueen se trouvait-il seul dans son compartiment quand vous y êtes entré pour préparer le lit ?
Le colonel anglais du numéro 15 était assis avec lui. Ils parlaient ensemble.
Que fit le colonel en quittant Mr MacQueen ?
Il retourna dans on propre compartiment.
Le numéro 15. c'est tout près de votre siège, n'est-ce pas ?
Oui, monsieur, c'est le second compartiment à partir de cette extrémité du couloir.
Son lit était-il déjà préparé ?
Oui, monsieur, je l'avais fait pendant le dîner.
A quelle heure cela se passait-il ?
Je ne puis préciser. Mais certainement pas plus tard que deux heures.
Et ensuite ?
Je demeurai assis dans mon coin jusqu'au matin.
Vous n'êtes pas retourné dans le wagon d'Athènes ?
Non, monsieur.
Vous avez peut-être dormi ?
Je ne crois pas, monsieur. L'immobilité du train m'a empêché de somnoler comme cela arrive souvent.
N'avez-vous vu aucun voyageur aller et venir dans le couloir ?
L'employé réfléchit un instant.
Une des dames s'est rendue à la toilette qui est à l'autre bout du couloir.
Quelle dame ?
Je ne puis le dire au juste, monsieur. C'était à l'extrémité opposée du couloir et cette personne me tournait le dos. Elle portait une robe de chambre rouge avec des dragons.
C'est exact. Et après ?
Rien d'autre ne se produisit, monsieur, jusqu'au matin.
Vous en êtes sûr ?
Ah ! pardon ! Vous-même, monsieur, avez ouvert votre porte et regardé au-dehors l'espace d'une seconde.
Bien, mon ami. Je me demandais si vous vous souveniez de ce menu détail. A propos, j'ai été réveillé par ce qui m'a semblé la chute de quelque objet lourd contre ma porte. Pourriez-vous me dire d'où provenait ce bruit ?
L'homme le regarda fixement.
Il n'y avait rien, monsieur, absolument rien.
En ce cas, j'ai dû être le jouet d'un cauchemar, conclut Poirot négligemment.
A moins, observa M. Bouc, que ce bruit ne se soit produit dans le compartiment voisin du vôtre.
Poirot ne releva point cette suggestion. Peut-être préférait-il s'en abstenir devant le conducteur du wagon-lit.
Passons à un autre sujet. Supposons qu'un assassin soit monté dans le train. Aurait-il pu s'échapper une fois le crime commis ?
Pierre Michel répondit d'un signe de tête négatif.
A-t-il pu se cacher quelque part ?
Renoncez à cette idée, mon cher ami, lui dit M. Bouc. On a fouillé partout.
De plus, ajouta l'employé, nul ne peut entrer dans le wagon-lit ou en sortir sans que je le voie.
Quelle était la dernière gare ?
Vincovci.
Quelle heure était-il alors ?
Normalement, le train devait quitter cette gare à 11h58. Mais, en raison du mauvais temps, nous avions vingt minutes de retard.
Quelqu'un aurait-il pu venir d'un des autres wagons du train ?
Non, monsieur. Après l dîner, la porte de séparation entre les wagons-lits et les autres voitures est fermée à clef.