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Ah !

Les sourcils de la princesse Dragomiroff se rapprochèrent et elle se redressa davantage.

Selon moi, ce crime est providentiel ! Excusez, je vous prie, ma franchise brutale.

Je comprends vos sentiments, madame. Mais revenons à ma question. Vous n'y avez pas encore répondu. Où habite la seconde fille de Linda Arden, la cadette de Mrs Armstrong ?

Je ne saurais vous le dire. J'ai perdu tout contact avec la jeune génération. Il me semble qu'après son mariage avec un Anglais voilà quelques années, elle est allée vivre en Angleterre. Je ne me souviens même plus de son nom.

Elle fit une légère pause, puis :

Désirez-vous me demander autre chose, messieurs ?

Encore ceci, madame. un détail tout à fait personnel : la couleur de votre robe de chambre.

Elle leva les sourcils.

Vous avez sans doute une raison pour vous en informer. Ma robe de chambre est en satin bleu.

Voilà tout, madame. Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre aussi promptement à mes questions.

Elle fit un geste de sa main chargée de bagues, puis se leva. Les trois hommes l'imitèrent aussitôt.

Avant de se diriger vers la porte, elle s'adressa à Poirot :

Excusez-moi, monsieur. Puis-je me permettre de vous demander votre nom ? Votre physionomie me semble familière.

Hercule Poirot. pour vous servir, madame. Après ce court silence, elle prononça :

Hercule Poirot. C'est cela même. J'y suis maintenant. C'est la main du destin. Très droite, un peu raide dans ses mouvements, elle s'éloigna.

Voilà une grande dame ! déclara M. Bouc. Qu'en pensez-vous, mon ami ? Hercule Poirot, l'air songeur, hocha la tête.

Je me demande, dit-il, ce qu'elle entendait par la main du destin ?

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L'interrogatoire du Comte et de la

Comtesse Andrenyi

Le comte et la comtesse Andrenyi furent ensuite convoqués. Cependant, le comte se présenta seul dans le wagon-restaurant.

C'était, à la vérité, un bel homme, large d'épaules, mince de taille et haut de six pieds. Vêtu d'un complet de drap anglais d'une coupe impeccable, il eût pu passer pour un fils d'Albion, n'eussent été la longueur de ses moustaches et ses pommettes légèrement saillantes.

En quoi puis-je vous être utile, messieurs ?

Vous comprendrez, monsieur, lui dit Poirot, qu'après l'événement de cette nuit, mon devoir m'oblige à poser certaines questions à tous les voyageurs.

Assurément. Cela va de soi. Mais je doute que ma femme et moi soyons à même de faire avancer votre enquête. Nous dormions et nous n'avons rien entendu.

Connaissez-vous l'identité de la victime, monsieur ?

Je crois savoir qu'il s'agit du grand Américain. Un homme à la mine antipathique qui, aux repas, prenait la place à cette table.

D'un mouvement de tête il désigna la table où Ratchett et MacQueen s'étaient assis la veille.

C'est bien lui, mais je voulais savoir si vous connaissiez son nom ?

Pas du tout, répondit le comte avec étonnement. Si vous tenez à apprendre comment il s'appelle, consultez son passeport.

Le nom porté sur ledit passeport est Ratchett, mais c'est là un nom d'emprunt. En réalité, le défunt se nomme Cassetti, coupable d'un rapt d'enfant en Amérique.

Tout en parlant, Poirot étudiait le comte, mais celui-ci restait indifférent et observa du ton le plus naturel :

Voilà qui devrait guider l'enquête. Quel pays extraordinaire, l'Amérique !

Vous y avez séjourné sans doute, monsieur le compte ?

J'ai passé une année à Washington.

Peut-être connaissez-vous la famille Armstrong ?

Armstrong. Armstrong. Je ne me souviens plus. On rencontre tant de monde ! Pour en revenir à l'affaire en question, quels renseignements désirez-vous de moi ?

A quelle heure vous êtes-vous retirés pour vous reposer hier soir ?

Des yeux, Hercule Poirot parcourut le plan. Le comte et la comtesse Andrenyi occupaient les compartiments 12 et 13.

Nous avions fait préparer un des compartiments pendant le dîner, et en quittant le wagon-restaurant, nous nous sommes assis un instant dans l'autre.

Dans lequel ?

Le numéro 13. Nous avons joué aux cartes. Vers onze heures, ma femme s'est couchée. Le conducteur a fait mon lit, je me suis également couché et je n'ai fait qu'un somme jusqu'au matin.

Avez-vous remarqué l'arrêt du train ?

Non, pas avant ce matin.

Et votre femme ?

Le comte sourit.

Ma femme ne s'allonge jamais dans une couchette de train sans prendre un somnifère, et hier soir elle a absorbé sa dose habituelle de trional. Je m'excuse de ne pouvoir vous apprendre rien de sensationnel.

Poirot lui tendit une feuille de papier et un porte-plume.

Il ne s'agit que d'une simple formalité, monsieur le comte. Voulez-vous avoir l'obligeance d'inscrire ici vos noms et adresse ?

Mieux vaut, en effet, que je m'en charge moi-même, car l'orthographe du nom de mon domaine offre certaines difficultés pour quiconque ne connaît point la langue de mon pays.

Il rendit le papier à Poirot et se leva.

Il n'est pas nécessaire que ma femme se dérange. Elle ne pourra que vous répéter mes propres paroles.

Un éclair brilla dans les yeux de Poirot.

Sans doute, sans doute. Néanmoins, j'aimerais dire un tout petit mot à Mme la comtesse.

Je vous assure que c'est tout à fait inutile, trancha le comte d'une voix autoritaire.

Oh ! ce ne sera qu'un interrogatoire de pure forme, assura Poirot, de l'air le plus conciliant ; je dois fournir un rapport complet sur l'enquête.

Comme il vous plaira.

Le comte céda de mauvaise grâce. Il fit un petit salut et quitta le wagon-restaurant.

Poirot prit le passeport : il spécifiait le nom et les titres du comte et portait la mention : accompagné de sa femme ; prénoms : Eléna, Maria ; nom de jeune fille : Goldenberg. Quelque employé peu soigneux l'avait souillé d'une tache de graisse.

Attention, prévint M. Bouc, il s'agit d'un passeport diplomatique. De la prudence, mon ami. Ces gens ne doivent point avoir affaire à ce meurtre.

Soyez tranquille, mon vieux. Je déploierai le plus grand tact.

La ravissante comtesse Andrenyi entra dans le wagon-restaurant.

Vous désirez me voir, messieurs ? demanda-t-elle d'un air timide.

Oui, madame la comtesse, mais pour remplir une simple formalité.

Poirot, très galant, se leva et s'inclina en désignant à la jeune femme le siège en face de lui.

Je désire savoir si vous avez vu ou entendu quelque chose qui puisse éclairer le drame de la nuit dernière ?

Rien du tout, monsieur. Je dormais.

N'auriez-vous pas perçu du bruit dans le compartiment voisin du vôtre ? La dame américaine qui l'occupe a sonné le conducteur à maintes reprises, il paraît qu'elle a failli mourir de peur.

Je n'ai rien entendu. J'avais pris un narcotique.

Oui, je comprends. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, madame.

Puis, comme elle s'empressait de se lever :

Encore une petite minute, madame. Les renseignements figurant sur le passeport de votre mari : votre nom de jeune fille, votre âge et ainsi de suite. sont-il exacts ?

Rigoureusement exacts, monsieur.

Voulez-vous me signer cette attestation ?

D'une gracieuse écriture penchée, elle signa :  Eléna Andrenyi.