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M. Bouc le considéra d'un œil soupçonneux.

Je plaisante, poursuivit MacQueen. Il ne m'a sûrement pas laissé un radis. Ma connaissance de trois langues étrangères, le français, l'allemand et l'italien, lui était précieuse, voilà tout ! Lorsqu'on ne sait parler que le bon américain, on est bien embarrassé hors de son pays.

Il s'exprimait plus nerveusement que de coutume. Malgré ses efforts pour paraître naturel, on sentait que cette inquisition lui était odieuse.

Rien ! déclara enfin Poirot, pas même un legs compromettant.

MacQueen soupira d'aise.

Me voilà rassuré cette fois ! dit-il joyeusement. Vous venez de m'enlever un rude poids !

Dans le dernier compartiment, l'inspection des bagages du grand Italien et du domestique n'amena aucune découverte.

Les trois enquêteurs, debout à l'extrémité du wagon, s'entre-regardaient.

Et maintenant ? demanda M. Bouc.

Retournons au wagon-restaurant, suggéra Poirot. Nous avons interrogé les voyageurs, examiné les bagages ; il ne nous reste plus à présent qu'à faire travailler nos méninges.

Il fourra sa main dans sa poche, prit son étui à cigarette, le trouva vide.

Je vous rejoins dans un instant, dit-il. Je vais chercher des cigarettes. Cette affaire devient inextricable. Qui diantre portait le peignoir rouge ? Où se trouve-t-il ? Quelque chose m'échappe. Le criminel a tout embrouillé à plaisir. Mais nous allons reprendre la discussion sur ce que nous savons jusqu'ici. Excusez-moi un moment.

D'un pas rapide, il se rendit à son propre compartiment. Il prit une de ses valises qui contenait sa provision de cigarettes.

Il la posa à terre et l'ouvrit.

Il resta un moment immobilisé par la surprise.

Soigneusement plié sur le dessus de la valise, il voyait un peignoir de soie rouge orné de dragons brodés.

Et voilà ! murmura Poirot. On me lance un défi ! Eh bien, je l'accepte !

u □

Lequel... ou lesquels ?

M. Bouc et le docteur Constantine conversaient ensemble lorsque Poirot les rejoignit dans le wagon-restaurant. M. Bouc paraissait très abattu.

Le voilà ! s'écria-t-il en apercevant Poirot.

Puis il ajouta, une fois son ami assis :

Si vous retrouvez le coupable, mon cher, je croirai aux miracles.

Cette affaire vous tourmente à ce point ?

Oui. D'autant qu'on ne sait plus par quel bout la prendre.

Je suis bien de cet avis, approuva le médecin. A dire vrai, monsieur Poirot, je ne vois pas du tout ce que nous allons faire maintenant.

Poirot alluma une de ses minuscules cigarettes et répondit, l'air rêveur :

Pour moi, voici où réside l'intérêt de notre affaire. Privés de tous moyens d'investi gation habituels, nous ne pouvons contrôler les déclarations des voyageurs. Ayons recours à notre propre intelligence.

Tout cela est très joli, objecta M. Bouc. Encore faudrait-il posséder quelques données exactes qui nous serviraient de point de départ.

N'avons-nous pas le témoignage des voyageurs et celui de nos yeux ?

L'interrogatoire des voyageurs ne nous a pas appris grand' chose.

Pardon, il nous a renseigné sur plusieurs points.

Ah ! bah ? Je ne m'en suis guère aperçu.

Vous n'avez sans doute pas écouté attentivement.

Eh bien, éclairez ma lanterne.

Prenons le premier témoignage recueilli : celui du jeune MacQueen. A mon sens, il a laissé échapper une phrase très significative.

Au sujet des lettres de menaces ?

Non, mais il nous a révélé que Mr Ratchett voyageait beaucoup et se trouvait gêné par son ignorance des langues étrangères. MacQueen a même ajouté qu'il lui servait d'interprète plutôt que de secrétaire.

Poirot observa le visage de ses deux auditeurs.

Quoi ? Vous ne saisissez pas encore ? Oh ! c'est impardonnable. Il est allé jusqu'à nous dire qu'on éprouvait mille ennuis hors de son pays lorsqu'on ne connaissait que le bon américain.

Et après ?... s'exclama M. Bouc, toujours perplexe.

Ah ! il faut donc encore vous mettre le points sur les « i » ! Eh bien, voici : Mr Rat chett ne parlait pas le français. Cependant, quand le conducteur est venu, appelé par son coup de sonnette, une voix a répondu en français qu'on avait fait erreur. En outre, cette voix s'est exprimée dans un français très usuel, non pas celui qu'emploient les gens qui n'ont que des notions rudimentaires de cette langue : « Ce n'est rien. Je me suis trompé. »

Mais oui ! s'écria le docteur Constantine. Nous aurions dû nous en apercevoir ! Je conçois maintenant votre répugnance à admettre l'heure indiquée par la montre comme étant celle du crime. A une heure moins vingt-trois minutes, Ratchette était déjà mort.

Et son meurtrier répondait à sa place. acheva M. Bouc.

N'anticipons pas, dit Poirot ; toutefois, nous pouvons affirmer sans crainte qu'à une heure moins vingt-trois quelqu'un d'autre que Ratchett se trouvait dans le compartiment et que ce quelqu'un était français ou parlait très couramment le français.

Vous ne péchez point par manque de prudence, mon vieux.

Qui va lentement va sûrement. Rien ne me prouve de façon formelle que Ratchett était mort à cette heure-là.

Vous avez tout de même été réveillé par un cri ?

Oui, c'est exact.

Cette nouvelle découverte ne nous avance guère, déclara M. Bouc sentencieu sement. Vous avez entendu du bruit dans le compartiment voisin. A ce moment, il ne s'agissait pas de Ratchett, mais plutôt de l'assassin qui lavait ses mains tachées de sang, remettait de l'ordre autour de lui et brûlait la lettre compromettante. Puis, le calme revenu dans le wagon, le meurtrier mit la chaînette à la porte communiquant avec le compartiment de Mrs Hubbard et se sauva par là. En somme c'est bien ce que nous pensions. avec cette différence que Ratchett a été tué une demi-heure plus tôt et les aiguilles de la montre mises sur une heure et quart pour préparer un alibi.

Un alibi sans valeur, observa Poirot. Les aiguilles de la montre marquent 1h15. heure précise à laquelle le meurtrier a quitté le théâtre du crime.

C'est ma foi vrai, acquiesça M. Bouc, un peu décontenancé. Que vous indique cette montre arrêtée à 1h15 ?

Si les aiguilles ont été dérangée - je dis  si  - l'heure à laquelle on les a arrêtées doit signifier quelque chose. En ce cas, on serait tout naturellement porté à suspecter tous ceux qui fourniraient un alibi à l'heure indiquée, savoir 1h15.

Ce raisonnement me paraît péremptoire, opina le docteur.

Il convient également d'établir l'heure où l'assassin pénétra dans le compartiment. A quel moment eut-il l'occasion d'y entrer ? A moins d'accuser le vrai conducteur de complicité, le faux conducteur n'a pu s'introduire dans le wagon que pendant l'arrêt du train à Vincovci. Après le départ du train de cette station, le conducteur, assis à sa place habituelle, surveillait tout le couloir. Alors qu'aucun des voyageurs n'eût prêté attention à un employé des wagons-lits, le conducteur, lui, aurait nécessairement remarqué la présence de cet intrus. Or, pendant l'arrêt du train à Vincovci, le conducteur était descendu sur le quai : l'autre avait donc la voie libre.

Et d'après vos première conjectures, le coupable ne peut être qu'un des voyageurs. Lequel ?

Poirot esquissa un sourire.

J'ai pris des notes. Si vous voulez bien les consulter, elles rafraîchiront vos souvenirs.