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Madame, je vous prie de bien réfléchir avant de me répondre. Avez-vous vu dans ce train des personnes de connaissance ?

Elle le regarda bien en face.

Moi ? Non, personne.

Et la princesse Dragomiroff ?

Elle ? Je la connais, bien sûr. Je pensais que vous vouliez dire. une personne de l'époque du drame.

Oui, madame, c'est bien ce que je vous demande. Réfléchissez bien. Les années passent et les gens peuvent transformer leur physionomie.

Héléna s'absorba un instant dans ses pensées, puis elle dit :

Non. personne.

Vous-même, en ce temps-là, vous étiez une très jeune fille. Aviez-vous quelqu'un pour surveiller vos études et s'occuper de vous ?

Oh ! oui. J'avais une espèce de gouvernante qui servait en même temps de secrétaire à Sonia. une femme aux cheveux rouges.

Comment s'appelait-elle ?

Miss Freebody.

Jeune ou vieille ?

Je la trouvais très vieille, mais elle ne devait pas dépasser trente-cinq ans.

Qu'y avait-il encore dans la maison ?

Seulement des domestiques.

Et vous êtes certaine, madame, absolument certaine de n'avoir reconnu personne dans le train ?

Personne, monsieur, je n'ai reconnu personne !

Le prénom de la princesse

Dragomiroff

Lorsque le comte et sa femme eurent quitté le wagon-restaurant, Poirot se tourna vers ses deux compagnons :

Qu'en dîtes-vous ? Henri ? Nous avançons.

Voilà du beau travail, lui répondit chaleureusement M. Bouc. Quant à moi, je n'aurais jamais songé à suspecter le comte et la comtesse Andrenyi. Leur innocence me paraissait indiscutable et pourtant c'set elle qui a commis le crime ! C'est lamentable ! J'espère qu'on ne la condamnera pas à mort. Elle a des circonstances atténuantes. quelques années de prison. et ce sera tout.

Vous la croyez réellement coupable ?

Bien sûr. Vous en doutez ? Je pensais que vos manières rassurantes n'avaient pour but que de calmer ses inquiétudes jusqu'au moment où nous serons délivrés de cette neige et où la police officielle prendra l'affaire en main.

Vous ne croyez pas à la parole du comte ? N'a-t-il pourtant pas juré sur l'honneur que sa femme était innocente ?

Mon cher, il ne pouvait agir autrement. Il adore sa femme et veut à tout prix la sauver. Il ment. mais il ment en grand seigneur, voilà tout.

Et moi, je m'imaginais qu'il disait la vérité !

Perdez cette illusion. Voyons ! le mouchoir ne confirme-t-il pas mes présomp tions ?

Tout de même.

M. Bouc s'interrompit. La porte venait de s'ouvrir et la princesse Dragomiroff entra dans le wagon-restaurant. Elle vint droit vers les trois hommes qui se levèrent aussitôt.

Sans prêter attention aux deux autres, elle s'adressa à Poirot.

Monsieur, je crois que vous avez un mouchoir à moi.

Poirot jeta à ses compagnons un regard triomphant.

Est-ce celui-ci, madame ?

Il montra le petit carré de batiste.

Oui, c'est cela même. Voici mon initiale dans ce coin.

Pourtant, madame, s'écria M. Bouc, cette lettre est un H et, si je me trompe, votre prénom est. Natalia.

Elle le dévisagea froidement.

C'est exact, monsieur. Mes mouchoirs sont toujours marqués en caractères russes : un N s'écrit H en russe.

M. Bouc en demeura un instant abasourdi. Cette vieille dame indomptable avait décidément le don de le mettre mal à l'aise. Il murmura :

Mais. ce matin vous ne nous avez pas dit que ce mouchoir vous appartenait.

Me l'avez-vous demandé ? répondit la princesse d'un ton sec.

Veuillez prendre un siège, madame, dit Poirot.

Elle poussa un soupir.

Puisque vous y tenez !

Elle s'assit.

Messieurs, ne discutons pas à perte de vue. Vous allez à présent me demander comment il se fait que mon mouchoir se trouvait auprès de l'homme assassiné ? Je vous répondrai donc que je n'en sais rien moi-même.

Vraiment ?

Je vous l'affirme.

Excusez-moi, madame, mais jusqu'à quel point pouvons-nous ajouter foi à vos paroles ?

Poirot parlait à voix lente. La princesse eut un air dédaigneux.

Est-ce parce que j'ai omis de vous dire qu'Héléna Andrenyi était la sœur de Mrs Armstrong ?

De fait, vous nous avez trompés sciemment.

Certes, et je le referais encore s'il le fallait. Sa mère était mon amie. Messieurs, je crois en la fidélité qu'on doit à ses amis, sa famille et sa caste.

N'estimez-vous pas de votre devoir d'aider la justice ?

Dans cette affaire, je considère que la justice - du moins la vraie justice - a été remplie.

Poirot se pencha vers elle.

Comprenez la pénible situation où vous me placez, madame. Dois-je vous croire au sujet de ce mouchoir ? Ou essayez-vous simplement de défendre al fille de votre amie ?

Oh ! je devine votre pensée, dit-elle. Il vous sera facile de vérifier ce que j'avance. Je vous donnerai l'adresse de la maison de Paris où je fais faire mes mouchoirs. Vous lui montrerez celui-là et elle vous confirmera que je le lui ai commandé voilà un an. Ce mouchoir est bien à moi.

Elle se leva.

Désirez-vous me poser d'autres questions ?

Votre femme de chambre a-t-elle reconnu ce mouchoir quand je le lui ai montré, ce matin ?

Sans doute. Elle l'a vu et n'a rien dit. Cela prouve sa loyauté envers moi.

Avec une légère inclination de tête, elle s'en alla.

Voilà l'explication, murmura Poirot. J'avais bien remarqué une légère hésitation chez la femme de chambre quand je lui ai demandé si elle connaissait la propriétaire de ce mouchoir. Elle ne savait au juste si elle devait répondre oui ou non. Comment juxtaposer ces faits autour de mon idée principale ? Ma foi, tout m'a l'air de s'arranger assez bien.

Ah ! s'écria M. Bouc, quelle vieille femme terrible !

Aurait-elle pu tuer Ratchett ? demanda Poirot au médecin.

Celui-ci hocha la tête.

Certains coups. ceux, par exemple, qui ont pénétré dans la masse musculaire, n'auraient jamais pu être frappés par une personne physiquement aussi faible.

Mais les autres coups ?

Les moins violents, oui.

Je songe à l'incident de ce matin, quand je dis à la princesse que sa force résidait plutôt dans sa volonté que dans son bras. Je lui tendais là un piège. Je voulais savoir si elle regarderait son bras droit ou son bras gauche. Elle les considéra tous deux, mais laissa échapper une étrange réflexion : « Non, je n'ai guère de force dans les bras ; je ne sais si je dois m'en féliciter ou le déplorer ». Cette curieuse remarque vint confirmer mon opinion personnelle sur le crime.

Cela ne nous apprend rien au sujet des coups frappés de la main gauche.

Non. A propos, avez-vous remarqué que la pochette de veston où le compte Andrenyi met son mouchoir se trouve à droite ?

M. Bouc hocha la tête. L'esprit occupé par les surprenantes révélations fournies par la dernière demi-heure de l'enquête, il murmura :

Des mensonges. toujours des mensonges. je demeure confondu devant le nombre de mensonges que nous avons entendus depuis ce matin !

Il nous en reste encore d'autres à découvrir, riposta Poirot d'un ton guilleret.

Vous croyez, mon cher ami.

Le contraire me décevrait.

Une telle duplicité m'effraie, alors qu'elle semble vous égayer, constata M. Bouc avec reproche.