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A moins qu'une catastrophe.

Ah ! non, mon ami.

Evidemment, de votre point de vue, ce serait regrettable. Mais supposons un instant qu'un accident se produise. En ce cas, tout ce monde se trouvera uni. dans la mort.

Encore un doigt de vin, dit M. Bouc. Vous êtes sinistre, mon cher. C'est, sans doute, l'effet de la digestion.

J'avoue qu'en Syrie la nourriture ne convenait guère à mon estomac.

Il but lentement une gorgée de vin. Puis, se rejetant en arrière, il fit des yeux le tour du wagon. Il compta dix-sept convives, de toutes classes et de toutes nationalités, ainsi que l'avait annoncé M. Bouc. Il se mit à les observer.

A la table en face de la leur étaient assis trois hommes qui voyageaient seuls et avaient été placés là suivant le flair infaillible du maître d'hôtel : un gros Italien bronzé qui se curait les dents avec satisfaction ; vis-à-vis de lui, un Anglais réservé et correct, aux traits impassibles et dédaigneux du serviteur britannique bien stylé, et, près de celui-ci, un Américain de forte carrure, vêtu d'un complet de ton criard. probablement un représentant de commerce.

Il faut en jeter plein la vue ! disait ce dernier d'une voix nasillarde.

L'Italien retira son cure-dent de sa bouche et le brandit en déclarant :

Pour sûr ! C'est bien ce que j'ai toujours dit !

L'Anglais regarda par la fenêtre et toussota.

Poirot dirigea ensuite son regard vers une petite table occupée par une vieille femme, très laide, mais d'une laideur distinguée, plutôt fascinante que repoussante. Cette femme se tenait très droite. Elle portait un collier de grosses perles qui, si peu croyable que cela paraisse, étaient vraies. De ses mains chargées de bagues, elle rejeta sur ses épaules le col de son manteau de zibeline. La petite toque noire très coûteuse posée sur le côté de sa tête ne seyait guère à sa figure jaune de crapaud.

En ce moment, cette vieille dame parlait au maître d'hôtel d'un ton poli, mais hautain :

Vous aurez la complaisance de porter dans mon compartiment une bouteille d'eau minérale et un verre d'orangeade. Veillez à ce que j'aie du poulet froid ce soir à dîner.

Respectueux, le maître d'hôtel lui répondit qu'elle pouvait y compter.

Elle inclina la tête et se leva. Son regard croisa celui de Poirot, et elle se détourna avec l'indifférence d'une grande dame.

C'est la princesse Dragomiroff, expliqua M. Bouc à voix basse. Une Russe. Son mari avait placé tout son argent à l'étranger avant la révolution et elle est extrêmement riche.

Poirot avait déjà entendu parler de cette personnalité cosmopolite.

Laide comme les sept péchés capitaux, ajouta M. Bouc, mais vous avouerez qu'elle a de l'allure.

A une autre table, Mary Debenham était assise, ainsi que deux autres femmes. L'une d'elles ; de trente-cinq à quarante ans et très grande, portait un corsage écossais et une jupe de tweed. Son épaisse chevelure, d'un jaune fade, formait un chignon plat et disgracieux. Une paire de lunettes ornait son profil de mouton aux traits doux et bienveillants. Elle écoutait avec attention les propos d'une femme d'âge mûr, au visage agréable et aux formes replètes, qui parlait d'une voix lente et monotone et semblait ne devoir jamais s'arrêter, même pour reprendre haleine.

. Alors ma fille disait : « Inutile de songer à appliquer les méthodes américaines dans ce pays. ici, les gens sont indolents par nature et manquent totalement d'énergie ». Cependant, vous seriez étonnée des résultats obtenus par notre collège, dont le personnel est composé de professeurs compétents. Pour moi, il n'y a rien au-dessus de l'instruction. Ma fille disait.

Comme le train plongeait dans un tunnel, la voix se perdit.

A la petite table suivante, le colonel Arbuthnot déjeunait. solitaire, le regard rivé sur la nuque de Mary Debenham. Ils n'étaient pas assis à la même table, alors que cela paraissait si facile. Pourquoi ?

Sans doute Mary Debenham avait-elle hésité, par prudence. Une gouvernante ne doit pas se compromettre.

Poirot continua son étude. De l'autre côté du wagon, appuyée à la cloison, il remarqua une femme vêtue de noir, à la figure large et dénuée d'expression. Une Allemande ou une Scandinave, songea Poirot. probablement une femme de chambre.

Ensuite venait un couple : penchés l'un vers l'autre, les deux jeunes gens conversaient avec animation. L'homme portait un costume de cheviotte venu directement de Londres, mais il n'était pas Anglais ; la forme de sa tête et de ses épaules suffit pour renseigner Poirot sur ce point. Soudain il se tourna et Poirot put l'observer de profil. C'était un très bel homme, d'une trentaine d'années, aux fines moustaches blondes.

La jeune femme assise en face de lui devait compter vingt ans. Vêtue d'un élégant tailleur noir sur une blouse de satin blanc, un minuscule chapeau noir incliné sur le côté de la tête suivant la dernière mode, elle avait la peau très blanche, de grands yeux sombres et des cheveux d'un noir de jais. Elle fumait une cigarette au bout d'un long tube d'ambre ; sur sa main soignée aux ongles rouges, Poirot distingua une énorme émeraude montée sur platine. Il y avait beaucoup de coquetterie dans sa voix et dans son regard.

Elle est jolie. et elle a du chic ! murmura Poirot. Sans doute le mari et la femme ?

Oui. Lui, appartient à l'ambassade de Hongrie, je crois. Un couple bien assorti.

Il ne restait que deux autres convives : le compagnon de voyage de Poirot, MacQueen, et son patron, Mr Ratchett. Pour la seconde fois, Poirot scruta le visage peu engageant du vieillard, compara la fausse bienveillance du reste de la face avec la cruauté des yeux petits et enfoncés.

M. Bouc dut s'apercevoir d'un changement dans l'expression de son ami, car il lui demanda.

Vous regardez votre animal sauvage ?

Oui, répondit Poirot.

Comme on apportait le café à Poirot, M. Bouc se leva. Il avait commencé à déjeuner avant son ami et avait fini depuis un moment.

Je retourne dans mon compartiment, lui dit-il. Venez m'y rejoindre. Nous bavarderons un peu.

Avec plaisir.

Poirot dégusta son café et commanda un petit verre de liqueur. Le maître d'hôtel passait d'une table à l'autre sa caisse portative pour recueillir le montant des additions. La voix de la forte dame américaine se fit entendre :

Ma fille me disait : « Prends un carnet de tickets de repas et tu seras tranquille ». Mais elle n'y connaît rien. Il faut donner dix pour cent de pourboire, et puis. leur eau minérale a un drôle de goût. On ne peut se procurer ni eau d'Evian ni eau de Vichy, c'est très désagréable.

Ils doivent. comment dirais-je. servir l'eau du pays, expliqua la dame au profil de mouton.

Je trouve cette pratique stupide, déclara l'Américaine en regardant d'un air dégoûté le tas de menue monnaie posée sur la table devant elle. Voyez ce que le garçon m'a rendu. des  dinars  ! A quoi cela ressemble-t-il ? Ma fille me disait.

Mary Debenham recula sa chaisse et s'en alla en adressant un léger salut aux deux autres dames. Le colonel Arbuthnot se leva et la suivit. Ramassant la monnaie dédaignée, l'Américaine sortit et, après elle, la dame au masque ovin. Le couple hongrois avait déjà quitté le wagon-restaurant, et il n'y restait plus que Poirot, Ratchett et MacQueen.

Ratchett glissa un mot à son compagnon, qui se leva et sortit. Ensuite lui-même se leva, mais, au lieu de suivre MacQueen, il vint s'asseoir à la table de Poirot.