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Ce qui était, d’ailleurs, l’intention du nouveau venu.

Il monta dans sa chambre et vida le sac à dos : quelques vêtements, un rasoir électrique, une paire de chaussures de rechange, des vitamines pour éviter les refroidissements, un gros cahier pour ses notes et onze lingots d’or pesant deux kilos chacun. Épuisé par la tension, la montée et le poids qu’il avait coltiné, il s’endormit presque aussitôt. Mais après avoir pris soin de barricader sa porte avec une chaise, même s’il savait qu’il pouvait faire confiance à chacun des deux cent quatre-vingt-un habitants de Bescos.

Le lendemain, il prit son petit déjeuner, laissa des vêtements à la réception du petit hôtel pour les faire nettoyer, remit les lingots d’or dans le sac à dos et se dirigea vers la montagne située à l’est du village. En chemin, il ne vit qu’un seul de ses habitants, une vieille dame, assise devant sa maison, qui l’observait d’un œil curieux.

Il s’enfonça dans la forêt, attendit que son oreille s’habitue au bruissement des insectes, des oiseaux et du vent qui fouettait les branches défeuillées. Il savait que, dans un endroit pareil, il pouvait être observé à son insu. Pendant près d’une heure il ne bougea pas.

Une fois assuré qu’un éventuel observateur, gagné par la fatigue, serait parti sans aucune nouvelle à raconter, il creusa un trou près d’un rocher en forme de Y, où il cacha un lingot. Il monta un peu plus haut, s’attarda une heure comme s’il contemplait la nature, plongé dans une profonde méditation ; il aperçut un autre rocher – celui-ci ressemblait à un aigle – et creusa un second trou où il enfouit les dix autres lingots d’or.

La première personne qu’il aperçut sur le chemin du retour était une jeune femme assise sur la rive d’une des nombreuses rivières intermittentes de la région, formées lors de la fonte des neiges. Elle leva les yeux de son livre, remarqua sa présence, reprit sa lecture. Sa mère certainement lui avait appris à ne jamais adresser la parole à un étranger.

Les étrangers, toutefois, lorsqu’ils arrivent dans une nouvelle ville, ont le droit de tenter de se lier d’amitié avec des inconnus, et il s’approcha donc.

— Bien le bonjour, dit-il. Il fait plutôt chaud pour cette période de l’année.

Elle acquiesça d’un signe de tête.

L’étranger insista.

— J’aimerais que vous veniez découvrir quelque chose.

Bien élevée, elle posa son livre, lui tendit la main et se présenta :

— Je m’appelle Chantal. Le soir, je travaille au bar de l’hôtel où vous êtes logé. J’ai trouvé étrange que vous ne soyez pas descendu dîner, l’hôtel vit non seulement de la location des chambres mais de tout ce que consomment les clients. Vous êtes Carlos, argentin, vous habitez rue de Colombie, tout le monde au village est déjà au courant, parce qu’un homme qui débarque ici en dehors de la saison de la chasse est toujours un objet de curiosité.

« Un homme d’environ cinquante ans : cheveux gris, regard de quelqu’un qui a beaucoup vécu. »

— Quant à votre invitation, je vous remercie, mais j’ai déjà regardé le paysage de Bescos sous tous les angles possibles et imaginables. Peut-être vaut-il mieux que je vous montre moi-même des endroits que vous n’avez jamais vus, mais je suppose que vous devez être très occupé.

— J’ai cinquante-deux ans, je ne m’appelle pas Carlos, tous les renseignements que j’ai fournis sont faux.

Chantal ne sut que répondre. L’étranger enchaîna :

— Ce n’est pas Bescos que je veux vous montrer. C’est quelque chose que vous n’avez jamais vu.

Elle avait déjà lu beaucoup d’histoires de jeunes filles qui décident de suivre un homme au cœur d’une forêt et qui disparaissent sans laisser de traces. La peur la saisit un instant. Mais une peur vite éclipsée par une sensation d’aventure. Finalement, cet homme n’oserait rien lui faire, car elle venait de lui dire que tous au village étaient au courant de son existence, même si les renseignements qu’il avait donnés ne correspondaient pas à la réalité. D’ailleurs, les catastrophes n’arrivent que la nuit – tout au moins dans les romans.

— Qui êtes-vous ? Si ce que vous me dites maintenant est vrai, sachez que je peux vous dénoncer à la police pour fausse déclaration d’identité !

— Je répondrai à toutes vos questions, mais d’abord venez avec moi. Je veux vous montrer quelque chose. C’est à cinq minutes d’ici.

Chantal ramassa son livre, respira à fond et pria silencieusement, tandis que dans son cœur se mêlaient excitation et peur. Puis elle se leva et suivit l’étranger. Elle était sûre que ce serait encore un moment de frustration dans sa vie. Cela commençait toujours par une rencontre pleine de promesses pour finir une fois de plus par l’écho d’un rêve d’amour impossible.

L’homme grimpa jusqu’à la pierre en forme de Y, montra la terre fraîchement remuée et lui demanda de chercher ce qui était enterré là.

— Je vais me salir les mains, dit Chantal. Je vais salir mes vêtements.

L’homme prit une branche, la cassa et la lui tendit pour qu’elle fouille le sol avec. Elle fut si surprise par ce geste qu’elle décida de faire ce qu’il lui demandait.

Quelques minutes plus tard apparut devant elle le lingot jaune, souillé de terre.

— On dirait de l’or.

— C’est de l’or. C’est à moi. S’il vous plaît, recouvrez-le.

Elle obéit. L’homme la conduisit jusqu’à l’autre cachette. De nouveau elle se mit à creuser. Cette fois, elle fut surprise par la quantité d’or étalé devant ses yeux.

— C’est aussi de l’or. C’est aussi à moi, dit l’étranger.

Chantal allait recouvrir l’or avec la terre lorsqu’il lui demanda de n’en rien faire. Assis sur une pierre, il alluma une cigarette et regarda l’horizon.

— Pourquoi m’avez-vous montré ça ?

Il ne dit mot.

— Qui êtes-vous, enfin ? Qu’est-ce que vous faites ici ? Pourquoi m’avez-vous montré ça, sachant que je peux raconter à tout le monde ce qui est caché dans cette montagne ?

— Trop de questions à la fois, répondit l’étranger, les yeux rivés sur les hauteurs, comme s’il ignorait sa présence.

— Vous m’avez promis que si je vous suivais, vous répondriez à mes questions.

— Tout d’abord, ne croyez pas aux promesses. Le monde en est plein : richesse, salut éternel, amour infini. Certaines personnes se croient capables de tout promettre, d’autres acceptent n’importe quoi qui leur garantisse des jours meilleurs. Ceux qui promettent et ne tiennent pas parole se sentent impuissants et frustrés ; de même ceux qui s’accrochent aux promesses.

Il devenait prolixe. Il parlait de sa propre vie, de la nuit qui avait changé son destin, des mensonges qu’il avait été obligé de croire parce que la réalité était inacceptable. Il devait parler le langage de la jeune fille, un langage qu’elle puisse comprendre.

Chantal, en tout cas, comprenait presque tout. Comme tous les hommes mûrs, il ne pensait qu’au sexe avec un être plus jeune. Comme tout être humain, il pensait que l’argent peut tout acheter. Comme tout étranger, il était sûr que les petites provinciales étaient assez ingénues pour accepter n’importe quelle proposition, réelle ou imaginaire, pourvu que cela signifie ne serait-ce qu’une occasion de partir à plus ou moins longue échéance.

Il n’était pas le premier et, malheureusement, ne serait pas le dernier à essayer de la séduire aussi grossièrement. Ce qui la troublait, c’était la quantité d’or qu’il lui offrait. Elle n’avait jamais pensé valoir autant et cela tout à la fois lui plaisait et lui faisait peur.

— Je suis trop vieille pour croire à des promesses, répondit-elle pour essayer de gagner du temps.

— Mais vous y avez toujours cru et vous continuez à le faire.