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Ce jour-là, je rentrai chez moi la tête bourdonnante, le ventre en émoi. Pierre arriva tard, préoccupé. Il me regarda à peine. Il ne se doutait pas un instant que je venais de lui être infidèle pour la première fois –, et que j'avais aimé cela.

Je revis Brice deux ou trois fois avant de rompre. J'avais obtenu ce que je désirais, quelques instants de folie dans une existence devenue trop rangée.

Brice avait déverrouillé une porte fermée ; grâce à lui, je me doutais qu'une nouvelle vie commençait pour moi. J'eus d'autres amants. Mais je n'ai pas souvent retrouvé la jouissance violente que Brice m'avait donnée, ni l'exaltation du premier adultère ; ce frisson d'angoisse lorsqu'on franchit le seuil d'un hôtel sachant que l'homme qui attend là-haut dans la chambre est un amant, pas un mari.

Je prenais un plaisir inavoué, sournois, à tromper Pierre. Au début, ce fut facile, car il ne se doutait de rien. Puis, à la suite d'une négligence de ma part, un soupçon s'insinua quelques semaines dans son esprit. Sa jalousie passagère attisa mon goût du risque ; je m'adonnai à un jeu dangereux qu'il fallait exécuter à la perfection. Pierre, pour un temps, oublia ses doutes.

Ceux envers qui je nourrissais une convoitise particulière, ceux qui réveillaient en moi le désir le plus inaltéré, n'étaient pas les célibataires ou les divorcés que je fréquentais avant mon mariage ; il n'existait à mes yeux qu'une espèce digne d'être pourchassée, une seule caste de mâles capable de m'enivrer : les hommes mariés.

Loin de moi l'idée de devenir leur maîtresse attitrée – ce que je fus jadis pour Manuel ; loin de moi l'envie de les aimer, ou qu'ils tombent amoureux de moi. Leur vie privée, le prénom de leur femme, de leurs enfants ne m'importaient guère. Il me les fallait ni trop jeunes, ni trop vieux, mais surtout aisés, avec des mains soignées où l'alliance brillait, des vêtements élégants agréables à caresser ; et j'aimais leurs parfums de grandes maisons – Eau Sauvage, Vétiver, Habit Rouge, Égoïste – qui s'imprimaient sur ma peau avec toute la violence de leur désir.

Ce n'est pas toi, maestro du mari déloyal, que je vais éduquer en la matière ; mais sache qu'afin de rajouter une pointe de piment à mes aventures extra-conjugales, je ne prenais comme amants que des hommes mariés à des épouses jalouses. Il va sans dire que ces hommes-là sont les infidèles les plus notoires comme les plus doués. Il faut les voir feindre l'innocence, l'incrédulité, la stupeur ; même surpris en flagrant délit, dans les situations les plus compromettantes, ils n'avoueront jamais.

Mes nombreux voyages s'avéraient idéaux pour me consacrer à ces aventures clandestines. Cependant, être infidèle à son époux lorsqu'il se trouve de l'autre côté du globe, me parut bientôt empreint d'une ennuyeuse fadeur. J'appris alors à jouer avec le feu, donnant rendez-vous à mes amants dans des lieux fréquentés de la capitale, à deux pas du cabinet de Pierre, et où l'on risquait à tout instant de nous surprendre.

Les hommes mariés étant souvent pressés, j'aimais les retrouver dans leur voiture de fonction, dans le décor studieux d'une administration, et là, à la lumière blafarde d'un parking, ou l'éclairage cru d'un néon, j'apaisais leur fièvre de ma bouche, m'attardant sur ce que dissimulait leur pantalon gris à fines rayures, pour les renvoyer ensuite à leurs bureaux, à leurs réunions, à leurs épouses, les traits lissés par le plaisir.

Tandis que je me rendais à une répétition, tout animée d'une vigueur nouvelle, je me doutais qu'ils ne se contenteraient pas de furtifs hors-d'œuvre. Ils appelaient le lendemain afin d'obtenir un rendez-vous dans le secret d'un hôtel où, débarrassés de leur costume de président-directeur général, téléphone portable déconnecté, c'était à leur tour de me faire jouir.

Ces liaisons vécues au nez et à la barbe de mon époux m'enchantaient. Je pourrais te raconter l'histoire de C., que l'épouse possessive ne quittait pas des yeux tant elle avait peur qu'on le lui prît, ce que je m'empressai de faire dans un ascenseur bloqué entre deux étages alors qu'elle s'impatientait sur le palier ; celle d'Y., dont la câlinerie coquine me laisse de jolis souvenirs, quelque peu gâchés par l'hystérie de Madame lorsqu'elle découvrit notre liaison ; je pourrais aussi te parler de J.-P., rencontré après un concert ; venu m'applaudir avec sa femme, il me tendit le numéro de son portable dès qu'elle eut le dos tourné.

Ces adultères semblaient l'indispensable échappatoire à un mariage soporifique, et si d'aventure un homme se montrait timoré par crainte de son épouse, je comprenais en un tour de main comment le convaincre. À cette époque de ma vie, il ne fallait pas qu'un homme me résiste. L'échec m'était insupportable.

Je n'avais pas mesuré à quel point Pierre attachait de l'importance à la fidélité entre époux. Lorsqu'il se mit à me suivre à mon insu et qu'il découvrit que j'avais des aventures, trop tard je pris conscience de sa souffrance, comme de l'amour qu'il me portait.

Il y eut une scène abominable.

Un soir, en sortant de chez un de mes amants, je découvris que Pierre m'attendait sous la porte cochère. En l'apercevant, je m'immobilisai, les bras ballants, stupide. Le visage gris de colère, il ne dit rien, saisit le col de mon manteau et me jeta brutalement dans la voiture garée à côté.

Durant le trajet, il ne prononça pas un mot. Je tentai de lui parler, en guise de réponse, il me donna une gifle magistrale. Il ne m'avait jamais frappée. Ma lèvre fendillée se mit à saigner. Je pleurai doucement, de douleur et de honte.

La nuit entière, il me posa des questions ; il voulut tout savoir de mes aventures ; avec qui, où, comment, combien de temps elles avaient duré.

Au début, je refusai de lui répondre, par crainte de le blesser davantage, mais il me secoua comme un prunier, cria, m'injuria, me jeta des objets et me frappa à nouveau, jusqu'à ce que je parle enfin, terrifiée.

Je dus lui livrer, contre mon gré, faits et gestes avec ces hommes de passage. J'avais perdu de ma superbe, et mes coucheries, étalées dans leurs détails scabreux, résonnaient d'une sordide indécence. Chaque bribe obtenue me parut être un pieu enfoncé de plus en plus loin dans le cœur de mon mari.

Vers l'aube, épuisé, dégoûté par mes confessions ponctuées de sanglots, Pierre se jeta sur le canapé pour y demeurer prostré. Je voulus rester auprès de lui, le supplier de me pardonner, mais il me repoussa avec le peu de forces qu'il lui restait. La fureur s'était évanouie, cédant à une douleur qui donnait à ses traits livides l'aspect d'un masque mortuaire. Je me sentais sale devant sa peine.

Le lendemain, et les jours qui suivirent, je tentai de renouer le dialogue, de m'excuser de nouveau auprès de lui. Il n'était pas question qu'il me pardonnât ; il se considérait comme déshonoré.

Il quitta l'appartement pour aller vivre chez son frère, et entama une procédure de divorce. Dès lors, mes rapports avec la belle-famille furent difficiles. Mes beaux-parents souffrirent de mon inconstance, et nos relations en sont encore imprégnées, même si Pierre a refait sa vie avec une jeune femme, Vanessa, et paraît avoir trouvé le bonheur.

Je regrette de lui avoir fait tant de mal. Pierre m'aimait, ne le montrait pas, et j'avais pris sa froideur pour de l'indifférence. Je pensais à tort que s'il apprenait mes infidélités, il ne s'en offusquerait pas, puisqu'il s'intéressait si peu à moi.

Lorsque notre séparation fut officielle, quelque temps avant ma nomination à la tête de l'orchestre de P., un soulagement immense m'envahit. Pierre me manquait peu. Contre toute attente, il ne me priva pas de la garde conjointe de Martin. L'avocat habile qu'il était aurait pu m'infliger une punition sévère en m'empêchant d'élever mon fils. Je pense qu'il songeait avant tout à l'épanouissement de Martin.