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Troublée, elle fit encore un petit signe de la main à son voisin et courut dans l’escalier pour rejoindre sa voiture. Il ne lui restait qu’une trentaine de minutes avant la fermeture des portes d’embarquement. Autant dire que les chances d’attraper son vol étaient minimes.

Lancée à toute allure sur la file de droite, Grace contacta Naïs.

— Je suis en route !

— Je suis déjà assise, l’embarquement est presque terminé, tu n’y arriveras pas.

Grace raccrocha, sans un geste de colère, concentrée. Le prochain vol pour Nuuk était dans trois jours. Ce n’était pas concevable.

Le GPS indiquait encore vingt minutes avant l’aéroport. Elle écrasa la pédale d’accélérateur. Malgré la bonne tenue de route de son SUV, le volant vibra entre ses mains, et plusieurs fois, elle frôla dangereusement la glissière de sécurité pour doubler un véhicule trop lent à se rabattre. En quelques secondes, le GPS abaissa son estimation à seize minutes de temps restant avant destination. Ce ne serait pas suffisant. Mais quitte à voir l’avion décoller sous ses yeux, elle irait jusqu’au bout.

Quinze minutes plus tard, à 21 h 26, elle abandonnait sa voiture sur le dépose-minute, provoquant un mouvement de panique parmi les voyageurs inquiets de voir cette femme jaillir de son véhicule et partir en courant.

Elle avisa le tableau des départs, repéra immédiatement la porte d’embarquement de son vol avec l’annonce « dernier appel » qui clignotait en rouge. Il lui restait quatre minutes. Elle se faufila entre les voyageurs, en bousculant certains, sauta par-dessus un chariot, évita de justesse une petite fille qui lui coupa la trajectoire en riant.

— Poussez-vous ! cria Grace en avalant deux par deux les marches de l’escalator.

Une femme se retourna et haussa les épaules sans bouger ses affaires. Grace trébucha sur l’une des valises et se cogna le front contre la rampe de l’escalier mécanique.

Refusant de céder à la douleur qui cingla son crâne, elle s’était déjà relevée et coupait toute la file d’attente menant aux contrôles de sécurité. Les poumons en feu, un goût de sang dans la bouche, elle sprinta avec tout ce qui lui restait de force.

— Attendez ! lança-t-elle. Police !

Tout le monde se retourna sur son passage et un mouvement de panique commença à s’emparer des voyageurs.

Grace percuta presque le comptoir du poste de sécurité. Un officier porta sa main à sa ceinture pour saisir son arme. Grace posa précipitamment son badge, son passeport et son téléphone devant lui.

— Je suis inspectrice de police, je dois prendre cet avion. C’est une urgence nationale.

Derrière la vitre pare-balles, désarçonné, l’officier dévisagea cette femme qui venait de débouler comme une furie.

— Arrêtez l’avion, je dois prendre ce vol, répéta Grace.

Quatre militaires en patrouille dans l’aéroport débarquèrent et la mirent en joue avec leurs fusils mitrailleurs.

— Ne bougez plus ! ordonna l’un d’eux.

— Je suis inspectrice de police. Vérifiez mon matricule, rétorqua Grace. Faites vite !

Elle pouvait presque sentir les canons des armes pointés sur sa tête.

— À plat ventre !

Elle s’exécuta, sous les expressions médusées des voyageurs. Elle vit des bottes s’approcher quand soudain, la voix de l’officier des douanes retentit.

— C’est bon, elle dit vrai.

— Relevez-vous ! lança l’un des membres de la sécurité.

Grace se redressa.

— Dites-moi que vous avez pu arrêter le vol, s’enquit-elle auprès du douanier.

— Madame… je suis désolé, mais l’appareil vient de partir pour la piste de décollage.

Grace sentit la nausée lui soulever le ventre. Elle s’appuya sur la tablette du comptoir.

Le sol et le plafond se mirent à tourner. Ses oreilles bourdonnèrent sous l’afflux sanguin.

Dans le maelström de son malaise, elle crut entendre un bruit aigu. Elle chercha maladroitement son portable, mais aucun appel n’était signalé sur son écran.

Elle leva la tête et vit que le douanier avait décroché son combiné téléphonique. Son visage était déformé par l’incrédulité.

— Madame… Campbell. Nous allons vous conduire sur la piste.

Grace n’était pas certaine d’être encore éveillée.

— Pardon ?

— Le décollage a été retardé pour vous attendre. En revanche, dépêchez-vous, il ne vous reste que cinq petites minutes. Voulez-vous nous confier votre arme de service ?

Éberluée, mais consciente qu’elle n’avait pas le temps de demander des explications, Grace sortit son pistolet et le déposa sur le comptoir. Un autre officier, qui se tenait à l’écart et portant une mallette sécurisée, approcha pour y enfermer l’arme, avant de remettre un certificat à Grace.

— Pour la récupérer à Nuuk. Bon voyage.

En moins de trois minutes, Grace se retrouva sur le tarmac. Elle grimpa les marches de l’escalier amovible, le visage fouetté par le vent et les odeurs de fuel. Ses jambes tremblaient d’épuisement et elle devait assurer chacun de ses pas. Mais elle finit par atteindre la cabine et une main tendue la fit franchir le seuil.

Un autre membre de l’équipage verrouilla immédiatement la porte derrière elle. Le steward qui l’avait aidée à monter la fit traverser le couloir central de l’avion, sous les regards mi-fascinés, mi-courroucés des voyageurs déjà installés.

Bientôt, Grace aperçut Naïs, qui s’était redressée pour l’accueillir. Sans même qu’elle l’ait prévu, l’inspectrice lui tomba dans les bras et les deux femmes s’étreignirent, avant que Grace ne prenne du recul, un peu embarrassée par cet élan d’intimité.

— Comment as-tu fait ? ânonna-t-elle en reprenant ses distances.

— L’appareil est affrété par une filiale d’American Airlines, chuchota Naïs. Le Pentagone connaît bien le patron de la compagnie, qui a bien voulu appeler lui-même la direction de l’aéroport de Glasgow pour demander un délai supplémentaire avant le décollage. Je n’étais pas certaine que tu arriverais, mais il fallait que je tente… Tu as assuré, Grace.

— Merci à toi et au… Pentagone…

— Je pense que c’est la première et la dernière fois qu’une dérogation pareille est acceptée, mais tant mieux pour nous…

Grace laissa retomber sa tête sur son siège et attacha sa ceinture. L’avion roula quelques instants, tourna au bout de la piste de décollage, poussa les réacteurs, prit de la vitesse et se cabra pour enfin gagner les cieux.

Assise côté hublot, Grace vit la terre d’Écosse s’éloigner. Elle ne parvenait pas à croire qu’elle avait réussi. À ses côtés, Naïs, sans doute consciente que sa coéquipière avait besoin de reprendre son souffle et ses esprits, lisait un guide touristique sur le Groenland.

Le pilote autorisa les passagers à détacher leurs ceintures. Grace, qui se sentait poisseuse et brûlante, quitta son siège pour aller se rafraîchir aux toilettes, au fond de l’appareil.

Cherchant à deviner ce que cette femme avait de si spécial, tous les voyageurs l’épiaient avec plus ou moins de discrétion. Un peu gênée, Grace les ignora tous. Tous sauf un, qui la dévisagea avec arrogance, ses écouteurs sans fil enfoncés dans ses oreilles, caressant d’un doigt d’honneur faussement distrait sa petite barbe bien taillée.

– 37 –

Naïs jeta son guide touristique sur sa tablette, son regard d’acier tremblant de colère. Grace venait de lui avouer tout ce qu’il s’était passé entre elle et l’assassin. Y compris que le tueur était dans le même avion qu’elles, à quelques sièges derrière.