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— Dernière arrivée, mais pas dernière sortie…, plaisanta le steward en voyant arriver Grace.

— Pouvez-vous contacter le service des douanes et leur demander qu’un de leurs agents m’attende à la sortie ? C’est urgent, précisa-t-elle en montrant discrètement son badge d’inspectrice.

— Euh… nous devons nous inquiéter ?

— Non, cela concerne une affaire interne à l’Écosse.

Le steward disparut derrière l’accès à la cabine de pilotage et revint lorsqu’on déverrouilla la porte de l’avion.

— Un officier vous fera signe à l’arrivée, dit-il, l’air peu rassuré.

— Merci.

Grace jeta un coup d’œil à Naïs, qui avait fait tomber des valises au milieu de l’allée et s’attirait les vives remontrances des voyageurs.

Puis elle referma sa parka et s’empressa de descendre l’escalier mobile, traversa le tarmac et fonça droit vers l’unique bâtiment de tôle gris, qui faisait office de terminal. Ce n’est qu’à mi-parcours qu’elle sentit le froid sur son corps, comme si on venait de lui coller une plaque de métal gelée à même la peau.

Elle courut en direction des portes automatiques surmontées des grandes lettres rouges indiquant qu’elle était bien à Nuuk. À l’intérieur, un agent lui adressa un geste de la main.

Elle lui présenta son badge, qu’il examina longuement, et lui expliqua qu’elle enquêtait sur un suspect soupçonné d’assassinat en Écosse, que l’homme se trouvait dans l’avion qui venait d’atterrir, et qu’il fallait absolument l’arrêter si on ne voulait pas qu’il disparaisse dans la nature.

L’agent lui répondit qu’il devait en informer ses supérieurs, et invita Grace à lui confier ses papiers d’identité pendant qu’elle patientait dans la salle d’arrivée.

Malgré tous les efforts de Naïs, les premiers voyageurs commencèrent à débarquer et à se présenter devant le comptoir des douanes. Grace chercha à parler à l’officier qui ne revenait pas, mais on lui demanda fermement de ne pas franchir la ligne de sécurité.

Naïs entra à son tour dans le petit hall, suivie de près par Gabriel, qui faisait mine de ne pas la voir tout en se plaçant tranquillement dans la file d’attente.

Après cinq longues minutes, l’officier des douanes réapparut enfin. Il chuchota quelque chose à l’oreille de son collègue chargé de contrôler les passeports, et retourna voir Grace.

— Nous avons vérifié votre identité et contacté votre supérieur, Elliot Baxter, qui nous a confirmé vos propos. Cela dit, nous ne pouvons pas arrêter cet homme sur notre territoire sans un mandat, inspectrice Campbell.

Grace allait parler, quand il l’interrompit.

— Mais par souci de coopération intelligente entre nos services de police, nous allons le garder auprès de nous, le temps de contacter notre autorité diplomatique, qui dira si nous pouvons extrader cet individu sous votre surveillance.

— OK, répondit Grace, inquiète du délai nécessaire pour une telle procédure.

— En revanche, vous ne pourrez ni l’approcher ni lui parler pendant les formalités de vérification.

Grace hocha la tête et sentit son pouls s’accélérer quand elle vit que deux officiers escortaient l’assassin vers un bureau adjacent, sous les murmures anxieux des autres voyageurs. Gabriel ne manifesta aucune résistance.

De l’autre côté du poste de douane, Naïs adressa un signe à Grace et lui fit comprendre qu’elle prenait de l’avance pour commencer les recherches. Pour la première fois depuis le début de cette affaire, tout se passait à peu près comme prévu.

— Inspectrice, si vous voulez bien me suivre.

L’officier qui avait pris la situation en main l’installa sur une chaise dans un couloir blanc distribuant deux portes.

— Cela peut prendre un certain temps, prévint-il.

Grace se félicita d’avoir Naïs à ses côtés qui faisait avancer l’enquête alors qu’elle poireautait dans ce triste corridor. Les minutes s’égrenaient, et elle se mit à réfléchir à cette nouvelle coéquipière brillante et efficace. Après une – brève – hostilité, un lien solide s’était noué entre les deux femmes, toutefois ne lui avait-elle pas fait confiance trop tôt ? Ce n’était pas dans ses habitudes.

Elle décida de l’appeler, mais sa partenaire ne décrocha pas. Par trois fois, elle retenta, laissant deux messages.

Naïs était-elle si occupée ?

Après une heure à attendre seule, sans réponse, un méchant doute s’insinua en elle.

Naïs ne l’aurait-elle pas manipulée ? C’était une agente de la DIA avant tout, dotée d’une fine expérience de la psychologie humaine. Amadouer Grace en lui jouant la comédie de l’amitié était la façon la plus habile de s’attirer sa protection le temps que Neil soit à portée de main. Depuis leur arrivée à Nuuk, Naïs était complètement libre et n’avait plus besoin de personne pour la seconder.

L’une des portes du couloir s’ouvrit soudain pour laisser passer l’officier. Grace se leva, ses grands yeux marron questionnant déjà son interlocuteur.

— Inspectrice Campbell, comme nous vous l’avons dit, nous avons procédé aux vérifications auprès de notre service diplomatique. Et malheureusement, nous avons dû relâcher votre suspect sur-le-champ.

Grace tressaillit.

— Quoi ? Mais pour quel motif ?

— Il bénéficie de l’immunité diplomatique.

— Il est… diplomate ? Lui ?

— Non, son père, qui n’est autre que l’ambassadeur des États-Unis en Écosse, et comme vous le savez, l’immunité s’applique aussi à la famille. Je suis désolé, je ne peux rien faire. Il a quitté l’aéroport à l’instant.

Grace chercha le dossier de sa chaise du bout des doigts. Malgré l’urgence de la situation, elle devait s’asseoir pour reprendre ses esprits.

– 40 –

Grace récupéra son arme auprès de la douane, retira des couronnes danoises au distributeur automatique et téléphona à Naïs, qui décrocha enfin.

— Je viens de voir que tu m’avais appelée plusieurs fois, dit-elle. Je n’ai pas pu répondre, j’étais en train de négocier, ou plutôt de me battre, avec une flic du coin pour qu’elle accepte de convoquer au commissariat l’officier qui avait enquêté sur les cambriolages et qui, malheureusement pour nous, est en congé. Bref, il va venir d’ici une heure. Comment ça s’est passé de ton côté ?

— Ils l’ont libéré. Il jouit de l’immunité diplomatique de son père, qui est ambassadeur des États-Unis en Écosse.

Un sourire cynique se dessina sur les lèvres de Naïs.

— Il est grand temps qu’on fasse le ménage dans notre administration, réagit-elle. Où est-il maintenant ?

— Où il veut. Ils sont venus me prévenir alors qu’il était déjà parti.

— Il ne peut pas aller enquêter au commissariat, il s’exposerait trop et, tout fils d’ambassadeur qu’il est, il n’aura pas le droit de consulter les dossiers criminels. Comme on pouvait s’en douter depuis le départ, il va donc essayer de nous suivre. Ce sera à nous d’être vigilantes.

— Je te rejoins au commissariat.

Il était déjà huit heures du matin quand Grace trouva un taxi à la sortie du petit aéroport dans lequel elle s’engouffra en vitesse pour empêcher le froid d’atteindre son épiderme. Les roues craquelèrent sur des plaques de glace et le véhicule suivit une route bordée de congères maculées de boue. Grace se pencha pour regarder devant elle, à travers le pare-brise. Au loin, dominant la ville, la lourde montagne Sermitsiaq, recouverte de neige, ressemblait au dos d’un gigantesque monstre marin dévoilant ses crénelures avant de replonger dans les abysses. Contre son flanc, des collines enneigées cascadaient jusqu’au fjord et laissaient parfois saillir des roches noires sur lesquelles s’appuyaient des maisons colorées de jaune, rouge, vert, orange, bleu ou violet. Elles étaient si semblables les unes aux autres, et si simples dans leur construction que Grace s’amusa à imaginer qu’elle sillonnait un plateau de Monopoly multicolore oublié sur la banquise. Ces habitations aux teintes vives étaient bien la seule source de gaieté sous l’austère ciel bleu nuit qui obligeait les véhicules à allumer leurs phares.