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— Qujanarsuaq.

Elle l’avait enregistré, mais elle préféra le répéter.

— « Kjanarsouac ».

Le mécanicien fit une moue dubitative sur les compétences linguistiques de Grace, puis il entra dans le GPS les coordonnées de la communauté isolée. Il allait leur dire au revoir, lorsqu’il ouvrit subitement une des sacoches de la motoneige de Naïs et en sortit une boîte marquée d’un logo explosif.

— Vous pas bien avoir ça. Dangereux. Moi avoir oublié enlever.

— C’est quoi ? demanda Naïs.

— Des bâtons dynamite pour déclencher avalanche. Vous n’avez pas besoin.

Le mécanicien s’éloigna et leur adressa un au revoir.

Naïs fut la première à s’élancer. Grace la suivit plus prudemment, avant de prendre confiance et d’accélérer pour foncer vers l’horizon brumeux.

– 43 –

Le mécanicien ne leur avait pas menti. Après une heure de ce qui aurait pu s’apparenter à une errance sans fin dans les étendues de roche et de glace, Grace et Naïs s’aventurèrent dans une plaine immense. Il était un peu plus de quatorze heures quand elles finirent par distinguer de la fumée et des monticules blancs, qui se révélèrent être des igloos construits au milieu de nulle part. Un peu à l’écart, des taches de fourrures grises et blanches parsemaient la neige.

Lorsqu’elles furent assez proches pour couper les moteurs de leurs motoneiges, un homme vêtu d’une tunique de peau fourrée était déjà sorti d’une des trois habitations de glace et les toisait de son visage impassible. Un Inuit de quarante ans environ, qui empoignait fermement un outil à tête de pioche immaculée. Un chien se tenait à ses côtés, tandis qu’une meute entière aboyait à quelques mètres en retrait, les bêtes tirant sur les chaînes de leurs attaches.

Les deux femmes approchèrent à pas mesurés, les mains en évidence. L’homme demeurait immobile, un autre le rejoignit, lui aussi armé, cette fois d’une lance à l’embout d’ivoire muni d’une pointe dentelée. Il poussa un cri et la meute se tut sur-le-champ.

Désormais, on n’entendait plus que le grognement guttural du spitz polaire, dont les babines retroussées dévoilaient de longs crocs effilés.

— Tu as ton pistolet à portée de main ? murmura Grace.

— Je ne préfère pas, ils le remarqueraient et cela ne pourrait que mal tourner.

D’un geste hésitant aussi peu agressif que possible, Grace tendit son téléphone loin devant elle et fit dire la première phrase qu’elles avaient enregistrée, qui, traduite de l’inuit, donnait à peu près cette formule :

Salut à vous. Nous ne parlons pas votre langue, mais nous sommes à la recherche de quelqu’un. Nous voulons savoir si vous l’avez vu. Peut-on vous poser des questions ?

Les hommes se mirent d’abord en garde lorsqu’ils entendirent la voix masculine. Puis l’un d’eux tapa sur l’épaule de son camarade, lui dit quelques mots, et ils adoptèrent alors une attitude moins hostile. Leur échange se poursuivit et l’un d’eux se courba pour retourner dans l’igloo juste derrière lui.

Il en ressortit quelques secondes plus tard, accompagné d’un troisième homme, dont la position voûtée et les rides du visage trahissaient son plus grand âge.

Il posa une main sur le crâne touffu du chien en lui parlant et fit signe d’approcher aux deux arrivantes.

Une fois à leur hauteur, Grace perçut la très forte odeur de cuir frais qui se dégageait d’eux, et eut du mal à ne pas montrer sa gêne. Elle surveillait le chien qui les fixait de son œil noir, tandis que les trois Inuits examinaient longuement ces curieuses femmes qui s’étaient aventurées jusqu’à eux, allant même jusqu’à tourner autour d’elles afin de mieux les regarder. Grace avait l’impression d’être un animal égaré, évalué par les membres d’un autre clan.

Brutalement, le vieillard leur dit quelque chose d’une voix forte qui sonnait comme un ordre, et il pénétra dans l’igloo. Aux gestes des deux hommes restés dehors, Grace et Naïs comprirent qu’elles devaient le suivre. Le chien s’assit à l’entrée et les renifla lorsqu’elles passèrent à ses côtés.

Dans l’habitacle inuit les accueillit une forte odeur de peaux animales, mêlée à la senteur du feu de bois, des poissons séchés et des exhalaisons corporelles.

Grace, qui avait un nez sensible, serait, en temps normal, ressortie immédiatement, mais l’heure était suffisamment grave pour qu’elle dépasse son dégoût.

Elles prirent place sur d’épaisses fourrures, autour d’un foyer qui dégageait une chaleur agréable en projetant ses lueurs orangées et dansantes sur les parois de glace. Lorsque leurs yeux se furent habitués à la faible luminosité, elles se rendirent compte qu’en plus du vieil homme étaient présentes une jeune femme ainsi qu’une petite fille qui ne devait pas avoir plus de dix ans. L’enfant les observait avec un regard fasciné, au fond duquel Grace sembla néanmoins discerner de la crainte. Les deux hommes qui les avaient accueillies entrèrent à leur tour et s’installèrent en posant leurs armes à côté d’eux.

— Vous ne parlez donc pas du tout notre langue ? tenta Naïs.

Personne ne répondit et les membres du groupe se dévisagèrent, l’air d’attendre. Grace leur fit écouter une autre phrase enregistrée sur son téléphone :

Il y a un peu plus d’un an, un étranger solitaire est-il venu ici avec une motoneige ? Où est-il allé ?

Une fois encore, tous s’observèrent en silence, jusqu’à ce que le vieil homme prenne la parole. Il marmonna quelques mots qu’elles ne comprirent pas, mais ses gestes de dénégation furent suffisants.

Grace se sentit brutalement désespérée. Tout ce chemin pour entendre un « non ».

— Il n’est pas exclu qu’ils le protègent, murmura Naïs. Fais-leur écouter la suite.

Nous travaillons pour la police, et nous cherchons cet homme parce qu’il est en danger. Des personnes lui veulent du mal. Ils sont à ses trousses et s’ils le retrouvent, ils le tueront. Nous ne sommes pas là pour l’arrêter, mais pour l’aider.

Grace guetta les réactions, mais il était difficile de lire les expressions dans cette pénombre à peine dissipée par le feu de bois.

Cette fois, la réponse du doyen fut plus longue, mais elle se termina par le même signe de tête négatif.

Grace ne parvenait pas à croire que leur enquête s’arrêtait là. Elle était persuadée que Neil avait rejoint ces gens pour vivre avec eux. Ou, à tout le moins, qu’il était passé par là avant de poursuivre sa route.

— Dans cet igloo, je ne vois aucune trace d’équipements qui ne soient pas typiquement inuits, remarqua Naïs, mais il faudrait pouvoir fouiller les autres habitations.

— Un détail me gêne, poursuit Grace à voix basse, seul l’ancien nous répond. Les autres n’ont pas dit un mot.

— Fais sortir la femme et sa fille, si tu peux, et questionne-les quand vous serez toutes seules, je vais essayer de garder les hommes ici.

— D’accord, mais as-tu une idée pour qu’elles m’accompagnent ?

— Non.

Grace réfléchit rapidement et se résigna vite à la seule excuse valable, bien que gênante, pour tenter d’aller à l’extérieur avec la femme inuite.

Elle se frotta le ventre et commença à grimacer. Naïs comprit et joua le jeu. Elle lui posa une main sur le bras, lui demandant si elle se sentait bien. Les Inuits les regardaient, intrigués. Grace finit par se lever, pliée en deux, mimant une violente douleur stomacale.

— Est-ce que vous avez des toilettes ? s’enquit-elle en geignant. Des toilettes ?