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— Je… ne peux pas vous en parler avant d’être certain de ce que j’avance. Ce serait irresponsable.

— Naïs devait absolument vous conduire jusqu’à la base de Thulé ; cela signifie sans doute que ces images qui manquent pour aller au bout de votre raisonnement doivent s’y trouver…

— C’est ce que je crois et c’est ce qui fait que mon cœur bat encore, inspectrice. J’espère tenir jusque-là…

L’avion obliqua vers l’ouest dans un bourdonnement accru des hélices.

— Quand arrivons-nous ? s’enquit Grace auprès des médecins.

— Dans trente-cinq minutes, inspectrice.

— Alors, cela me laisse le temps de faire une chose, souffla Neil.

— Dites-moi.

— Vous aviez raison, je ne peux pas mourir sans avoir essayé d’avertir le monde du danger que représente Olympe. Filmez-moi, et vous ferez ce qui vous semblera le plus utile de mon témoignage.

Les deux médecins redressèrent le dossier du brancard de Neil et s’éloignèrent un instant à la demande de leur patient. Grace attendit que Neil soit prêt et enclencha l’enregistrement vidéo sur son téléphone.

Le savant expliqua en détail qui il était, ce dont il avait été témoin et tous les processus d’addiction développés par Olympe au service des grandes entreprises du numérique. Quand il eut terminé, le pilote de l’avion annonça l’imminence de l’atterrissage.

Grace regarda par le hublot. Malgré l’heure tardive pour la région, le ciel était plus dégagé qu’à Nuuk et, au bout d’une pointe de glace qui s’enfonçait dans une mer d’un bleu métallique, elle discerna cet improbable groupement de bâtiments blancs et cette longue piste d’atterrissage à côté de laquelle étaient garés de gros avions militaires semblables à celui dans lequel ils se trouvaient. Et plus loin encore, au sommet d’un promontoire rocheux, trônait une immense antenne satellite blanche. Quand Neil l’aperçut à son tour, l’électrocardiogramme trahit sans nul doute possible l’emballement de son rythme cardiaque.

Le médecin qui était resté le plus discret jusqu’ici posa sa main sur le bras de Neil et parla d’une voix fiévreuse.

— Dites-moi que vous allez enfin pouvoir nous révéler la nature exacte de ce que nous avons photographié…

– 54 –

La rampe arrière de l’avion se déplia et un tourbillon glacial s’engouffra dans l’appareil. Une ambulance monta aussitôt dans la soute pour venir chercher Neil et Grace. Une fois encore, les médecins agirent avec une précaution infinie, tandis que des hommes armés surveillaient les alentours. Un président aurait été traité avec moins d’égards et de moyens, songea Grace.

L’ambulance regagna le tarmac et s’éloigna de l’avion en évitant soigneusement les secousses. En chemin, Grace vit défiler les baraquements qui émergeaient à peine des épaisseurs de neige engloutissant la base. Seuls le bitume des routes et la piste d’atterrissage traçaient des lignes noires au sein de l’éblouissante blancheur sur laquelle se reflétait le soleil.

Le véhicule s’arrêta devant ce qui avait l’apparence du plus grand bâtiment de la base. On les fit descendre, franchir une double porte, et entrer dans un hall éclairé au néon et peint d’un vert pâle. Un homme, dont Grace reconnut le grade de général, les y attendait. Deux autres, en blouse blanche, l’encadraient et scrutaient Neil tels des fidèles qui auraient assisté à l’apparition d’un être divin.

Le général s’approcha à grands pas. Soixante ans environ, élancé, un visage très allongé, à l’arête du nez sévère et aux yeux si cernés qu’il semblait presque étrange que cet individu tienne encore debout. En revanche, son regard était perçant, ses gestes maîtrisés et sa voix puissante.

— Général Martin Miller de l’US Air Force. Neil Steinabert, c’est un honneur de vous rencontrer. Au nom du gouvernement américain et de toute l’humanité, je dois vous dire notre immense gratitude à votre égard pour avoir accepté de venir jusqu’ici afin d’apporter vos lumières sur ce qui pourrait s’avérer être l’une des plus grandes révolutions dans la connaissance humaine.

Neil cligna des yeux.

— Inspectrice Campbell, je suppose, poursuivit le militaire en saluant Grace. Naïs Conrad était l’une de nos meilleures agentes. J’imagine que vous mesurez l’honneur qu’elle vous a fait en vous confiant le soin d’achever sa mission.

— Pleinement, répondit Grace.

— Le numéro d’identification que Naïs vous a donné est celui qui l’autorise à transférer toutes ses charges et ses habilitations à une personne. Autrement dit, vous disposez des mêmes accréditations au secret défense que notre agente défunte. Elle tenait visiblement à ce que vous soyez ses yeux et son cerveau après sa mort.

Grace eut un pincement au cœur et ne sut si elle allait pouvoir réfréner l’émotion qui l’étranglait. Heureusement, l’empressement du général l’aida à dissimuler son malaise.

— Nous avons bien évidemment vérifié votre identité et nous n’avons trouvé aucune raison de vous refuser ce transfert de pouvoir. Suivez-moi, je vais vous conduire sans tarder au centre de télécommunication.

Les deux hommes en blouse blanche prirent la relève des infirmiers de l’ambulance.

Ils traversèrent un long couloir verdâtre bordé de vitres derrière lesquelles travaillaient des personnes en uniforme. Puis ils empruntèrent une passerelle couverte menant à un bâtiment fermé d’une lourde porte hermétique gardée par deux soldats qui se mirent au garde-à-vous. Le général déverrouilla l’accès avec son passe et ils débouchèrent à nouveau dans un hall sans aucune fenêtre, baigné d’une lumière bleutée.

Tandis que l’imposant battant se refermait derrière eux dans un bruit d’aspiration, Grace repéra la forme de pentagone de l’endroit où ils venaient d’entrer. Face à eux se dressait une immense porte gardée par un homme armé. Sur chacun des quatre autres murs se trouvait une porte plus petite numérotée d’un grand chiffre noir allant de un à quatre, et également surveillée par des militaires.

— C’est ici que nous faisons travailler nos quatre équipes internationales d’astrophysiciens sur l’origine de l’Univers, expliqua le général. Chaque aile du bâtiment est dédiée à une équipe qui vit en vase clos depuis trois ans sans pouvoir communiquer avec les autres groupes. Je suis le seul à récolter le fruit de leurs quatre axes de recherche et à en connaître la teneur. Souhaitez-vous une synthèse de leurs travaux, Monsieur Steinabert, ou préférez-vous accéder directement au visionnage de la carte ?

— Je me doute de leurs conclusions, glissa Neil d’une voix fatiguée. Montrez-moi la carte.

Le général approuva et leur fit franchir l’entrée qui leur faisait face. Ils débouchèrent dans un couloir et pénétrèrent dans la première pièce à gauche grâce au badge du général. Ce dernier congédia les deux médecins. Une lumière tamisée provenant de spots discrets éclairait les murs capitonnés et aveugles d’une large salle meublée de quelques sièges et d’un simple bureau sur lequel se trouvait un ordinateur.

Le général appuya sur un bouton d’une télécommande qu’il avait prise sur le bureau et un écran noir descendit du plafond, à l’autre bout de la pièce.

— Je vous encourage à vous asseoir, inspectrice Campbell.

Grace prit place dans l’un des fauteuils et reconnut tout de suite l’image du fond diffus cosmologique qui apparut sur le téléviseur. À ses yeux, elle était identique à celle qu’elle avait trouvée dans le cabinet secret d’Anton. Des cercles rouges se dessinèrent progressivement autour d’une trentaine de points noirs dispersés sur la photographie.

Neil se redressa sur son lit, comme attiré physiquement par l’image rayonnante dans la pénombre de la pièce. Visiblement, il y percevait quelque chose que le commun des mortels ne pouvait discerner.