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Palourde considéra pensivement le semi-humain, puis haussa les épaules. « Je leur raconterai ce que j’ai vu. Nous en discuterons avec les Prêtres des Abysses. Les mâles sont rares dans les dômes. Beaucoup de nos femmes ne trouvent jamais de compagnon. Peut-être serait-il bon que quelques-uns prennent la mer avec Rorqual. »

— « Certainement, » dit le géant.

Le bateau produisit par extrusion un léger canoë en polymère, avec une quille cylindrique, un mât et un outrigger. On ficela dans des sacs un choix de friandises. « Tant qu’ARNOLD règne sur la mer, vous pouvez naviguer à la surface. » On hissa la voile. « Rapportez-leur nos paroles, en même temps que ces cadeaux. Que les femmes enceintes décident par elles-mêmes, » dit Larry. La petite embarcation fut descendue à la mer, à l’aide d’un grappin.

Dix-sept femelles Océanides emménagèrent dans les cabines sous le pont arrière. Vingt-huit enfants naquirent au cours de la première année. D’autres familles Océanides, alléchées, vinrent les rejoindre ; on prépara des cartes et des catamarans. Munis de filets, de crochets et de semence, ils firent cap vers l’ouest afin de s’installer sur les îlots dispersés d’un archipel. L’une de ces familles de colons était constituée d’Opale, du gros Har et de six de leurs rejetons. Ils découvrirent dans leur lagon une superstructure granuleuse et chassèrent les cochons et les poules dans la forêt.

Les Prêtres des Abysses, en raison de leur âge, restèrent sous l’océan, où l’air plus dense et la poussée de l’eau leur étaient propices. Ça et là, quelques Océanides s’accrochaient à leurs dômes sur le plateau continental. De par leur nudité et leur culture néolithique, ils étaient tenus de rester dans les courants chauds. Mais la Nature reprenait ses droits dans le monde marin, et cette nouvelle génération d’Océanides dut affronter des périls nouveaux parmi la faune renaissante, des créatures venimeuses, aux habitudes carnivores. Malgré cela, l’homme était solidement implanté dans la mer. Ses cyberdômes étaient intelligents. Ils détectaient toute nouvelle menace, et ils mirent au point un système d’alarme pour protéger leurs hôtes.

La compagne de Palourde, Poisson-Lune, coucha le petit Têtard dans son berceau et retourna à son travail : le nettoyage d’une corbeille de Cancer borealis, ces crabes bruns, grands de dix centimètres. Son cyber-dôme décela l’approche d’une conque venimeuse ; un mollusque de trente centimètres de long, frangé de violet. Le plafond s’alluma trois fois, prenant une couleur violette à l’endroit le plus proche du danger.

« Merci, dôme, » dit-elle, en s’emparant de son javelot. Elle alla jusqu’au bord du radeau, près de la tache violette, et scruta les eaux verdâtres. Le fond était envahi par les algues. Elle ne se risqua pas dans l’eau avant d’avoir clairement discerné le coquillage spirale. Il fourrageait dans les herbes hautes, et ramenait avec son tentacule meurtrier de petits Sebastodes, des poissons de roche. Elle se glissa dans l’eau chaude et s’approcha de la conque qui broutait. Elle l’ignora. Elle avait peu d’ennemis naturels qui pouvaient tenir tête à son venin mortel. Elle la frappa de sa lance. Le tentacule tapota le trait, y laissant (elle le savait) une minuscule aiguille et une injection de toxine. Elle appuya plus fort. La bête se mit à se débattre violemment, étirant son pied latéralement et faisant rouler sa coquille de côté et d’autre. En trois roulades successives, elle se projeta à deux mètres. Poisson-Lune la suivit, la piqua du bout de sa lance. Le tentacule tâtonna dans sa direction. Elle fut heureuse que la portée du dard venimeux soit limitée par la longueur de l’organe. Son arme affilée traqua le corps tendre jusque dans son habitat en spirale ; une torsion, et l’hémoglobine simple du mollusque assombrit les eaux, attirant un essaim de charognards qui se battirent pour la protéine ainsi offerte.

Poisson-Lune regagna son dôme, pour s’apercevoir que la marmite de buccins avait débordé. Elle remit de l’eau de mer par-dessus les gastéropodes longs de dix centimètres, petits cousins de la meurtrière créature qu’elle venait d’occire.

Palourde la rejoignit à l’heure du repas. Son sac était bosselé par les coquillages qu’il avait ramassés. Elle tria les corps ovales, blancs et caoutchouteux, ôtant les parties fibreuses du pourtour pour les jeter à leur bar domestique, Stereolepis gigas. Le poisson géant monta, avala la friandise, et retourna vers le fond marin,

« Sous le pilier sud, j’ai remarqué des bestioles qui se disputaient quelque chose, » observa-t-il.

— « Une conque, » dit-elle. « Je l’ai tuée il y a deux heures. »

— « On dirait qu’elles se multiplient. Je crois qu’il est temps de regarnir la cour d’étoiles de mer. »

Elle hocha la tête et commença à broyer les coquillages.

« Peux-tu aller rendre ces pièges à crabe à nos voisins ? Ils désirent les poser de bonne heure demain matin. »

— « D’accord. Je vais leur apporter quelques coquillages. » Il ficela les filets-accordéon en un paquet serré et s’en alla, les remorquant derrière lui.

Poisson-Lune allaita Têtard et s’endormit auprès de lui. Un signal d’alerte frénétique, émis par le dôme, la réveilla. L’intensité des lueurs rouges l’effraya. Têtard se mit à hurler.

« Qu’y a-t-il, dôme ? »

Elle prit son fils et chercha une indication dans les eaux ténébreuses. La bioluminescence d’un vert trouble s’accrut. Des vibrations lui indiquèrent que quelque chose approchait ; un son nouveau, inconnu, faisait trembler sa demeure.

Un grappin affûté se planta dans le dôme, à un mètre au-dessus du bord, crevant la poche d’air et fronçant les parois minces et translucides. Le dôme se gondola, un cercle de vaguelettes fit tanguer le radeau. Elle tomba, essaya désespérément de rejoindre le radeau. Le dôme se fendit avec fracas, la poche d’air explosa en un nuage de bulles. Elle se trouva coincée entre le radeau flottant et de lourds morceaux de la voûte. Une douloureuse sensation d’éclatement dans son poumon droit lui apprit qu’elle ne se trouvait plus au niveau quatre. Ils montaient à toute vitesse vers la surface ! Elle donna des coups de pied dans les débris. Son bébé cria, lâchant un épais cordon de bulles qui chatouillèrent son sein gauche. Elle essaya d’expirer rapidement, mais déjà les bulles se teintaient de rose.

Les Océanides blessés gémissaient dans l’obscurité. Des débris pesants cahotaient sur les vagues. Un projecteur balaya la scène. Poisson-Lune frappa les joues rebondies du bébé, essayant de le ramener à la vie, mais il ne faisait que trembler, les yeux grands ouverts, silencieux. Elle voulut souffler de l’air dans sa bouche, mais ses propres poumons ne fonctionnaient plus. Elle ne pouvait qu’expulser l’air. Chaque tentative qu’elle faisait pour inspirer résultait en une douleur torturante sous son bras droit : un poumon déchiré. Des élancements poignardaient ses doigts et ses orteils, gagnant les extrémités. Ses contorsions activèrent la phosphorescence à la surface, trahissant sa position. Le projecteur la découvrit. Un harpon néchiffe mit fin à ses souffrances. Une bande de petits poissons affamés accourut, attirée par le sang. Ils trouvèrent aussi Têtard.

Furlong parcourait avec sa suite la chambre froide de Poursuivant Cinq. Il compta les cadavres gelés des Océanides et hocha la tête.

« Soixante-quatre ennemis tués. Bien. Nous n’avons pas eu de pertes. RorqualMaru ne s’est pas montré. »

Le délégué de la Sûreté sourit.

— « Je crois vraiment que nous avons découvert le parfait engin anti-Océanide : le Thon de Fer. En équipant le grappin d’ailerons et d’optiques, on permet au grutier de frapper leurs dômes avec un maximum de précision. Je pense qu’aucun dôme sur ce récif ne nous a échappé. Regardez ces vues prises par les scrutateurs, avant et après l’assaut. Le récif s’appelle Kilomètre Trois. Voyez comme scintillent les dômes occupés : ce sont des cibles faciles. »