Выбрать главу

Les vues passèrent de main en main.

Trois hommes du Contrôle des Chasses retirèrent les barbelures des javelots des dépouilles raidies. « C’est un gibier obtenu sans peine ; une belle provision de protéines. Nous aurons tous les volontaires nécessaires pour ce genre de travail. Cette chasse nocturne avec les projecteurs a beaucoup plu à nos hommes. »

— « Succès sur toute la ligne, par conséquent, » dit Furlong. « N’envoyez pas trop vite ces spécimens au Synthé. Il faut laisser aux Biotechs l’occasion de les examiner, pour voir si nous pouvons apprendre quelque chose. Je sais que nous sommes à court de bonnes protéines, mais elles se conserveront jusqu’à ce qu’on ait fait l’analyse complète de ces créatures : leur corps et leur esprit. Faites-moi parvenir les rapports dès que possible. »

Palourde était blotti dans la poche d’air d’une petite ombrelle. Le pouce de sa main droite était enflé et le lancinait ; il avait été pincé par l’aileron rotatif. Il avait été témoin de la destruction de son village de dômes. Les grappins lui étaient d’abord apparus comme des thons bizarres, dotés d’un œil unique. Leurs projecteurs lui avaient appris que c’étaient des machines, et il avait tenté de leur échapper. Il s’était caché dans une crevasse, jusqu’à ce qu’il ait compris ce que ces machines étaient en train de faire. Il s’était élancé, lorsque les dômes avaient explosé, mais les mécaniques n’avaient eu aucun mal à le repousser. À présent, il était seul.

Dans les ruines, il ne trouva aucune trace de sa famille. Des poissons nécrophages se disputaient des reliefs de nourriture, mais aucun cadavre n’était visible. Il se décomprima au niveau deux, puis partit dans son canoë de polymère explorer la surface. La piste jonchée de débris était facile à suivre. À l’horizon, rien. Le bateau avait disparu.

Au début, Palourde maniait les pagaies avec difficulté, engourdi par le choc, mais chaque nouveau fragment qu’il découvrait excitait sa colère. Cette jatte en bois n’aurait été rien de plus qu’une jatte s’il n’avait reconnu les motifs gravés de sa main. À midi, il se trouvait à la hauteur de la masse principale d’épaves ; de nombreux radeaux, des morceaux de dômes. Il recueillit une couverture qui lui était familière, toute en lambeaux. Quand il découvrit le radeau de son habitation, il y fit monter l’avant de son canot, et se traîna dessus en pleurant. Ses mains coururent sur les textures familières. Un harpon brisé était profondément enfoncé dans le radeau. Les taches de sang racontaient l’histoire. Il resta assis là toute la nuit, le visage caché dans ses mains. De petits poissons furetaient dans les débris.

À l’aube, Palourde se reprit et arpenta le radeau. Il ne restait plus rien de son village. Tous les dômes vivants avaient été systématiquement détruits. Il y avait d’autres villages, sur les autres récifs. Il fallait les prévenir. Il arracha le harpon brisé. Et il lui fallait venger ses morts, tous les morts !

Rorqual poursuivait une bande de Thunnus thynnus ; il transmit les données à la console de Larry. Le semi-humain se tortilla dans son hamac et lut le rapport.

« Thon Bleu, » murmura-t-il. « Deux cents livres. » Il descendit et dévala l’escalier pour se rendre au poste de commandes. Ce qu’on voyait sur le vaste écran était impressionnant. Les yeux de la grue G-2 étaient perçants et captaient tous les détails, la coloration et les courtes nageoires pectorales. ARNOLD vint le rejoindre.

« Un joli troupeau ! » dit Larry. « En capturons-nous quelques-uns pour les îliens ? »

— « Pourquoi pas ? Un par famille, ça n’anéantira pas le troupeau. Et nous en donnerons quelques-uns aux femmes et aux hommes d’équipage, également. » Le capitaine tapota le pupitre du bateau. « Vas-y, mon vieux. Attrapes-en quelques-uns. »

Les grues arrière produisirent des lignes, des cuillères et des leurres, avec des hameçons de douze centimètres. On prit des échantillons de la bande de poissons. Quarante-huit spécimens identiques tombèrent sur le pont arrière, charnus, les yeux fixes. Les matelots néchiffes aux épaisses combinaisons entouraient les Océanides nues qui choisissaient posément les plus beaux pour le repas du soir.

« Lequel voulez-vous ? » demanda ARNOLD.

Six de ses épouses, couvertes de sueur, le regardaient approcher. Leurs bras étaient mouchetés de sang et d’écailles. Elles tenaient des crochets et des couteaux dans leurs mains. Il alla de l’une à l’autre, bavardant, plaisantant et les caressant. Le soleil était haut, le travail pénible. Des coulées de sueur striaient leurs corps. Il s’arrêta devant une jeune mère dont la peau moite était sillonnée des filets blancs de la lactation. Il tendit la main.

« Donne-moi ton couteau. Va nourrir ton enfant. »

Elle passa sous la douche, se rinça à l’eau de mer, et courut allègrement vers l’ascenseur. ARNOLD tourna et retourna le couteau, pensif.

« Il n’y a pas si longtemps, elle aurait essayé de me l’enfoncer dans le corps, » fit-il, rêveusement.

À la tombée du jour, il découvrit l’homme-tronc perché sur le rebord du sabord arrière. Une lumière orangée provenant des logements auréolait la petite forme. Des voix de femmes, de bébés et des bruits d’ustensiles emplissaient l’air.

« Viens manger avec nous, » dit le géant.

— « Je ne prendrai qu’un sandwich de pain complet à la laitue, » dit Larry, descendant du sabord en s’aidant d’une corde à nœuds.

L’une des filles, Langouste, mère de triplés, salua le semi-humain d’un cri aigu et lui offrit une place à côté d’elle. La table était ronde, d’un diamètre de quatre mètres cinquante et haute de cinquante centimètres. Autour d’elle étaient disposés des coussins et des oreillers. Elle avait été installée au milieu de l’ascenseur, qui était arrêté au second niveau. ARNOLD descendit les échelons et aida à porter le lourd plat de steaks de poissons. Ventre Blanc noua autour d’elle son lavalava (en provenance de la fourmilière) et fit le tour de la table, distribuant des corbeilles de pain aux quinze acides et des godets de thé de cirier. Elle fit une place au capitaine auprès d’elle, puisqu’elle était la mère du fils aîné d’ARNOLD. Les autres épouses arrivèrent tout en conversant. Elles apportaient de la salade de pieuvre, du varech comestible, des palourdes à la vapeur, des crabes bouillis, et un assortiment de plats plus anonymes confectionnés par Rorqual.

« Nous devrions atteindre la première île demain, » dit ARNOLD.

— « C’est bon de les voir à nouveau verdoyantes, » dit Larry. « Je comprends pourquoi le gros Har a voulu s’installer là-bas. Je lui ai rempli la tête de visions d’endroits semblables quand nous étions dans l’Entre-Murs. Je suis sûr qu’il ne pourrait être heureux nulle part ailleurs. »

Rorqual pénétra dans la petite baie et posa son menton sur le sable. Il n’y avait aucune trace d’habitation sur l’île verte et luxuriante. Ventre Blanc était inquiète.

« Es-tu sûr que nous ne nous sommes pas trompés d’île ? »

Le bateau superposa posément les deux cartes et projeta l’image obtenue. La topographie et les coordonnées concordaient.

« J’aurais cru qu’en deux ans ils auraient fait quelques aménagements : des maisons, des bateaux, des filets. Mais l’endroit semble plus sauvage que jamais. Est-il possible qu’ils soient partis dans une autre île ? »