Furlong se contenta de sourire avec assurance. Ces Néolithiques simples avaient à leurs problèmes des solutions simples. Une divinité toute-puissante était la plus simple de toutes. Il s’apprêta à se lever pour partir, mais il fut retenu par l’œil scrutateur du thon-mache. Il rapprocha sa chaise et s’assit auprès de la victime des vivisecteurs. Par instants, une faible lumière clignotait dans le couloir obscur, long de plusieurs kilomètres. Des poissons curieux et d’autres représentants de la faune marine surgissaient de l’ombre, puis disparaissaient à toute vitesse, le faisant sursauter à chaque fois.
« Il est vivant ! » cracha Crabe Rouge.
Furlong ignora les divagations du géant. « Ces formes sombres dans la salle des commandes ne sont rien d’autre que des poissons ou des calamars. Attends que l’optique soit plus près… »
Furlong interrompit sa phrase à la vue d’une silhouette incontestablement humaine qui voletait dans la cabine inondée, avec une paire d’ailes dentelées. Et des seins de femme !
« Un ange ! » s’écria Crabe rouge avec conviction. « Je vais assister à la destruction de vos vaisseaux. »
Furlong restait bouche bée. Il se leva lentement.
« Tue ! Tue ! » psalmodiait le prisonnier.
« Ne croyez pas ce que vous voyez, » dit le C.U. « La simulation est évidente. »
L’ange s’avança vers l’optique espion, armé d’une hache. La transmission cessa.
Furlong eut un haut-le-cœur. Il quitta les lieux. Dans le couloir, il rencontra l’un des Biotechs.
« Existe-t-il un moyen de faire souffrir davantage notre prisonnier ? »
— « Davantage ? »
— « Je voudrais le punir pour ses crimes contre la fourmilière. »
Le tech secoua la tête. « Je ne crois pas que ça plairait aux gars du Neuro. Voyez-vous, ils veulent ses molécules cérébrales intactes, pour leur analyse. »
Furlong resta adossé au mur quelques minutes avant de repartir vers la salle du Conseil.
ARNOLD le Faucheux géant déposa les pierres contenues dans son ventre dans de petites pièces de fonte, d’une capacité de plusieurs milliers de tonnes. Il releva un schnorkel et fit entrer de l’air dans son ventre. Il remonta vers les navires de la fourmilière. Tout en restant sous l’eau, il se colla à leurs quilles et se mit à mastiquer leur tendre abdomen. Ils se débattirent brièvement. Il les entoura d’un cocon et les déposa dans la fosse à cinq cents brasses de fond. Remontant à la surface, il se sécha, chevauchant les vagues, léger et rapide. Il rattrapa vite le navire qui remorquait l’épave renflouée. L’oiseau diabolique passa auprès de lui. Il lança vers lui un fil gluant. Il volait très lentement, à ce qu’il lui semblait ; c’était une proie facile. Il le ramena. Il contenait des choses tendres, charnues, savoureuses.
Le navire lança contre ARNOLD des armes classiques. Il les attrapa et les renvoya. Beaucoup explosèrent. ARNOLD les encercla, circonspect, en dévidant un câble de macramé sous-marin.
Poursuivant Cinq coupa le filin qui le reliait à l’épave et se tourna vers Rorqual.
« Capturez-le ! Lancez les grappins des grues avant ! »
— « Monsieur, il a abattu notre vaisseau de Chasse et a avalé ses occupants. Dois-je appuyer sur le bouton de destruction ? »
— « Oui. »
ARNOLD sentit une brûlure au cœur. Il éructa un petit nuage de fumée.
« Il a fixé un câble sous-marin sur notre bateau. Il nous tire vers lui. »
— « Parfait. Mettez en marche les robots tueurs. Préparez-vous à l’abordage. »
Houuup ! Houuup ! Houuup ! Les maches tueuses sortirent de leurs garages et se rangèrent contre le bastingage, brandissant une panoplie de pointes et d’armes de jet.
ARNOLD sentit le crampon s’enfoncer dans son épiderme. Un petit insecte sortit du navire et rampa vers la tourelle abritant son cerveau. Il éprouva le contact du métal sur sa peau et vit l’engin blindé. Il le captura avec sa patte D-3. Il explosa, le brûlant en même temps. Il lança une toile par-dessus la blessure aux bords calcinés. Deux autres insectes se collèrent sur son dos. Il en vit une douzaine encore grouiller contre le bastingage.
« Plonge ! Plonge ! Plonge ! »
« Fermez les panneaux. Rorqual essaie de nous couler en se sabordant. »
« Donnez notre position à la fourmilière. Qu’ils nous envoient des vaisseaux de Chasse chargés d’explosifs. Nous pouvons tenir un certain temps au fond. Ce n’est qu’à soixante mètres de profondeur environ : seulement quinze mètres au-dessus de nos ponts. »
ARNOLD attira le bateau ennemi sous lui et l’enfonça dans le fond sableux et mou. Il se hissa sur lui et s’emplit la panse d’eau pour augmenter son poids. Son propre corps se dressait à trente mètres dans l’air. Il lui fallait au moins quatre-vingt-dix mètres pour plonger avec le bateau ennemi. Ses pattes s’agrippaient, mais il ne parvint pas à entraîner le navire, dont les grues et les ancres étaient déployées. Il essaya de se dégager, mais les mâchoires d’acier le tenaient ferme. Il attendit.
Le premier vaisseau de Chasse fut pris au vol par une toile d’araignée.
« Rorqual ! »
La voix de la fourmilière. ARNOLD resserra son étreinte sur le navire et écouta.
— « Nous détenons quelqu’un de ton peuple en otage. Crabe Rouge, cela te dit-il quelque chose ? »
ARNOLD ouvrit un canal. « Moi, j’ai une quantité d’otages. ».
— « Laisse partir les miens, et je relâcherai Crabe Rouge. Tu peux garder le navire. »
— « Envoyez-moi Crabe Rouge. »
— « Non. Libère d’abord mon équipage. » ARNOLD laissa remonter d’un coup le bateau à la surface, réduisant la pression sur la coque de deux atmosphères. Des bulles d’azote se formèrent dans l’organisme des matelots néchiffes, qui s’écroulèrent sur les ponts, dans la souffrance. Ce spectacle fit revenir Furlong sur sa décision. « Ton homme sera sur la plage dans trois heures. Il sera étendu sur une civière. »
ARNOLD renfonça le bateau dans le sable. La recompression soulagea les souffrances des marins. ARNOLD s’adressa au capitaine, lui expliquant la proposition de la fourmilière. « Il vous faut un temps de recompression. Si vous pouvez obtenir qu’un vaisseau de Chasse ramène l’Océanide, je veillerai à ce que vous ne souffriez plus. »
Le capitaine était trop heureux d’accéder à cette demande. Il était intrigué par les bizarres symptômes du mal des caissons ; les emboles des bulles d’azote avaient paralysé son pied gauche et mis hors de combat la moitié de son équipage. Beaucoup d’hommes étaient morts.
Quatre heures plus tard, l’engin de Chasse vint se poser sur le dos d’ARNOLD. Il demanda un câble générateur pour recharger ses piles épuisées. Un ange s’approcha de l’appareil, ses ailes translucides chatoyant dans le soleil, les seins et le menton arrogamment dressés. Crabe Rouge sortit en chancelant, soutenu par deux Méditechs. Il était emmailloté de bandages, les yeux vitreux, les doigts raides, silencieux. Us se dirigèrent lentement vers la tête-tourelle d’ARNOLD. Celui-ci tourna vers le groupe son énorme récepteur E.M., et vit l’intérieur du corps mutilé. Le Faucheux hurla. L’Océanide captif avait dans le crâne et le thorax des organes mécaniques : la vivisection avait été parachevée, et la fourmilière lui restituait un système musculosquelettique animé.
« Plonge ! Plonge ! Plonge ! »
La muraille d’eau salée surprit "Poursuivant Cinq les écoutilles ouvertes. L’ange femelle regarda mourir les Néchiffes.