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Il les accompagna jusqu’à une vaste salle d’attente.

— Bon, je vais prévenir la famille alors, déclara Gösta, et il s’éloigna un peu pour téléphoner.

Patrik ne lui enviait pas sa mission. La joie et le soulagement que ressentiraient les parents de Victoria d’apprendre qu’elle avait été retrouvée seraient aussitôt remplacés par le même désespoir, la même angoisse qu’ils avaient connus ces quatre derniers mois.

Des images des mutilations de Victoria fusaient dans sa tête quand il prit place sur une des chaises. Ses pensées furent cependant interrompues par une infirmière stressée qui pointa la tête et appela Strandberg. Le médecin sortit tellement vite de la salle d’attente que Patrik eut du mal à comprendre ce qu’elle disait. Dans le couloir, il entendit Gösta parler au téléphone, dire à la famille de Victoria qu’elle avait été retrouvée. Restait à savoir ce qu’on allait leur annoncer à leur arrivée à l’hôpital.

Ricky contempla le visage tendu de sa mère pendant qu’elle téléphonait. Il essaya de décrypter chaque changement d’expression, de comprendre chaque parole. Son cœur battait fort dans sa poitrine et il avait du mal à respirer. Son père était assis à côté de lui, Ricky devina que son cœur battait tout aussi vite. C’était comme si le temps s’était figé, comme s’il avait été stoppé net. Tous leurs sens se trouvaient étrangement aiguisés. Il percevait les autres bruits de la pièce dans leur moindre détail, tout en focalisant son attention sur la conversation téléphonique. Il sentait nettement la nappe en toile cirée sous ses mains crispées, le cheveu qui grattait sous son col, le lino sous ses pieds.

La police avait retrouvé Victoria. C’est la première chose qu’ils comprirent. Sa mère s’était jetée sur le téléphone en reconnaissant le numéro, et Ricky et son père avaient cessé leur mastication morose au moment où elle répondait par un : “Que s’est-il passé ?”

Pas de “bonjour”, pas de formule de politesse, elle n’avait même pas dit son nom en répondant, comme elle le faisait d’habitude. Ces derniers temps, tous les usages — la courtoisie, les règles sociales, ce qu’il fallait faire, ce qui convenait — s’étaient transformés en futilités appartenant à la vie d’avant la disparition de Victoria.

Les voisins, les amis avaient défilé en un flot ininterrompu, apportant de la nourriture et des paroles maladroites de consolation. Ça n’avait pas duré très longtemps. Leurs questions avaient fini par incommoder ses parents — la sollicitude, l’inquiétude, la compassion qu’ils lisaient dans les yeux de tous. Ou le soulagement, toujours ce même soulagement de ne pas être à leur place. De savoir leurs propres enfants en sécurité à la maison.

— On arrive.

Sa mère raccrocha et posa lentement le portable sur le plan de travail vieillot en inox. Pendant des années, elle avait mis la pression sur leur père pour qu’ils le remplacent, elle voulait un plan de travail moderne, mais il marmonnait toujours qu’il n’y avait aucune raison de jeter ce qui est fonctionnel et en bon état. Elle n’avait pas insisté. Elle se contentait d’évoquer le sujet de temps en temps, dans l’espoir que son mari change soudain d’avis.

Ricky ne pensait pas que sa mère se préoccupe encore du plan de travail. C’était étrange comme, du jour au lendemain, plus rien n’avait vraiment d’importance. La seule chose qui comptait, c’était de retrouver Victoria.

— Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

Son père s’était levé, tandis que Ricky restait assis, les yeux rivés sur ses poings fermés. Le visage de sa mère révélait qu’ils n’allaient pas aimer ce qu’elle avait à dire.

— Ils l’ont trouvée. Elle est grièvement blessée, ils l’ont emmenée à l’hôpital d’Uddevalla. Gösta a dit qu’on ferait mieux de venir tout de suite. C’est tout ce que je sais.

Elle fondit en larmes, s’effondra comme si ses jambes ne la portaient plus. Son père eut juste le temps de l’attraper avant qu’elle tombe. Il lui caressa doucement les cheveux en murmurant des “allons, allons”, les larmes ruisselant sur ses joues aussi.

— Il faut qu’on parte maintenant, ma chérie. Mets ta veste, on va y aller. Ricky, aide maman. Moi, je vais démarrer la voiture.

Ricky hocha la tête et s’approcha de sa mère. Prenant son bras, il le passa doucement autour de ses propres épaules et la guida dans le vestibule. Il lui tendit sa doudoune rouge et l’aida à la mettre comme on aide un enfant. Un bras, puis l’autre, avant de remonter la fermeture éclair.

— Voilà, dit-il en posant ses bottes devant elle, puis il s’accroupit et les lui enfila.

Il s’habilla rapidement lui-même et ouvrit la porte d’entrée. Son père avait réussi à démarrer la voiture. Ricky le vit racler les vitres pour enlever le givre qui volait comme un nuage autour de lui, se mélangeant à la vapeur de son souffle.

— Putain d’hiver ! cria-t-il, et il se mit à gratter tellement fort qu’il devait sûrement rayer le pare-brise. Putain de saloperie d’hiver à la con !

— Monte dans la voiture, papa. Je vais le faire.

Ricky lui prit la raclette des mains, après avoir installé sa mère sur le siège arrière. Son père lui obéit sans résister. Ils avaient toujours laissé le père croire qu’il était celui qui décidait dans la famille. Tous les trois — sa mère, Victoria et lui-même — ils avaient un accord tacite : faire comme si Markus menait réellement la barque, alors que tout le monde savait qu’il était trop gentil pour commander qui que ce soit. Du coup, c’était Helena qui veillait subtilement à ce que les choses se fassent à sa façon. Après la disparition de Victoria, sa détermination s’était dégonflée comme une baudruche, au point que Ricky se demandait si elle avait jamais existé. Sa mère avait peut-être toujours été cette femme découragée, affaissée à l’arrière de la voiture, le regard perdu dans le vide. Aujourd’hui, pour la première fois depuis longtemps, il apercevait néanmoins autre chose dans ses yeux, un éclat d’impatience mêlée de panique, allumé par l’appel de la police.

Ricky prit le volant et se plongea dans ses réflexions. Il constata, étonné, que les vides laissés dans une famille se comblaient naturellement. De son propre chef, il s’était avancé pour prendre la place de sa mère. Comme s’il avait en lui une force qu’il avait toujours ignorée.

Victoria lui avait souvent dit qu’il était comme Ferdinand le taureau. Paresseux, bête et brave en façade mais, en cas de besoin, capable de s’opposer à n’importe qui. Il feignait toujours de la frapper pour son “paresseux, bête et brave”, alors que, secrètement, il aimait la façon dont sa sœur le décrivait. Il voulait bien être Ferdinand le taureau. Seulement, il n’avait plus l’esprit assez apaisé pour se contenter de respirer le parfum des fleurs. Ça, il ne pourrait le faire que quand Victoria serait de retour.

Ses larmes commencèrent à couler et il les essuya avec la manche de son blouson. Il ne s’était pas autorisé à imaginer qu’elle ne reviendrait pas. S’il l’avait fait, sa vie entière se serait écroulée.

Maintenant, on avait retrouvé Victoria. Ils ne savaient cependant pas encore ce qui les attendait à l’hôpital. Et il avait le pressentiment qu’il serait sans doute préférable de rester dans l’ignorance.

Helga Persson regarda par la fenêtre de la cuisine. La cour avait retrouvé son calme après l’arrivée tout à l’heure de Marta sur son cheval au galop. Elle vivait ici depuis un bon bout de temps, le cadre lui était familier, même s’il avait été transformé au fil des ans. La vieille grange était toujours là, alors que l’étable des vaches avait été démolie. C’est Helga qui s’était occupée des vaches. Sur son emplacement se dressait désormais l’écurie que Jonas et Marta avaient fait construire pour leur centre équestre.