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Il poussa la précaution jusqu’à se faire suivre de son fils, Lucien, qu’il chargea d’une commission. Il voulait rester seul à la maison.

Enfin, au bout d’une demi-heure, qui lui parut un siècle, il entendit le roulement d’une voiture sous la voûte d’entrée. Mme Fauvel et sa nièce sortaient.

Sans plus attendre, il se précipita dans la chambre de sa femme, et ouvrit le tiroir du chiffonnier où elle serrait ses parures.

Beaucoup des écrins qu’il lui connaissait manquaient, ceux qui restaient – il y en avait dix ou douze – étaient vides.

La lettre anonyme disait vrai.

Cette certitude éclata comme un obus dans le cerveau de M. Fauvel. Et cependant!…

– Non, balbutia-t-il, ce n’est pas possible!

Aussitôt, avec le fol acharnement de l’angoisse et comme si, condamné à mort, il eût l’espoir de trouver sa grâce, il se mit à fouiller partout, à chercher dans tous les meubles, avec un certain ordre cependant, prenant bien garde de ne pas laisser de traces de ses perquisitions.

Mme Fauvel, il le comprenait vaguement, pouvait avoir changé ses bijoux de place, en avoir donné quelques-uns à raccommoder ou à remonter.

Rien, il ne trouvait rien!…

Alors il se souvint du grand bal qu’avaient donné les messieurs Jandidier. Lui, vaniteux, il avait dit à sa femme:

– Pourquoi ne mets-tu pas tes diamants?

Elle avait répondu en souriant:

– À quoi bon? tout le monde les connaît; en n’en portant pas, je serai mieux remarquée; d’ailleurs, ils n’iraient pas avec mon costume.

Oui, elle lui avait dit cela sans se troubler, sans rougir, sans un tremblement dans la voix.

Quelle impudence! quelles corruptions se cachaient donc sous ces apparences de vierge qu’elle gardait après vingt années de mariage!

Mais tout à coup, dans le désarroi de ses pensées, un espoir lui vint, chétif, à peine acceptable, auquel cependant il se raccrocha comme le noyé à son épave.

Ses diamants, Mme Fauvel pouvait les avoir placés dans la chambre de Madeleine.

Sans réfléchir à l’odieux de ses investigations, il courut à cette chambre de jeune fille, et là, comme chez sa femme, il porta partout ses mains brutales, oublieux du respect qu’il devait à ce sanctuaire.

Il ne trouva pas les diamants de Mme Fauvel; mais, dans le coffre à bijoux de Madeleine, il aperçut sept ou huit écrins vides.

Elle aussi, elle avait donné ses parures, elle savait les hontes de la maison, elle était complice.

Ce dernier coup brisa le courage de M. Fauvel.

– Elles s’entendaient pour me tromper, murmurait-il, elles s’entendaient!…

Et anéanti, sans forces, il se laissa tomber sur un fauteuil. De grosses larmes silencieuses tombaient le long de ses joues, et par moments, un soupir profond soulevait sa poitrine.

C’en était fait de sa vie. En un instant, l’édifice de son bonheur, de sa sécurité, de son avenir, qu’il avait mis vingt ans à élever, qu’il croyait d’une solidité à l’épreuve de tous les caprices du sort, volait en éclats, plus fragile que le verre.

En apparence, rien n’était changé dans son existence; il n’était point atteint matériellement; les objets autour de lui restaient les mêmes avec les mêmes aspects, et cependant un bouleversement était survenu, plus inouï, plus surprenant que l’interversion du jour et de la nuit.

Quoi! Valentine, la chaste et jeune fille autrefois tant aimée, dont il avait acheté la possession au prix de sa fortune; Valentine, cette femme qui lui était devenue de plus en plus chère, à mesure qu’ils avaient vieilli, ensemble; cette épouse, incomparable en apparence, le trahissait!…

Elle le trompait… elle… la mère de ses fils!

Cette dernière pensée surtout révoltait tout son être jusqu’au dégoût.

Ses fils!… Amère dérision! Étaient-ils bien à lui? Celle qui maintenant, lorsque déjà des cheveux blancs argentaient ses tempes, le trompait, ne l’avait-elle pas trompé autrefois?

Et non seulement il était torturé dans le présent, mais il souffrait dans le passé, payant par des angoisses inouïes de quelques minutes des années de félicité, transporté de fureur au souvenir de certaines joies intimes, comme un homme qui tout à coup apprendrait que les vins exquis dont il s’est enivré renfermaient du poison.

Car c’est ainsi, la confiance n’admet ni accommodement ni gradations, elle est ou elle n’est pas.

Et lui, il n’avait plus confiance.

Tous les rêves, toutes les espérances de cet homme si malheureux reposaient sur l’amour de cette femme.

Découvrant, à ce qu’il croyait, qu’elle était indigne de lui, il n’admettait nulle possibilité de bonheur et il demandait à quoi bon vivre désormais et pour quelle fin.

Cependant l’état de prostration de M. Fauvel dura peu. Le feu de la colère eut vite séché ses larmes et il se redressa altéré de vengeance, décidé à faire payer cher son bonheur détruit.

Mais il comprenait que sur ce seul indice, des diamants introuvables, il ne pouvait s’abandonner aux inspirations de son ressentiment.

Heureusement, il pouvait sans peine se procurer d’autres preuves.

Pour commencer, il appela son valet de chambre et lui enjoignit de ne remettre qu’à lui seul, le maître, toutes les lettres qui arriveraient à la maison.

Puis il adressa à un notaire de Saint-Rémy, son correspondant, une dépêche télégraphique détaillée, par laquelle il demandait d’exacts renseignements sur la famille de Lagors et de Raoul en particulier.

Enfin, se conformant aux conseils de la dénonciation anonyme, il courut à la préfecture de police, espérant y trouver une biographie de Clameran.

Mais la police, c’est un bonheur pour beaucoup de gens, est discrète comme la tombe même. Ses secrets, elle les garde pour elle seule, comme un avare garde son trésor. Il faut une injonction du parquet pour faire parler les terribles cartons verts qu’elle garde au fond d’une galerie cadenassée comme un coffre-fort.

On demanda poliment à M. Fauvel quelles raisons le poussaient à s’informer du passé d’un citoyen français; et comme il ne pouvait les déduire, on l’engagea à s’adresser au procureur impérial.

Cette insinuation, il ne pouvait l’accepter. Il avait juré que le secret de ses infortunes resterait entre les trois intéressés. Mortellement offensé, il voulait être le seul juge et l’exécuteur.

Il rentra chez lui plus irrité qu’à son départ, et il trouva la dépêche de Saint-Rémy répondant à la sienne:

La famille de Lagors, lui disait-on, comme on l’avait dit à M. Verduret, est dans la dernière des détresses, et personne n’y connaît le sieur Raoul. Mme de Lagors n’a eu de son mariage que des filles, etc…

Cette révélation, c’était la dernière goutte d’eau qui fait verser la coupe. Le banquier pensa qu’il lui était donné de mesurer la profondeur de l’infamie de sa femme. Il lui voyait un raffinement de duplicité plus affreux peut-être que le crime lui-même.

– La misérable! s’écria-t-il, fou de douleur et de rage, la misérable! Pour voir plus librement son amant, pour ne jamais le perdre de vue, elle a osé me le présenter sous le nom d’un neveu qui n’a jamais existé. Elle a eu l’inconcevable impudeur de lui ouvrir ma maison, de le faire asseoir au foyer conjugal entre moi et nos fils. Et moi, honnête homme imbécile, mari confiant et crédule, je l’aimais, ce garçon, je lui serrais les mains, je lui prêtais mon argent…