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Si son cœur lui conseillait le pardon et l’oubli, l’amour-propre offensé lui disait de se souvenir pour se venger.

Sans Raoul, ce misérable qui était là, debout, témoignage vivant d’une faute lointaine, il n’eût pas hésité. Gaston de Clameran était mort, il eût ouvert ses bras à sa femme en lui disant: «Viens, tes sacrifices à mon honneur seront ton absolution, viens, et que tout le passé ne soit qu’un mauvais rêve que dissipe le jour.»

Mais Raoul l’arrêtait.

– Et c’est là votre fils, dit-il à sa femme, cet homme qui vous a dépouillée, qui m’a volé!

Mme Fauvel était trop bouleversée pour pouvoir articuler une syllabe. Heureusement, M. Verduret était là.

– Oh! répondit-il, madame vous dira qu’en effet ce jeune homme est le fils de Gaston de Clameran, elle le croit, elle en est sûre… seulement…

– Eh bien!…

– Pour la dépouiller plus aisément, on l’a indignement trompée.

Depuis un moment déjà, Raoul manœuvrait habilement pour se rapprocher de la porte. S’imaginant que personne en ce moment ne songeait à lui, il voulut fuir…

Mais M. Verduret, qui avait prévu le mouvement, guettait Raoul du coin de l’œil et l’arrêta au moment où il disparaissait.

– Où allez-vous donc ainsi, mon joli garçon? disait-il en le ramenant au milieu de la chambre, nous voulions donc fausser compagnie à nos amis? Ce n’est pas gentil. Avant de se séparer, que diable! on s’explique!

L’air goguenard de M. Verduret, ses intonations railleuses, furent pour Raoul autant de traits de lumière. Il recula épouvanté en murmurant:

– Le Paillasse!

– Juste! répondit le gros homme, tout juste. Ah! vous me reconnaissez! Alors j’avoue. Oui, je suis le joyeux Paillasse du bal de messieurs Jandidier. En doutez-vous?

Il releva la manche de son paletot, mit son bras à nu et poursuivit:

– Si vous n’êtes pas bien convaincu, examinez cette cicatrice toute fraîche. Ne connaîtriez-vous pas le maladroit qui, une belle nuit que je passais rue Bourdaloue, est tombé sur moi, un couteau ouvert à la main?… Ah! vous ne niez pas?… C’est autant de gagné. En ce cas, vous allez être assez aimable pour nous conter votre petite histoire…

Mais Raoul était en proie à une de ces terreurs qui contractent la gorge et empêchent de prononcer un mot.

– Vous vous taisez? reprit M. Verduret, seriez-vous donc modeste? Bravo!… La modestie sied au talent, et vrai, pour votre âge, vous êtes un coquin assez réussi.

M. Fauvel écoutait sans comprendre.

– Dans quel abîme de honte sommes-nous donc tombés! gémissait-il.

– Rassurez-vous, monsieur, répondit M. Verduret redevenu sérieux. Après ce que j’ai été contraint de vous apprendre, ce qu’il me reste à vous dire n’est plus rien. Voici le complément de l’histoire:

» En quittant Mihonne, qui venait de lui révéler les… malheurs de mademoiselle Valentine de La Verberie, Clameran n’a rien eu de plus pressé que de se rendre à Londres.

» Bien renseigné, il eut vite retrouvé la digne fermière à laquelle la comtesse avait confié le fils de Gaston.

» Mais là, une déconvenue l’attendait.

» On lui apprit que cet enfant, inscrit à la paroisse sous le nom de Raoul-Valentin Wilson, était mort du croup, à l’âge de dix-huit mois.

Raoul essaya de protester.

– On a dit cela?… commença-t-il.

– On l’a dit, oui, mon joli garçon, et on l’a aussi écrit. Me croyez-vous homme à me contenter de propos en l’air?

Il sortit de sa poche divers papiers ornés de timbres officiels qu’il posa sur la table.

– Voici, poursuivit-il, les déclarations de la fermière, de son mari et de quatre témoins; voici encore un extrait du registre des naissances, voici enfin un acte de décès en bonne et due forme, le tout légalisé par l’ambassade française. Êtes-vous content, mon joli garçon, vous tenez-vous pour satisfait?

– Mais alors?… interrogea le banquier.

– Alors, reprit M. Verduret, Clameran s’imagina qu’il n’avait pas besoin de l’enfant pour tirer de l’argent de monsieur Fauvel; il se trompait. Sa première démarche échoua. Que faire? Le gredin est inventif. Parmi tous les bandits de sa connaissance – et il en connaît un certain nombre! -, il choisit celui que vous voyez devant vous.

Mme Fauvel était dans un état à faire pitié, et cependant elle renaissait à l’espérance. Son anxiété, pendant si longtemps, avait été si atroce, qu’elle éprouvait à voir la vérité comme un affreux soulagement.

– Est-ce possible! balbutiait-elle, est-ce possible!

– Quoi! disait le banquier, on peut à notre époque combiner et exécuter de telles infamies!

– Tout cela est faux! affirma audacieusement Raoul.

C’est à Raoul seul que M. Verduret répondit:

– Monsieur désire des preuves? fit-il avec une révérence ironique, monsieur va être servi. Justement, je quitte à l’instant un de mes amis, monsieur Pâlot, qui arrive de Londres, et qui est fameusement renseigné. Dites-moi donc ce que vous pensez de cette petite histoire qu’il vient de me conter:

» Vers 1847, lord Murray, qui est un grand et généreux seigneur, avait un jockey nommé Spencer, qu’il affectionnait particulièrement.

» Aux courses d’Epsom, cet habile jockey tomba si malheureusement qu’il se tua.

» Voilà lord Murray au désespoir, et comme il n’avait pas d’enfants, il déclara qu’il entendait se charger de l’avenir du fils de Spencer, lequel fils avait alors quatre ans.

» Le lord tint parole. James Spencer fut élevé comme l’héritier d’un grand seigneur. C’était un enfant charmant, heureusement doué d’un extérieur séduisant, ayant une intelligence vive et nette.

» Jusqu’à seize ans, James donna à son protecteur toutes les satisfactions imaginables. Malheureusement, il fit, à cet âge, de mauvaises connaissances et ma foi! tourna mal.

» Lord Murray qui était l’indulgence même, pardonna bien des fautes, mais un beau jour, ayant découvert que son fils adoptif s’amusait à imiter sa signature sur des lettres de change, indigné, il le chassa.

» Or, il y avait quatre ans que James Spencer vivait à Londres du jeu et de diverses autres industries, lorsqu’il rencontra Clameran qui lui offrit vingt-cinq mille francs pour jouer un rôle dans une comédie de sa façon…

Raoul n’avait pas besoin d’en entendre davantage.

– Vous êtes un agent de la police de sûreté? demanda-t-il.

Le gros homme eut un bon sourire.

– En ce moment, répondit-il, je ne suis qu’un ami de Prosper. Selon que vous agirez, je serai ceci ou cela.

– Qu’exigez-vous?

– Où sont les trois cent cinquante mille francs volés?

Le jeune bandit hésita un moment.

– Ils sont ici, répondit-il enfin.

– Bien!… cette franchise vous sera comptée. En effet, les trois cent cinquante mille francs sont ici; je le savais, et je sais aussi qu’ils sont cachés dans le bas du placard que voici. Restituez-vous?…

Raoul comprit que la partie était perdue, il courut au placard et en retira plusieurs liasses de billets de banque et un énorme paquet de reconnaissances du Mont-de-Piété.