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Ni son mari, ni ses fils ne soupçonneraient jamais les pensées qui l’agitaient, elle était tranquille de ce côté, mais elle redoutait sa nièce.

Il lui semblait que lorsqu’elle était rentrée, Madeleine avait arrêté sur elle des regards singuliers. Se doutait-elle donc de quelque chose? Elle l’avait depuis plusieurs jours poursuivie de questions étranges. Il fallait se défier d’elle.

Cette inquiétude changea en une sorte de haine l’affection qu’avait Mme Fauvel pour sa fille d’adoption.

Elle si bonne, si aimante, elle eut regret de l’avoir recueillie et de s’être ainsi donnée un de ces vigilants espions à qui rien n’échappe. Comment se dérober, se demandait-elle, à cette sollicitude inquiète du dévouement, à cette pénétration d’une jeune fille qui s’était habituée à suivre sur son visage la trace de ses plus fugitives émotions?

C’est avec une indicible joie qu’elle découvrit un moyen à sa portée.

Depuis deux ans bientôt, il était question d’un mariage entre Madeleine et le caissier de la maison, Prosper Bertomy, le protégé du banquier. Mme Fauvel se dit qu’elle n’avait qu’à s’occuper de cette union et à la presser autant que possible.

Madeleine mariée irait habiter avec son mari et lui laisserait la libre disposition de ses journées.

Le soir même, elle osa parler la première de Prosper et, avec une duplicité dont elle eût été incapable quelques jours plus tôt, elle arracha le dernier mot de Madeleine.

– Ah! c’est ainsi, mademoiselle la mystérieuse, disait-elle gaiement, que vous vous permettez de choisir entre tous vos soupirants sans ma permission!

– Mais, ma bonne tante, il me semble…

– Quoi! que je devais deviner? c’est ce que j’ai fait.

Elle prit un air sérieux, et ajouta:

– Cela étant, il ne reste plus qu’à obtenir le consentement de maître Prosper. Le donnera-t-il?

– Lui! ma tante. Ah! s’il avait osé!…

– Ah! vraiment, tu sais cela, mademoiselle ma nièce?…

Intimidée, confuse, toute rouge, Madeleine baissait la tête, Mme Fauvel l’attira vers elle:

– Chère enfant, poursuivait-elle, de sa plus douce voix, pourquoi craindre? N’as-tu donc pas deviné, toi, si rusée, que depuis longtemps ton secret est le nôtre? Prosper serait-il donc admis à notre foyer comme s’il était de la famille, s’il n’était d’avance agréé par ton oncle et par moi?

Un peu pour cacher sa joie, peut-être, Madeleine se jeta au cou de sa tante en murmurant:

– Merci! oh! merci, tu es bonne, tu m’aimes…

De son côté, Mme Fauvel se disait: je vais, sans retard, engager André à encourager Prosper; avant deux mois ces enfants peuvent être mariés.

Malheureusement, emportée dans le tourbillon d’une passion qui ne lui laissait pas une minute de réflexion, elle remit ce projet.

Passant à l’hôtel du Louvre, près de Raoul, une partie de ses journées, elle ne cessait de rêver aux moyens de lui préparer une position et de lui assurer une fortune indépendante.

Elle n’avait encore osé lui parler de rien.

À mesure qu’elle le connaissait mieux, qu’il se livrait davantage, elle croyait découvrir en lui tout le noble orgueil de son père et des fiertés si susceptibles qu’elle tremblait d’être repoussée.

Sérieusement elle se demandait s’il consentirait jamais à accepter d’elle la moindre des choses.

Au plus fort de ses hésitations, le marquis Louis de Clameran vint à son secours.

Elle l’avait revu souvent, depuis ce jour où il l’avait tant effrayée, et à sa répulsion première succédait une secrète sympathie. Elle l’aimait pour toute l’affection qu’il témoignait à son fils.

Si Raoul, insoucieux comme on l’est à vingt ans, se moquait de l’avenir, Louis, cet homme de tant d’expérience, paraissait vivement préoccupé du sort de son neveu.

C’est pourquoi, un jour, après quelques considérations générales, il aborda cette grave question d’une situation:

– Vivre ainsi que le fait mon beau neveu, commença-t-il, est charmant sans doute; seulement ne serait-il pas sage à lui de penser à s’assurer un état dans le monde? Il n’a aucune fortune…

– Eh! cher oncle, interrompit Raoul, laisse-moi donc être heureux sans remords; que me manque-t-il?

– Rien en ce moment, mon beau neveu; mais quand tu auras épuisé tes ressources et les miennes – et ce ne sera pas long -, que deviendras-tu?

– Bast! je m’engagerai, tous les Clameran sont soldats de naissance, et s’il survient une guerre!…

Mme Fauvel l’arrêta en lui mettant doucement sa main devant la bouche.

– Méchant enfant! disait-elle d’un ton de reproche, te faire soldat!… Tu veux donc me priver du bonheur de te voir?

– Non! mère chérie, non…

– Tu vois bien, insista Louis, qu’il faut nous écouter.

– Je ne demande pas mieux, mais plus tard. Je travaillerai, je gagnerai énormément d’argent.

– À quoi? pauvre enfant; comment?

– Dame!… je ne sais pas; mais soyez tranquille, je chercherai, je trouverai.

Il était difficile de faire entendre raison à ce jeune présomptueux. Louis et Mme Fauvel eurent à ce sujet de longs entretiens, et ils se promirent bien de lui forcer la main.

Seulement, choisir une profession était malaisé, et Clameran pensa qu’il serait prudent de réfléchir, de consulter les goûts du jeune homme. En attendant, il fut convenu que Mme Fauvel mettrait à la disposition du marquis de quoi subvenir à toutes les dépenses de Raoul.

Voyant en ce frère de Gaston un père pour son enfant, Mme Fauvel en était venue rapidement à ne plus pouvoir se passer de lui. Sans cesse elle avait besoin de le voir, soit pour le consulter au sujet d’idées qui lui venaient, soit pour lui adresser mille recommandations.

Aussi fut-elle très satisfaite, le jour où il lui demanda de lui faire l’honneur de le recevoir chez elle ouvertement.

Rien n’était si facile. Elle présenterait à son mari le marquis de Clameran comme un vieil ami de sa famille, et il ne tiendrait qu’à lui de devenir un intime.

Mme Fauvel ne devait pas tarder à s’applaudir de cette décision.

Ne pouvant absolument continuer à voir Raoul tous les jours; n’osant, si elle lui écrivait, recevoir ses réponses, elle avait de ses nouvelles par Louis.

Les nouvelles ne restèrent pas longtemps bonnes, et moins d’un mois après le jour où Mme Fauvel avait retrouvé son fils, Clameran lui avoua que Raoul commençait à l’inquiéter sérieusement.

Le marquis s’exprimait d’un ton et d’un air à donner froid au cœur d’une mère, non sans embarras pourtant, en homme qui, pour remplir un devoir, triomphe de vives répugnances.

– Qu’y a-t-il? demanda Mme Fauvel.

– Il y a, répondit Louis, qu’en ce jeune homme je retrouve l’orgueil et les passions des Clameran. Il est de ces natures dont rien n’arrête les emportements, que les obstacles irritent, que les représentations exaspèrent, et je ne vois pas de digue à opposer à ses violences.