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Tout autre était le caractère de Madeleine. Sa timidité cachait une âme virile. Décidée à un sacrifice, elle le faisait complet, absolu, elle fermait la porte aux illusions décevantes et marchait droit en avant sans retourner la tête.

– Mieux vaut en finir, chère tante, dit-elle d’un ton ferme. Crois-moi, la réalité du malheur est moins pénible que son attente. Résisterais-tu à ces alternatives de douleur et de joie? Sais-tu ce qu’ont fait de toi les anxiétés que tu dissimules? T’es-tu vue depuis quatre mois?

Elle prit sa tante par la main, et, la conduisant devant une glace:

– Tiens, ajouta-t-elle, regarde-toi.

Mme Fauvel n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle était arrivée à cet âge perfide où la beauté d’une femme, comme celle d’une rose pleinement épanouie, se flétrit en un jour.

En quatre mois, elle avait vieilli. Le chagrin avait mis sur son front son empreinte fatale. Ses tempes, fraîches et lisses comme celles d’une jeune fille, se plissaient, des fils blancs argentaient les masses de sa chevelure.

– Comprends-tu, maintenant, poursuivait Madeleine, pourquoi la sécurité t’est nécessaire. Comprends-tu que tu as changé à ce point que c’est miracle que mon oncle ne s’en soit pas inquiété?

Mme Fauvel, qui croyait avoir déployé une dissimulation supérieure, eut un geste négatif.

– Eh! pauvre tante, n’ai-je pas deviné, moi, que tu avais un secret!

– Toi!…

– Oui! seulement j’avais cru… Oh! pardonne un soupçon injuste, j’avais osé supposer…

Elle s’interrompit toute troublée, et il lui fallut un grand effort pour ajouter:

– Je m’imaginais que peut-être tu aimais un autre homme que mon oncle.

Mme Fauvel ne put retenir un gémissement. Le soupçon de Madeleine, d’autres pouvaient l’avoir eu.

– L’honneur est perdu, murmura-t-elle.

– Non, chère tante; non! s’écria la jeune fille, rassure-toi et reprends courage: nous serons deux pour lutter maintenant; nous nous défendrons, nous nous sauverons.

M. le marquis de Clameran dut être content, ce soir-là. Une lettre de Mme Fauvel lui annonça qu’elle consentait à tout. Elle demandait seulement un peu de temps. Madeleine, lui disait-elle, ne pouvait rompre du jour au lendemain avec M. Bertomy. Puis, on devait s’attendre à des objections de la part de M. Fauvel, lequel aimait Prosper et l’avait tacitement agréé.

Une ligne de Madeleine, au bas de la lettre de sa tante, assurait son concours.

Pauvre jeune fille! elle ne se ménageait pas. Le lendemain même, elle avait pris Prosper à part, et, abusant de son ascendant sur lui, elle lui avait arraché cette fatale promesse de ne plus chercher à la revoir, et même de prendre sur lui la responsabilité de cette rupture.

Il avait conjuré Madeleine de lui dire au moins les raisons de cet exil qui allait briser sa vie, elle lui avait simplement répondu que son honneur et son bonheur à elle dépendaient de son obéissance.

Et il s’était éloigné la mort dans l’âme.

Presque sur ses pas, le marquis de Clameran arrivait.

Oui, il avait l’audace de venir, en personne, annoncer à Mme Fauvel que, du moment qu’il avait sa parole et celle de sa nièce, il consentait à attendre.

Tenant, à cette heure, la tante et la nièce, il était sans inquiétudes. Il se disait que le moment viendrait où un déficit impossible à combler leur ferait souhaiter et presser son mariage.

Or Raoul faisait tout pour hâter ce moment.

Mme Fauvel étant allée, plus tôt que d’ordinaire, habiter sa propriété, Raoul, de son côté, s’était installé au Vésinet.

Mais la campagne ne le rendait pas plus économe. Peu à peu, il avait dépouillé toute hypocrisie, il ne venait plus voir sa mère que quand il avait besoin d’argent, et il lui en fallait souvent et beaucoup.

Quant au marquis, il se tint prudemment à l’écart, guettant l’heure propice, et c’est au hasard d’une rencontre que, trois semaines plus tard, il dut d’être invité à dîner chez le banquier.

C’était un grand dîner, et il y avait bien une vingtaine de convives.

On venait de servir le dessert, et les conversations s’animaient, lorsque le banquier, tout à coup, se retourna vers Clameran.

– J’avais, monsieur le marquis, dit-il, un renseignement à vous demander. Avez-vous des parents portant votre nom?

– Pas que je connaisse, du moins, monsieur.

– C’est que moi, depuis huit jours, je connais un autre marquis de Clameran.

Si cuirassé d’impudence que fût le marquis de Clameran, si armé que fut son esprit contre toutes les surprises des événements, il fut un instant déconcerté et pâlit.

– Oh! oh! balbutia-t-il, non sans un énergique effort de volonté, un Clameran, marquis… le marquisat au moins m’est suspect.

M. Fauvel n’était pas fâché de trouver une occasion de taquiner un hôte dont les prétentions nobiliaires l’avaient parfois agacé.

– Marquis ou non, reprit-il, le Clameran en question me paraît en état de faire honneur au titre.

– Il est riche.

– J’ai tout lieu, du moins, de lui supposer une grande fortune. J’ai été chargé, pour son compte, par un de mes correspondants, d’un recouvrement de quatre cent mille francs.

Clameran était merveilleusement maître de soi. Il avait accoutumé son visage à ne rien trahir du mouvement de son âme. Cependant, cette fois, l’aventure était si bizarre, si surprenante, elle présageait de telles menaces, que son assurance habituelle, son coup d’œil prompt lui faisaient défaut.

Il trouvait au banquier un ton ironique, un air singulier qui le mettaient en défiance.

Pour les gens qui n’étaient pas intéressés à l’observer, il restait le même. Mais Madeleine et sa tante avaient surpris ses tressaillements, elles avaient saisi un regard rapide adressé à Raoul.

– Il paraît, fit-il, que ce nouveau marquis est négociant.

– Ma foi! vous m’en demandez trop. Tout ce que je sais, c’est que les quatre cent mille francs devaient lui être versés par des armateurs du Havre, après la vente de la cargaison d’un navire brésilien.

– C’est qu’alors il arrive du Brésil?

– Je l’ignore, mais je puis, si vous le désirez, vous dire son prénom.

– Volontiers.

Le banquier se leva et alla prendre dans le salon une serviette de maroquin marquée à son chiffre. Il en sortit un carnet et se mit à parcourir en bredouillant à demi-voix les noms qui s’y trouvaient inscrits.

– Attendez, faisait-il, attendez…; du 22, non, c’est plus tard… Ah! nous y voici: Clameran, Gaston… Il se nomme Gaston.

Mais Louis, cette fois, ne sourcilla pas; il avait eu le temps de se reconnaître et de faire provision d’audace pour parer n’importe quel coup.

– Gaston!… répondit-il d’un air dégagé, j’y suis. Ce monsieur doit être le fils d’une sœur de mon père dont le mari habitait la Havane. Revenant en France il aura pris sans façon le nom de sa mère, plus sonore que celui de son père, lequel, si j’ai bonne mémoire, s’appelait Moirot ou Boirot.