Выбрать главу

C’est dire avec quel empressement il courut au-devant de M. Verduret jusqu’au milieu de l’escalier.

– Que savez-vous? disait-il; qu’avez-vous appris? Avez-vous vu Madeleine? Raoul et Clameran étaient-ils au bal?

Mais M. Verduret n’a pas l’habitude de causer dans les endroits où on peut l’entendre.

– Avant tout, répondit-il, entrons chez vous, et commencez par me donner un peu d’eau pour laver ce bobo qui me cuit comme le feu.

– Ciel! vous êtes blessé!

– Oui, c’est un souvenir de votre ami Raoul. Ah! il apprendra ce qu’il en coûte pour entamer la peau que voilà.

La colère froide de M. Verduret-Paillasse avait quelque chose de si menaçant que Prosper en restait interdit. Lui, cependant, avait fini de panser son bras.

– Maintenant, dit-il à Prosper, causons. Nos ennemis sont prévenus, il s’agit de les frapper avec la rapidité de la foudre.

M. Verduret s’exprimait d’un ton bref et impérieux, que Prosper ne lui connaissait pas.

– Je me suis trompé, disait-il, j’ai fait fausse route; c’est un accident qui arrive aux plus malins. J’ai pris l’effet pour la cause, il faut bien que je le confesse. Le jour où j’ai cru être assuré que des relations coupables existaient entre Raoul et madame Fauvel, j’ai cru tenir le bout du fil qui devait nous conduire à la vérité. J’aurais dû me méfier, c’était trop simple, trop naturel.

– Supposez-vous madame Fauvel innocente?

– Non, certes, mais elle n’est pas coupable dans le sens que je croyais. Quelles étaient mes suppositions? Je m’étais dit: éprise d’un jeune et séduisant aventurier, madame Fauvel lui a fait cadeau du nom d’une de ses parentes et l’a présenté à son mari comme son neveu. Le stratagème était adroit pour ouvrir à l’adultère les portes de la maison. Elle a commencé par lui donner tout l’argent dont elle pouvait disposer; plus tard elle lui a confié ses bijoux, qu’il portait au Mont-de-Piété; enfin, ne possédant plus rien, elle l’a laissé puiser à la caisse de son mari. Voilà ce que je pensais.

– Et de cette façon, tout s’expliquait.

– Non, tout ne s’expliquait pas, je le savais, et c’est en cela que j’ai agi avec une déplorable légèreté. Comment, avec mon premier système, expliquer l’empire de Clameran?

– Clameran est simplement le complice de Lagors.

– Ah! voilà où est l’erreur. Moi aussi, j’ai cru longtemps que Raoul était tout, la vérité est qu’il n’est rien. Hier, dans une discussion qui s’était élevée entre eux, le maître de forges a dit à son ancien ami: «Et, surtout, mon petit, ne t’avise pas de me résister, je te briserais comme verre.» Tout est là. Le fantastique Lagors est, non la créature de madame Fauvel, mais l’âme damnée de Clameran.

» Et encore, reprit-il, est-ce que nos suppositions premières nous donnaient la raison de l’obéissance résignée de Madeleine? C’est à Clameran et non à Lagors qu’obéit Madeleine.

Prosper essaya de protester.

M. Verduret haussa imperceptiblement les épaules. Pour convaincre Prosper, il n’avait à prononcer qu’un mot; il avait simplement à dire que trois heures auparavant Clameran lui avait annoncé son mariage avec Madeleine.

Ce mot, il commit la faute de ne le point prononcer.

Persuadé qu’il arriverait à temps pour rompre ce mariage, il ne voulait pas ajouter cette inquiétude aux soucis de son jeune protégé.

– Clameran, poursuivit-il, Clameran seul tient madame Fauvel. Or, comment la tient-il, quelle arme terrible assure son mystérieux pouvoir? Il résulte de renseignements positifs qu’ils se sont vus il y a quinze mois pour la première fois depuis leur jeunesse, et la réputation de madame Fauvel a toujours été au-dessus de la médisance. C’est donc dans le passé qu’il faut chercher le secret de cette domination d’une part, de cette résignation de l’autre.

– Nous ne saurons rien, murmura Prosper.

– Nous saurons tout, au contraire, quand nous connaîtrons le passé de Clameran. Ah! quand ce soir j’ai prononcé le nom de son frère Gaston, Clameran a pâli et reculé comme à la vue d’un fantôme. Et moi, je me suis souvenu que Gaston est mort subitement, lors d’une visite de son frère.

– Croyez-vous donc à un meurtre!…

– Je puis tout croire de gens qui ont voulu m’assassiner. Le vol, mon cher enfant, n’est plus en ce moment qu’un détail secondaire. Il est aisé à expliquer, ce vol, et si ce n’était que cela, je vous dirais: ma tâche est finie, allons trouver le juge d’instruction et lui demander un mandat.

Prosper s’était levé, la poitrine gonflée, l’œil brillant d’espoir.

– Oh! vous savez… Est-ce possible!…

– Oui, je sais qui a donné la clé, je sais qui a donné le mot.

– La clé!… peut-être c’était celle de monsieur Fauvel. Mais le mot…

– Le mot! malheureux, c’est vous qui l’avez livré. Vous avez oublié, n’est-ce pas? Votre maîtresse, heureusement, a eu de la mémoire pour deux. Vous souvient-il d’avoir, deux jours avant le vol, soupé avec madame Gypsy, Lagors et deux autres de vos amis? Nina était triste. Vers la fin du souper, elle vous fit une querelle de femme délaissée.

– En effet, j’ai ce souvenir bien présent.

– Alors, vous savez ce que vous avez répondu?

Prosper chercha un moment et répondit:

– Non.

– Eh bien! pauvre imprudent, vous avez dit à Nina: «Tu as bien tort de me reprocher de ne pas penser à toi, car, à cette heure, c’est ton nom aimé qui garde la caisse de mon patron.»

Prosper eut un geste fou: la vérité, comme un obus, éclatait dans son cerveau.

– Oui! s’écria-t-il, oui, je me souviens.

– Alors, vous comprenez le reste. Un des deux est allé trouver madame Fauvel et l’a contrainte de lui remettre la clé de son mari. À tout hasard, le misérable a placé les boutons mobiles sur le nom de Gypsy. Les trois cent cinquante mille francs ont été pris. Et sachez bien que madame Fauvel n’a obéi qu’à des menaces terribles. Elle était mourante, le lendemain du vol, la pauvre femme, et c’est elle qui, au risque de se perdre, vous a envoyé dix mille francs.

– Mais qui a volé? Est-ce Raoul? est-ce Clameran? Quels sont sur madame Fauvel leurs moyens d’action? Comment Madeleine est-elle mêlée à ces infamies?

– À ces questions, mon cher Prosper, je ne sais encore que répondre, et c’est pour cela que nous n’allons pas encore trouver le juge. Je vous demande dix jours. Si dans dix jours je n’ai rien surpris, je reviendrai, et nous irons conter à monsieur Patrigent ce que nous savons.

– Comment, vous partez donc?