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Lancé à toute vitesse, il alla se heurter contre, et fut renversé en arrière, non sans se faire un mal affreux à la hanche.

Il se releva promptement, mais les autres étaient sur lui.

Il fallait se dégager ou mourir.

Le malheureux! Il avait gardé à la main son couteau sanglant, il frappa; un homme encore tomba en poussant un gémissement terrible.

Ce second coup lui donna un moment de répit, fugitif comme l’éclair, mais qui lui permit de tourner la barrière et de s’élancer sur la levée.

Deux des poursuivants s’étaient agenouillés près du blessé, cinq reprirent la chasse avec une ardeur plus endiablée.

Mais Gaston était leste, mais l’horreur de la situation triplait son énergie; échauffé par la lutte, il ne sentait aucune de ses blessures, il allait, les coudes au corps, ménageant son haleine, rapide comme un cheval de course.

Bientôt il distança ceux qui le poursuivaient: le souffle de leur respiration haletante s’éloignait, le bruit de leurs pas arrivait moins distinct; enfin, on n’entendit plus rien.

Cependant Gaston courut pendant plus d’un quart de lieue encore, il avait pris les champs, franchissant les haies, sautant les fossés, et c’est lorsqu’il fut bien convaincu que le rejoindre était impossible, qu’il se laissa tomber au pied d’un arbre.

Cependant, il ne pouvait rester étendu là. Nul doute que la force armée ne fût prévenue. On le cherchait déjà. On était sur ses traces. On allait à tout hasard venir au château de Clameran, et avant de s’éloigner, peut-être pour toujours, il voulait voir son père, il voulait, une fois encore, serrer Valentine entre ses bras.

Quand, après une route affreusement pénible, il sonna à la grille du château, il était plus de dix heures.

À sa vue, le vieux valet qui était venu lui ouvrir recula, terrifié.

– Grands dieux! monsieur le comte, que vous est-il arrivé?

– Silence! fit Gaston, de cette voix rauque et brève que donne la conscience d’un danger imminent, silence! Où est mon père?

– Monsieur le marquis est dans sa chambre avec monsieur Louis; monsieur le marquis a été pris de sa goutte, ce tantôt, il ne peut bouger; mais vous, monsieur…

Gaston ne l’entendait plus. Il avait gravi rapidement le grand escalier et entrait dans la chambre où son père et son frère jouaient au trictrac.

Son aspect impressionna le vieux marquis à ce point qu’il lâcha le cornet qu’il tenait.

Et, certes, cette impression s’expliquait. Le visage, les mains, les vêtements de Gaston étaient couverts de sang.

– Qu’y a-t-il? demanda le marquis.

– Il y a, mon père, que je viens vous embrasser une dernière fois et vous demander les moyens de fuir, de passer à l’étranger.

– Vous voulez fuir?

– Il le faut, mon père, et sur-le-champ, à l’instant; on me poursuit, on me traque, dans un moment la gendarmerie peut être ici. J’ai tué deux hommes.

Le choc reçu par le marquis fut tel que, oubliant sa goutte, il essaya de se dresser. La douleur le recoucha sur son fauteuil.

– Où? quand? interrogea-t-il d’une voix affreusement altérée.

– À Tarascon, dans un café, il y a une heure, ils étaient quinze, j’étais seul, j’ai pris un couteau!

– Toujours les gentillesses de 93, murmura le marquis. On vous avait insulté, comte?

– On insultait devant moi une noble jeune fille.

– Et vous avez châtié les drôles? Jarnibleu! vous avez bien fait. Où a-t-on vu jamais qu’un gentilhomme laissât en sa présence des faquins manquer à une personne de qualité! Mais de qui avez-vous pris la défense?

– De mademoiselle Valentine de La Verberie.

– Oh! fit le marquis, oh!… de la fille de cette vieille sorcière. Jarnitonnerre! Ces La Verberie, que Dieu les écrase, nous ont toujours porté malheur.

Certes, il abominait la comtesse, mais en lui le respect de la race parlait plus haut que le ressentiment. Il ajouta donc:

– N’importe! comte, vous avez fait votre devoir.

Gaston n’était pas aussi abîmé qu’il le croyait. À l’exception d’un coup de couteau, un peu au-dessous de l’épaule gauche, ses autres blessures étaient légères.

Après avoir reçu les soins que réclamait son état, Gaston se sentit un autre homme, prêt à braver de nouveaux périls; une énergie nouvelle étincelait dans ses yeux.

D’un signe, le marquis fit retirer les domestiques.

– Et, maintenant, demanda-t-il à Gaston, vous croyez devoir passer à l’étranger?

– Oui, mon père.

– Et il n’y a pas un instant à perdre, fit observer Louis.

– C’est vrai, répondit le marquis; mais, pour fuir, pour passer à l’étranger, il faut de l’argent, et je n’en ai pas à lui donner, là, sur-le-champ.

– Mon père!…

– Non, je n’en ai pas! Ah! vieux fou prodigue que je suis, vieil enfant imprévoyant!… Ai-je seulement cent louis ici!…

Sur ses indications, son second fils, Louis, ouvrit le secrétaire.

Le tiroir servant de caisse renfermait neuf cent vingt francs en or.

– Neuf cent vingt francs!… s’écria le marquis; ce n’est pas assez. L’aîné de notre maison ne peut fuir avec cette misérable somme, il ne le peut…

Visiblement désespéré, le vieux marquis resta un moment abîmé dans ses réflexions. À la fin, prenant un parti, il ordonna à Louis de lui apporter une petite cassette de fer ciselé placée sur la tablette inférieure du secrétaire.

Le marquis de Clameran portait au cou, suspendue à un ruban noir, la clé de la cassette.

Il l’ouvrit, non sans une violente émotion, que remarquèrent ses enfants, et en tira lentement un collier, une croix, des bagues et divers autres bijoux.

Sa physionomie avait pris une expression solennelle.

– Gaston, mon fils bien-aimé, dit-il, votre vie, à cette heure, peut dépendre d’une récompense donnée à propos à qui vous aidera.

– Je suis jeune, mon père, j’ai du courage.

– Écoutez-moi. Ces bijoux que je tiens là sont ceux de la marquise votre mère, une sainte et noble femme, Gaston, qui du Ciel veille sur nous. Ces bijoux ne m’ont jamais quitté. En mes jours de misère, pendant l’émigration, à Londres, quand je donnais pour vivre des leçons de clavecin, je les conservais pieusement. Jamais l’idée de les vendre ne m’est venue, les engager même m’eût paru un sacrilège. Mais aujourd’hui… prenez ces parures, mon fils, vous les vendrez, elles valent une vingtaine de mille livres…