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Ce voyage, Valentine ne l’envisageait qu’avec terreur, et elle frissonna quand, le soir de la déclaration du docteur, sa mère lui dit:

– Nous partirons après-demain.

Après-demain!… Et Valentine n’avait trouvé nul moyen encore de faire savoir à Louis de Clameran que son frère n’était pas mort.

En cette extrémité, elle n’hésita pas à se confier à Mihonne, et la chargea d’une lettre pour Louis.

Mais la fidèle servante fit une course inutile. Le château de Clameran était désert; tous les domestiques avaient été congédiés, et M. Louis, qu’on appelait maintenant le marquis, avait quitté le pays.

Enfin on partit. Mme de La Verberie, se croyant sûre de Mihonne, se décidait à l’emmener, non sans lui avoir fait jurer sur l’Évangile, pendant la messe, au moment de l’élévation, un éternel secret.

C’est dans un petit village au-dessus de Londres que la comtesse alla s’installer avec sa fille et sa domestique, sous le nom de Mme Wilson.

Si elle avait choisi l’Angleterre, c’est qu’elle l’avait habitée longtemps, qu’elle en connaissait bien l’esprit et les mœurs, et qu’elle en parlait la langue comme la sienne.

Même, elle avait conservé des relations dans l’aristocratie, et souvent, le soir, elle sortait, dînait en ville ou allait au théâtre, prenant, en ces occasions, les précautions les plus humiliantes contre Valentine, qu’elle enfermait à double tour.

C’est dans cette triste et solitaire maison, qu’une nuit du mois de mai, Valentine de La Verberie mit au monde un fils. Il fut présenté au révérend de la paroisse, et inscrit sous les noms de Valentin-Raoul Wilson.

La comtesse avait d’ailleurs tout prévu, tout combiné.

Dans les environs du village, après bien des recherches, elle avait découvert une bonne grosse fermière qui, moyennant cinq cents livres (douze mille francs) consentait à se charger de l’enfant, promettant de l’élever comme les siens, de lui faire apprendre un état, et même de le pousser dans le monde s’il se conduisait bien.

Le petit Raoul lui fut donc livré quelques heures après sa naissance.

Cette femme ignorait le vrai nom de la comtesse, elle devait croire et elle croyait avoir affaire à une Anglaise. Il était donc plus que probable, il était certain que jamais l’enfant, devenu homme, ne parviendrait à découvrir le secret de sa naissance.

Revenue à elle, Valentine avait demandé son enfant. En elle, tressaillait et s’éveillait ce sublime amour maternel dont Dieu a déposé le germe dans le cœur de toutes les femmes.

C’est en cette circonstance que la cruelle comtesse fut vraiment impitoyable.

– Votre enfant! s’écria-t-elle, je ne sais en vérité ce que vous voulez dire, vous rêvez, j’imagine, vous êtes folle!

Et comme Valentine insistait:

– Votre enfant est en sûreté, répondit-elle, et rien ne lui manquera. Que cela vous suffise. Ce qui est arrivé, vous devez l’oublier comme on oublie un mauvais rêve. Le passé doit être comme s’il n’était pas. Vous me connaissez: je le veux.

Le moment était venu où Valentine devait, dans de certaines limites, résister au despotisme de plus en plus envahissant de la comtesse.

L’idée lui en était venue, mais non le courage.

Tant de souffrances, de regrets, de combats intérieurs devaient retarder et retardèrent, en effet, son rétablissement.

Cependant, vers la fin du mois de juin, elle était assez bien pour revenir, avec sa mère, à La Verberie.

La méchanceté, cette fois, n’avait pas eu sa lucidité accoutumée. La comtesse, qui allait partout, se plaignant de l’insuccès de son voyage, put constater que, dans le pays, personne n’avait pénétré les raisons de son absence.

Un seul homme, le docteur Raget, savait la vérité. Mais Mme de La Verberie, tout en le haïssant de tout son cœur, rendait assez justice à son caractère pour être sûre de n’avoir pas à redouter de lui une indiscrétion.

C’est pour lui, qu’en arrivant, avait été sa première visite.

Elle le surprit un matin comme il sortait de table, lui demanda un moment d’entretien, et brusquement mit sous ses yeux les pièces officielles dont elle s’était munie à son intention.

– Vous le voyez, monsieur, dit-elle, l’enfant est bien vivant, et, moyennant une grosse somme, une bonne femme s’en est chargée.

– C’est bien, madame, répondit-il après un examen attentif, et si votre conscience ne vous reproche rien, je n’ai, pour ma part, rien à vous dire.

– Ma conscience, monsieur, ne me reproche rien.

Le vieux médecin hocha la tête, et arrêtant sur la comtesse un de ses regards qui font tressaillir la vérité aux plus profonds replis de l’âme:

– Jureriez-vous, prononça-t-il, que vous n’avez pas été sévère jusqu’à la barbarie.

Elle détourna les yeux, et, prenant son plus grand air, répondit:

– J’ai agi comme le devait faire une femme de mon rang, et je suis surprise, je l’avoue, de trouver en vous un avocat de l’inconduite.

– Eh! madame, s’écria le docteur, c’est de vous que devrait venir l’indulgence; quelle pitié voulez-vous qu’espère des étrangers votre malheureuse enfant, si vous, sa mère, vous êtes impitoyable?…

La comtesse ne voulut pas en entendre davantage, cette voix de la franchise offensait son orgueil, elle se leva.

– C’est tout ce que vous avez à me dire, docteur? demanda-t-elle d’un ton hautain.

– Tout… oui, madame, et je n’ai jamais eu qu’une pensée, celle de vous épargner d’éternels remords.

Ici, le noble et bon docteur se trompait; il ne pouvait s’imaginer qu’il rencontrait une exception. Mme de La Verberie était inaccessible aux remords. Mais cette âme, insensible à tout ce qui n’était pas jouissance ou satisfaction de la vanité, devait souffrir et souffrait cruellement.

Elle avait repris son train de vie ordinaire, mais ayant perdu une partie de ses revenus, elle ne pouvait plus arriver à joindre les deux bouts.

C’était là, pour elle, un texte inépuisable de récriminations, dont, sans cesse, à chaque repas, à propos de tout et de rien, elle sacrifiait sa fille.

Car tout en ayant déclaré que le passé n’existait pas, elle y revenait continuellement comme pour y puiser de nouveaux aliments à ses colères.

– Votre faute nous a ruinées, répétait-elle à tout propos.

Si bien qu’un jour Valentine exaspérée ne put s’empêcher de répondre:

– Vous me pardonneriez donc si elle nous eût enrichies!

Mais ces révoltes de Valentine étaient rares, bien que son existence ne fût plus qu’une longue suite de tortures, ménagées avec un art infini.