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La pensée même de Gaston, cet élu de son âme, était devenue une souffrance. Peut-être, découvrant l’inutilité de son courage et de son dévouement à ce qu’elle avait cru le devoir, se repentait-elle de ne l’avoir pas suivi. Qu’était-il devenu? Comment n’avait-il pas imaginé un expédient pour lui faire tenir une lettre, un souvenir, un mot? Peut-être était-il mort. Peut-être l’avait-il oubliée. Il avait juré qu’avant trois ans, il reviendrait riche; reviendrait-il jamais?

Et même lui était-il possible de revenir? Sa disparition n’avait pas éteint l’horrible affaire de Tarascon. On le supposait noyé, mais comme on n’avait, de sa mort, aucune preuve positive, force avait été à la justice de donner satisfaction à l’opinion publique soulevée.

L’affaire avait été en cour d’assises, et Gaston de Clameran avait été condamné, par contumace, à plusieurs années de prison.

Quant à Louis de Clameran, on ne savait au juste ce qu’il était devenu. D’aucuns prétendaient qu’il habitait Paris où il menait joyeuse vie.

Informée de ces dernières circonstances par sa fidèle Mihonne, Valentine se prenait à désespérer. Vainement elle interrogeait le morne avenir, pas une lueur n’éclairait le sombre horizon de sa vie.

En elle, tous les ressorts de l’âme et de la volonté étaient brisés, et à la longue elle en était venue à cette résignation passive des êtres sans cesse maltraités, à cette insouciance, à cette abnégation de soi qui trahissent le sacrifice raisonné de la vie.

Et le temps passait, et quatre ans s’étaient écoulés depuis cette soirée fatale où Gaston dans la barque du père Menoul s’était abandonné au courant du Rhône.

Ces quatre années, Mme de La Verberie les avait employées on ne peut plus mal.

Voyant que décidément elle ne pouvait vivre de ses revenus, trop niaisement fière pour vendre des terres, qui, mal administrées, ne rendaient pas deux du cent, elle s’était résignée à emprunter et à manger le capital avec les revenus.

Or, comme dans cette voie il n’y a que le premier pas qui coûte, la comtesse avait marché rapidement.

Se disant: après moi le déluge, ni plus ni moins que feu M. le marquis de Clameran, la comtesse ne songeait plus qu’à se donner ses aises.

Elle reçut beaucoup, se permit de fréquents voyages dans les villes voisines, à Nîmes, à Avignon; elle fit venir de Paris des toilettes superbes, et donna carrière à son goût pour la bonne chère. Tout ce qu’elle avait si longtemps attendu de la munificence d’un gendre amoureux, elle se l’accorda. Il faut des consolations aux grandes douleurs!…

Le malheur est que ce semblant de luxe coûtait cher, très cher.

Après avoir vendu le reste de ses rentes, la comtesse emprunta sur le domaine de La Verberie d’abord, puis sur le château lui-même.

Et, en moins de quatre ans, elle en était arrivée à devoir plus de quarante mille francs et à ne plus pouvoir payer les intérêts de sa dette.

Elle commençait à ne plus trop savoir où donner de la tête, le fantôme de l’expropriation se tenait, la nuit, au pied de son lit, quand le hasard daigna venir à son secours.

Depuis un mois environ un jeune ingénieur, chargé d’études de rectification sur le Rhône, avait fait du village qui touche La Verberie son centre d’opérations.

Comme il était jeune, spirituel, fort bien de sa personne, il avait été d’emblée accepté par la société des environs, et souvent la comtesse le rencontrait dans les maisons où elle allait le soir faire sa partie.

Ce jeune ingénieur se nommait André Fauvel.

Ayant remarqué Valentine, il l’étudia attentivement, et, peu à peu, il s’éprit de cette jeune fille au maintien réservé, aux grands yeux tristes et doux, qui, dans cette galerie d’ancêtres, resplendissait comme un rosier en fleur au milieu d’un paysage d’hiver.

Il ne lui avait pas encore adressé la parole, que déjà il l’aimait.

Il était relativement riche; une carrière magnifique s’ouvrait devant lui, il se sentait l’initiative qui fait les millionnaires, il était libre… Il se jura que Valentine serait sa femme.

C’est à une vieille amie de La Verberie, noble, autant qu’une Montmorency, et pauvre, plus que Job, qu’il confia tout d’abord ses intentions matrimoniales.

Avec la précision d’un ancien élève de l’École polytechnique, il avait énuméré tous les avantages qui faisaient de lui un gendre phénix.

Longtemps la vieille dame l’écouta, sans l’interrompre. Mais, lorsqu’il eut fini, elle ne lui cacha pas combien ses prétentions lui semblaient outrecuidantes.

Quoi! lui, un garçon qui n’était pas né, un… Fauvel, géomètre ou arpenteur de son état, il se permettait d’aspirer à la main d’une La Verberie!

Avec une véhémence particulière, elle insista sur ces considérations d’un ordre supérieur. Heureusement, ce chapitre épuisé, elle en vint au positif.

– Cependant, ajouta-t-elle, il se peut que vous ne soyez pas éconduit. La situation de la comtesse est des plus embarrassées, elle doit à Dieu et à ses saints, la chère dame, les huissiers la visitent souvent, de sorte que… vous comprenez, si un jeune homme se présentait, animé d’intentions honnêtes et ayant du bien… eh! eh! je ne sais ce qui arriverait.

André Fauvel était jeune, les insinuations de la vieille dame lui semblèrent monstrueuses.

À la réflexion, cependant, lorsqu’il eut consulté, lorsqu’il se fut, surtout, donné la peine d’étudier l’esprit de la noblesse des environs, riche exclusivement de préjugés, il comprit que des considérations pécuniaires seraient seules assez fortes pour décider haute et puissante dame de La Verberie à lui accorder la main de sa fille.

Cette certitude dissipant ses hésitations, il ne songea plus qu’à se ménager un moyen de poser adroitement sa candidature.

Ce n’est pas que la chose lui parût aisée. S’en aller chercher femme son argent à la main répugnait fort à sa délicatesse et renversait toutes ses idées. Mais il ne connaissait dans le pays personne à qui se fier et son amour était assez grand pour le faire passer, les yeux fermés, sur toutes les répugnances.

L’occasion qu’il attendait de s’expliquer, sinon catégoriquement, au moins d’une façon claire et transparente, se présenta elle-même.

Comme il entrait, un soir, dans un hôtel de Beaucaire, pour dîner, il aperçut Mme de La Verberie qui allait se mettre à table. Tout en rougissant jusqu’aux oreilles, il lui demanda la permission de s’asseoir près d’elle, permission qui lui fut accordée avec un sourire des plus encourageants.

La comtesse soupçonnait-elle l’amour du jeune ingénieur? avait-elle été prévenue par son amie? Il est permis d’en douter.