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La première impression de Mme Fauvel fut qu’elle se trompait.

– Je vous demande pardon, monsieur, balbutia-t-elle, plus rouge qu’une pivoine, je croyais entrer chez monsieur le marquis de Clameran.

– Vous êtes chez lui, madame, répondit le jeune homme.

Et voyant qu’elle ne disait mot, qu’elle semblait se demander comment se retirer, comment s’enfuir, il ajouta:

– C’est, je crois, à madame Fauvel que j’ai l’honneur de parler?

De la tête, elle fit un signe affirmatif: oui. Elle frémissait d’entendre son nom ainsi prononcé, elle était épouvantée par cette certitude qu’on la connaissait, que Clameran avait déjà livré son secret.

C’est avec une anxiété visible qu’elle attendait une explication.

– Rassurez-vous, madame, reprit le jeune homme, vous êtes en sûreté ici autant que dans le salon de votre hôtel. Monsieur de Clameran m’a chargé pour vous de ses excuses; vous ne le verrez pas.

– Cependant, monsieur, d’après une lettre pressante qu’il m’a fait tenir avant-hier, je devais supposer… je supposais…

– Lorsqu’il vous a écrit, madame, il avait des projets auxquels il a renoncé pour toujours.

Mme Fauvel était bien trop surprise, bien trop troublée pour pouvoir réfléchir. Hors le moment présent, elle ne discernait rien.

– Quoi! fit-elle avec une certaine défiance, ses intentions sont changées?

La physionomie du jeune interlocuteur de Mme Fauvel trahissait une sorte de compassion douloureuse, comme s’il eût reçu le contre-coup de toutes les angoisses de la malheureuse femme.

– Le marquis, prononça-t-il, d’une voix douce et triste renonce à ce qu’il considérait – à tort – comme un devoir sacré. Croyez qu’il a longtemps hésité avant de se résigner à aller vous demander le plus pénible des aveux. Vous l’avez repoussé, vous deviez refuser de l’entendre, il n’a pas compris quelles impérieuses raisons dictaient votre conduite. Ce jour-là, aveuglé par une injuste colère, il avait juré d’arracher à l’effroi ce qu’il n’obtenait pas de votre cœur. Résolu à menacer votre bonheur, il avait amassé contre vous de ces preuves qui font éclater l’évidence. Pardonnez… un serment juré à un frère mourant le liait.

Il avait pris sur la cheminée une liasse de papiers qu’il feuilletait tout en parlant.

– Ces preuves, poursuivait-il, les voici, flagrantes, irrécusables. Voici le certificat du révérend Sedley, la déclaration de mistressi Dobbin, la fermière, une attestation du chirurgien, les dépositions des personnes qui ont connu à Londres madame de La Verberie. Oh! rien n’y manque. Toutes ces preuves, ce n’est pas sans peine que je les ai arrachées à monsieur de Clameran. Peut-être avait-il pénétré mes intentions, et voici, madame, ce que je voulais faire de ces preuves.

D’un mouvement rapide il lança dans le feu tous les papiers, ils s’enflammèrent et bientôt ne furent plus qu’une pincée de cendres.

– Tout est détruit, madame, reprit-il, l’œil brillant des plus généreuses résolutions. Le passé, si vous le voulez, est anéanti comme ces papiers. Si quelqu’un, à cette heure, ose prétendre qu’avant votre mariage vous avez eu un fils, traitez-le hardiment de calomniateur. Il n’y a plus de preuves, vous êtes libre.

Enfin, aux yeux de Mme Fauvel, le sens de cette scène éclatait, elle commençait à comprendre, elle comprenait.

Ce jeune homme qui l’arrachait à la colère de Clameran, qui lui rendait le libre exercice de sa volonté en détruisant des preuves accablantes qui la sauvaient, c’était l’enfant abandonné: Valentin-Raoul.

En ce moment elle oublia tout; les tendresses de la mère si longtemps comprimées débordèrent, et d’une voix à peine distincte elle murmura:

– Raoul!

À ce nom ainsi prononcé, le jeune homme chancela. On eût dit qu’il pliait sous l’excès d’un bonheur inespéré.

– Oui, Raoul! s’écria-t-il, Raoul qui aimerait mieux mourir mille fois que de causer à sa mère la plus légère souffrance, Raoul qui verserait tout son sang pour lui éviter une larme.

Elle n’essaya ni de lutter ni de résister; tout son être vibrait. Comme si ses entrailles eussent tressailli en reconnaissant celui qu’elles avaient porté.

Elle ouvrit ses bras et Raoul s’y précipita en disant d’une voix étouffée:

– Ma mère! ma bonne mère! sois bénie pour ce premier baiser.

C’était vrai, cependant, ce fils, elle ne l’avait jamais vu. Malgré ses prières et ses larmes on l’avait emporté sans même lui permettre de l’embrasser, et ce baiser qu’elle venait de lui donner était bien le premier.

Après tant et de si cruelles angoisses, trouver cette joie immense, c’était trop de bonheur.

Mme Fauvel s’était laissée tomber sur un fauteuil, et, plongée dans une sorte d’extase recueillie, elle considérait avidement Raoul, qui s’était agenouillé à ses pieds.

Combien il lui paraissait beau, ce pauvre abandonné! Il avait cette rayonnante beauté des enfants de l’amour dont la physionomie garde comme un reflet de félicités divines.

De la main, elle éparpillait ses beaux cheveux fins et ondés, elle admirait son front blanc et pur comme celui d’une jeune fille, ses grands yeux tremblants, et elle avait soif de ses lèvres si rouges.

– Ô mère, disait-il, je ne sais ce qu’il s’est passé en moi quand j’ai su que mon oncle avait osé te menacer. Lui, te menacer!… C’est que vois-tu, mère chérie, j’ai votre cœur à tous deux, à toi et à ce noble Gaston de Clameran, mon père. Va! quand il a dit à son frère de s’adresser à toi, il n’avait plus sa pleine raison. Je te connaissais bien, et depuis longtemps. Souvent mon père et moi nous allions rôder autour de ton hôtel, et quand nous t’avions aperçue, nous rentrions heureux. Tu passais, et il me disait: «Voici ta mère, Raoul.» Te voir! c’était notre joie. Quand nous savions que tu devais te rendre à quelque fête, nous t’attendions à la porte pour t’apercevoir belle et parée. Que de fois, l’hiver, j’ai lutté de vitesse avec les chevaux de ta voiture pour t’admirer plus longtemps.

Des larmes, les plus douces qu’elle eût versées de sa vie, inondaient le visage de Mme Fauvel.

La voix vibrante de Raoul chantait à son oreille de célestes harmonies.

Cette voix lui rappelait celle de Gaston, et elle lui rendait les fraîches et adorables sensations de sa jeunesse.

Oui, en l’écoutant, elle retrouvait l’enchantement des premières rencontres, les tressaillements de son âme encore vierge, le trouble mystérieux des sens.