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Désespérée, elle était allée demander secours à son fils.

Raoul, en l’écoutant, avait paru transporté d’indignation, et il l’avait quittée pour courir, disait-il, arracher des excuses au misérable qui faisait pleurer sa mère.

Mais il avait trop présumé de ses forces. Bientôt il était revenu, l’œil morne, la tête basse, les traits contractés par la rage de l’impuissance, déclarant qu’il fallait se rendre, consentir, céder.

C’est alors que la pauvre femme put sonder la profondeur de l’abîme où on l’entraînait. Elle eut en ce moment comme un pressentiment des ténébreuses machinations dont elle serait la victime.

Quel horrible serrement de cœur, lorsqu’il lui fallut montrer l’œuvre du faussaire, la lettre de Saint-Rémy, lorsqu’elle annonça à son mari qu’elle attendait un de ses neveux, un tout jeune homme, très riche!

Et quel supplice, le soir où elle présenta Raoul à tous les siens.

C’est d’ailleurs le sourire aux lèvres, que le banquier accueillit ce neveu dont il n’avait jamais entendu parler, et qu’il lui tendit sa main loyale.

– Parbleu! lui avait-il dit, quand on est jeune et riche, on doit préférer Paris à Saint-Rémy.

Au moins Raoul prit-il à tâche de se montrer digne de cet accueil cordial. Si l’éducation première, cette éducation que la famille seule peut donner, lui faisait défaut, il était impossible de s’en apercevoir. Avec un tact bien supérieur à son âge, il sut assez démêler les caractères de tous les gens qui l’entouraient pour plaire à chacun d’eux.

Il n’était pas arrivé depuis huit jours qu’il avait su capter les très bonnes grâces de M. Fauvel, qu’il s’était concilié Abel et Lucien, et qu’il avait absolument séduit Prosper Bertomy, le caissier de la maison, qui passait alors toutes ses soirées chez son patron.

Depuis que Raoul, grâce aux relations de ses cousins, se trouvait lancé dans un monde de jeunes gens riches, loin de se réformer, il menait une vie de plus en plus dissipée. Il jouait, il soupait; il se montrait aux courses, et l’argent, entre ses mains prodigues, glissait comme du sable.

Cet étourdi, d’une délicatesse susceptible jusqu’au ridicule, dans les commencements, qui ne voulait de sa mère qu’un peu d’affection, ne cessait maintenant de la harceler d’incessantes demandes.

Elle avait donné avec joie, d’abord, sans compter, mais elle ne tarda pas à s’apercevoir que sa générosité, si elle n’y mettait ordre, serait sa perte.

Cette femme si riche, dont les diamants étaient cités, qui avait un des plus beaux attelages de Paris, connut, de la misère, ce qu’elle a de plus poignant: l’impérieuse nécessité de se refuser aux fantaisies de l’être aimé.

Jamais son mari n’avait eu l’idée de compter avec elle. Dès le lendemain de son mariage, il lui avait remis la clé du secrétaire, et depuis, librement, sans contrôle, elle prenait ce qu’elle jugeait nécessaire, tant pour le train considérable de la maison, que pour ses dépenses personnelles.

Mais, précisément parce qu’elle avait toujours été modeste dans ses goûts, au point que son mari l’en plaisantait, précisément parce qu’elle avait administré l’intérieur avec une sagesse extrême, elle ne pouvait disposer tout à coup de sommes assez fortes sans s’exposer à des questions inquiétantes.

Certes, M. Fauvel, le plus généreux des millionnaires, était homme à se réjouir de voir sa femme faire quelques grosses folies; mais les folies s’expliquent, on en retrouve les traces.

Un hasard pouvait faire reconnaître au banquier l’étonnant accroissement des dépenses de la maison; que lui répondre s’il en demandait les causes?

Et Raoul en trois mois avait dissipé une petite fortune. N’avait-il pas fallu l’installer, lui donner un joli intérieur de garçon? Tout lui manquait, autant qu’à un naufragé. Il avait voulu un cheval, un coupé, comment les lui refuser?

Puis c’était chaque jour quelque fantaisie nouvelle.

Si parfois Mme Fauvel hasardait une remontrance, la physionomie de Raoul prenait aussitôt une expression désolée, et ses beaux yeux s’emplissaient de larmes.

– C’est vrai, répondait-il, je suis un enfant, un pauvre fou, j’abuse. J’oublie que je suis le fils de Valentine pauvre, et non de la riche madame Fauvel.

Son repentir avait des accents qui perçaient le cœur de la pauvre mère. Il avait tant souffert autrefois! Si bien, qu’à la fin, c’était elle qui le consolait et qui l’excusait.

D’ailleurs, elle avait cru s’apercevoir, non sans effroi, qu’il était jaloux d’Abel et de Lucien – ses frères, après tout.

En ces moments, pour que Raoul n’eût rien à envier à ses deux fils, elle était prête à tout.

Au moins voulut-elle avoir une compensation. Le printemps approchait; elle pria Raoul de s’établir à la campagne près de la propriété qu’elle avait à Saint-Germain. Elle s’attendait à des objections; point. Cette proposition sembla lui plaire, et peu après il lui annonça qu’il venait de louer une bicoque au Vésinet et qu’il y allait faire porter son mobilier.

– Ainsi, mère, dit-il, je serai plus près de toi. Quel bon été nous allons passer!

Elle se réjouit, surtout de ce que les dépenses de l’enfant prodigue probablement diminueraient. Et, vraiment, elle était si bien à bout, qu’un soir, comme il dînait en famille, elle osa, devant tout le monde, lui adresser – oh! bien doucement – quelques observations.

Il était allé, la veille, aux courses, il avait parié et perdu deux mille francs.

– Bast! fit M. Fauvel avec l’insouciance d’un homme qui a ses coffres pleins, maman Lagors payera; les mamans ont été créées et mises au monde pour payer.

Et, ne pouvant s’apercevoir de l’impression que produisaient ces simples paroles sur sa femme, devenue plus blanche que sa collerette, il ajouta:

– Ne t’inquiète pas, va, mon garçon, quand tu auras besoin d’argent, viens me trouver, je t’en prêterai.

Que pouvait objecter Mme Fauvel? N’avait-elle pas annoncé, selon les volontés de Clameran, que Raoul était très riche?

Pourquoi l’avait-on contrainte de mentir inutilement? Elle eut comme une rapide intuition du piège où elle était prise, mais il n’était plus temps d’y revenir.

D’ailleurs, les paroles du banquier n’étaient pas tombées dans l’eau. À la fin de cette semaine, Raoul alla trouver son oncle dans son cabinet, et carrément il lui emprunta dix mille francs.

Informée de cette incroyable audace, Mme Fauvel se tordait les mains de désespoir.

– Mais que fait-il, mon Dieu! de tant d’argent! s’écriait-elle.