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En homme habile, il détourna la conversation, et, de la journée, il ne fut plus question de Paris, ni de Valentine.

C’est le soir seulement, lorsqu’il se trouva seul dans sa chambre, que, se posant résolument en face de la situation, Louis commença à l’étudier sous tous ses aspects.

Au premier abord, elle paraissait désespérée.

Acculé dans une position qui lui paraissait sans issue, il était près de se résigner à cesser de lutter, à se rendre.

Oui, il se demandait s’il ne serait pas sage d’emprunter une grosse somme à son frère et de disparaître pour toujours.

Vainement il se mettait l’esprit à la torture, sa détestable expérience ne lui représentait aucune combinaison applicable aux circonstances présentes.

De tous les côtés à la fois, le danger menaçait, pressant, impossible à conjurer.

Il avait à craindre également et Mme Fauvel, et sa nièce, et le banquier; Gaston, découvrant la vérité, voudrait se venger; Raoul lui-même, son complice, devait, en cas de malheur, se tourner contre lui et devenir son plus implacable ennemi.

Existait-il un moyen humain pour empêcher la rencontre de Valentine et de Gaston?

Évidemment non.

Or, l’instant de leur réunion devait être l’instant de sa perte.

– C’est en vain, murmura-t-il, que je cherche. Il n’y a rien à faire, rien qu’à gagner du temps, rien qu’à guetter une occasion.

La chute du cheval, à Clameran, disait, sans doute, ce que Louis entendait par une «occasion».

Il referma sa fenêtre, se coucha, et si grande était son habitude du danger, qu’il s’endormit.

Nul pli sur son front, au matin, ne révélait ses angoisses de la nuit.

Il fut affectueux, gai, causeur, bien plus qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Il voulut monter à cheval et courir le pays. Devenu, tout à coup, aussi remuant qu’il s’était montré calme, il ne parlait que d’excursions dans les environs.

La vérité est qu’il voulait occuper Gaston, l’amuser, détourner son esprit de Paris et surtout de Valentine.

Avec le temps, en y mettant beaucoup d’adresse, il ne désespérait pas de dissuader son frère de revoir son ancienne amie. Il comptait lui démontrer que cette entrevue, absolument inutile, serait pénible pour tous deux, embarrassante pour lui et dangereuse pour elle.

Quant au dépôt, si Gaston persistait à le lui demander, eh bien! Louis avait l’intention de s’offrir pour cette démarche délicate! il promettait de la mener à bien, et, en effet, il savait où étaient les parures.

Mais il ne devait pas tarder à reconnaître l’inanité de ses espérances et de ses tentatives.

– Tu sais, lui dit un jour Gaston, j’ai écrit…

Louis ne savait que trop ce dont il s’agissait; n’était-ce pas là le sujet habituel de ses méditations! Il prit cependant son air le plus surpris:

– Écrit?… interrogea-t-il, où, à qui, pourquoi?

– À Beaucaire, à Lafourcade, pour savoir le nom du mari de Valentine.

– Tu penses donc toujours à elle?

– Toujours.

– Tu ne renonces pas à la revoir?

– Moins que jamais.

– Hélas! frère, c’est que tu ne réfléchis pas que celle que tu aimais est la femme d’un autre, qu’elle est mère de famille, sans doute. Consentira-t-elle à te recevoir? Sais-tu si tu ne vas pas troubler sa vie, si tu ne te prépares pas les plus cuisants regrets.

– Je suis fou, c’est vrai, je le sais, mais ma folie m’est chère.

Il dit cela d’un tel accent que Louis comprit bien que son parti était irrévocablement arrêté.

Cependant il resta le même, ne s’occupant, en apparence, que de parties de plaisir, en réalité passant sa vie à s’inquiéter des lettres qui arrivaient à la maison.

Il savait au juste à quelle heure passait le facteur, et toujours il se trouvait, par hasard, dans la cour pour le recevoir.

S’il était absent, ainsi que son frère, il savait à quelle place on mettait les lettres venues dans la journée, et il y courait.

Sa surveillance ne fut pas inutile.

Le dimanche suivant, parmi les lettres que lui remit le facteur, il en distingua une qui portait le timbre de Beaucaire.

Rapidement il la glissa dans sa poche, et bien qu’il fût sur le point de monter à cheval, avec son frère, il trouva un prétexte pour aller à sa chambre, incapable qu’il était de maîtriser son impatience.

C’était bien la lettre attendue, elle était signée: Lafourcade. Elle avait trois bonnes pages et contenait une foule de détails absolument indifférents à Louis, mais voici ce qu’elle disait de Valentine.

Le mari de Mlle de La Verberie est un banquier très considéré, nommé André Fauvel. Je n’ai pas l’honneur de le connaître, mais je pense aller le voir à mon prochain voyage à Paris. J’ai conçu un projet qui serait la fortune de notre pays, je me propose de le lui soumettre, et, s’il le juge bon, je solliciterai l’appui de ses capitaux. Vous ne trouverez pas mauvais, je l’espère, que je me recommande de votre nom…

Louis tremblait comme un homme qui vient d’échapper à un immense danger.

– Cette lettre entre les mains de mon frère, murmurait-il, et je n’avais qu’à filer.

Mais, sa perte, pour être retardée, n’en paraissait pas moins certaine.

Gaston attendrait une réponse pendant une huitaine encore, puis il écrirait de nouveau; Lafourcade, tout surpris, répondrait sur-le-champ; c’était, en mettant tout au mieux, une douzaine de jours que Louis avait encore devant lui.

Et là, se disait-il, là est le plus pressant danger. Que cet imbécile aille à Paris, qu’il prononce le nom de Clameran devant le banquier, et tout est fini.

En bas, Gaston s’impatientait.

– Viens-tu! criait-il à son frère.

– Je descends, répondit Louis.

Il descendait, en effet, après avoir serré dans un compartiment secret de la malle la lettre de Lafourcade.

Désormais, il était décidé à un emprunt. Ayant une bonne somme en poche, jointe à ce qu’il possédait déjà, il passerait en Amérique, et, ma foi! Raoul se tirerait d’affaire comme il pourrait.

Certes, il était désolé de voir manquer la plus belle combinaison qu’il eût imaginée en sa vie, mais l’homme fort ne s’indigne pas sottement contre la destinée, il tire des événements le meilleur parti possible.

Dès le lendemain même, se promenant, à la tombée de la nuit, avec Gaston, sur la jolie route qui mène de l’usine à Oloron, il entama le prologue d’une petite histoire dont la conclusion devait être un emprunt de deux cent mille francs.