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Puis il y avait eu le lieutenant Van… de père vietnamien, de mère américaine, et chef de leur section. Gordon avait toujours ignoré, jusqu’à ce qu’il fût trop tard, que le lieutenant prenait sur ses propres rations pour augmenter la part de ses hommes. Il avait demandé à être inhumé dans le drapeau des États-Unis.

Gordon était resté trop longtemps seul. La compagnie de tels hommes lui manquait presque autant que la douceur et l’amitié des femmes.

Il observa les buissons sur sa gauche et découvrit une trouée qui paraissait être l’amorce d’un raidillon – un raccourci, peut-être – franchissant par le nord l’épaulement de la montagne. Les broussailles desséchées crépitèrent lorsque, quittant le sentier, il se fraya un chemin dans leur enchevêtrement. Il pensa soudain se souvenir du lieu rêvé pour une embuscade : là où la piste faisait une épingle à cheveux, sous une gigantesque arche naturelle. En se plaçant légèrement au-dessus de la formation rocheuse, on devait être en position de tirer à bout portant sur quiconque aborderait cette passe.

Il me suffit simplement d’y arriver le premier...

Il tomberait sur eux par surprise et les forcerait à négocier. Il était avantagé : il n’avait rien à perdre. À moins d’être fou, tout brigand choisirait de vivre et d’attendre une victime plus docile. Gordon avait toutes les raisons de croire qu’ils n’iraient pas risquer la vie d’un ou deux de leurs membres pour une paire de bottes, une canadienne et une provision, somme toute modeste, de nourriture.

Et il souhaitait ardemment n’avoir à tuer personne.

Je t’en prie, tâche de grandir ! Au cours des quelques heures qui allaient suivre, son pire ennemi risquait d’être la somme de scrupules archaïques dont il s’encombrait l’esprit. Rien que pour cette fois, montre-toi donc sans pitié.

Les voix sur le sentier s’estompèrent à mesure qu’il gravissait la pente. À plusieurs reprises, il lui fallut contourner des crevasses déchiquetées où foisonnaient des ronces inextricables. Gordon concentrait toute son attention sur la recherche du plus court chemin vers le point qu’il s’était fixé pour sa tentative d’embuscade.

Ne suis-je déjà pas trop loin ?

Il serra les dents et continua. D’après la mémoire imparfaite qu’il en avait, le brusque virage du chemin n’intervenait qu’après un assez long détour vers le nord, sur le versant est de la montagne.

Une étroite piste, frayée par quelque animal, lui permit de presser le pas à travers les résineux. Il était contraint à des pauses fréquentes pour consulter sa boussole ; c’était un véritable dilemme. Pour avoir une chance de surprendre ses adversaires, il lui fallait rester au-dessus d’eux mais, s’il montait trop haut, il risquait de passer à côté du but qu’il s’était fixé.

Et le crépuscule n’allait pas tarder à descendre.

Une troupe de dindons sauvages s’égailla lorsqu’il déboucha au pas de course dans une petite clairière. À coup sûr, le retour du gibier n’était pas sans rapport avec la faible densité de la population humaine, mais Gordon y voyait aussi un signe confirmant qu’il abordait une contrée mieux arrosée que les étendues arides de l’Idaho. Un jour, son arc se révélerait utile, pourvu qu’il vécût assez longtemps pour apprendre à s’en servir.

Inquiet, il obliqua dans le sens de la pente. À présent, le sentier devait se trouver loin en contrebas ; peut-être même avait-il entamé sa descente en lacet. Lui-même était déjà trop remonté au nord.

Il finit par se rendre compte que la piste frayée par le gibier l’entraînait inexorablement vers l’ouest. Elle paraissait même remonter vers ce qui avait l’air d’être une brèche entre les montagnes, une haute vallée déjà noyée dans la brume de fin d’après-midi.

Il s’accorda une halte pour reprendre son souffle et faire le point. Peut-être était-il en présence d’une autre passe qui lui permettrait de franchir la chaîne des Cascades, froide et semi-désertique, un col débouchant sur la vallée de la Willamette et, partant, sur l’océan Pacifique. Il n’avait plus sa carte mais il savait que quinze jours de marche dans cette direction l’amèneraient nécessairement dans des régions où il trouverait de l’eau, un abri décent, des rivières poissonneuses, du gibier en abondance et, peut-être…

Et peut-être des gens qui tentaient de remettre les choses d’aplomb dans ce monde. À travers la haute couronne de nuages, les rayons du soleil couchant faisaient comme un halo évoquant, pour Gordon, le souvenir estompé qu’il avait de l’aura lumineuse des grandes villes dans le ciel nocturne de jadis ; une promesse qui, depuis le Middle West, avait été le moteur de sa quête. Ce rêve – si désespéré qu’il fût – n’était pas près de le lâcher.

Il secoua la tête. À coup sûr, la neige l’attendait là-haut, et les pumas, et les affres de la faim… Franchir ces montagnes ne devait pas le détourner de l’exécution de son plan. S’il voulait survivre.

Il fit plusieurs tentatives pour couper vers le bas de la pente, mais les étroites sentes du gibier le ramenaient systématiquement vers le nord et l’ouest. À présent, il ne pouvait qu’avoir dépassé le point où le chemin revenait sur lui-même. Les inextricables taillis des sous-bois le forçaient à s’enfoncer toujours plus avant dans le défilé de ce nouveau col.

Dans sa rage et sa frustration, Gordon faillit ne pas entendre les bruits. Puis il s’immobilisa soudain, l’oreille tendue.

Étaient-ce des voix ?

Un ravin profond coupait la forêt, là, juste devant lui. Il se précipita sur ses bords jusqu’à ce qu’il pût découvrir les contours du massif dont il suivait le versant ; il entrevit d’autres pics de la même chaîne, voilés d’une brume épaisse ambrée dans les hauteurs, sur leur face occidentale, et d’un violet sombre sur les pentes que la disparition du soleil avait plongées dans la pénombre.

Les sons paraissaient monter de l’est et, oui, c’étaient bien des voix. Gordon scruta le paysage et découvrit un sentier qui serpentait à flanc de montagne. Loin, presque à l’extrémité de cette ligne plus pâle, il distingua comme une tache de couleur qui progressait avec lenteur entre les arbres.

Les bandits ! Mais pourquoi montaient-ils maintenant ? Ce n’était pas normal, à moins que…

À moins que son raccourci ne l’eût déporté largement au nord du chemin qu’il avait parcouru la veille, lui faisant rater l’éperon rocheux où il avait compté les surprendre. À moins que ceux-ci fussent en train de remonter une piste dont, hier, il n’avait pas remarqué l’embranchement, une piste prenant par le haut de cette passe, et non par celle dans laquelle il avait été attaqué.

Ce devait être le chemin qui menait à leur base.

Gordon contempla la montagne. Oui. Il comprenait maintenant qu’une petite dépression pouvait se loger sur cet épaulement, jouxtant le col le moins fréquemment emprunté. Une telle position n’était pas difficile à défendre et n’avait pas la moindre chance d’être découverte par hasard.

Gordon eut un sourire sinistre et orienta ses pas vers l’ouest. L’embuscade était une opportunité ratée mais, s’il se dépêchait, il pouvait encore précéder ses adversaires chez eux, et peut-être disposer de quelques minutes pour leur dérober ce dont il avait besoin… vêtements, nourriture, et quelque chose pour les transporter.

Et s’il trouvait du monde là-haut ?

Ma foi, il pourrait alors prendre les femmes en otages et tenter un marché.

Ouais, c’est bien mieux, ça ! Tout comme il est préférable de se trimbaler au pas de course avec une bombe à retardement plutôt qu’avec un chargement de nitroglycérine.