— Très bien, dit Hubbard, ça ira très bien, Mike. Merci. »
Il se tourna pour regarder ma mère, qui me fixait avec des yeux ronds, comme si j’étais un fantôme. « Mike… mon chéri ! » dit-elle, une main contre sa bouche. « Lis ça comme il faut. Comme tu faisais autrefois. Pour les défilés du 4 Juillet. Fais ça comme il faut, chéri.
— Je suis désolé, maman, lui répondis-je. C’est comme ça que je parle. C’est ma voix. C’est moi. »
Mon père me dévisageait aussi. « Michael, dit-il enfin, si tu te crois drôle, permets-moi de te dire…
— Ce n’est pas une plaisanterie, monsieur. Pas du tout. »
Hubbard, plus détendu à présent, alluma la boîte enregistreuse et, une fois de plus, la conversation entre Steve et moi à l’Alchemist & Barrister fut retransmise dans la pièce.
Mon père fronça les sourcils tandis que la machine tournait. Ma mère jetait des coups d’œil anxieux, indécis de l’un à l’autre.
« Hitler, Pölzl, Braunau… » Hubbard éteignit l’enregistreur et répéta lentement les mots. « Vous nous avez dit, Colonel, Mrs Young, que ces noms ne signifiaient rien pour vous. À en juger par la conversation que nous venons d’entendre, ils ont beaucoup de sens pour votre fils, vous ne croyez pas ? »
Mon père tendit le doigt vers l’enregistreur. « Quelle était cette autre voix que nous avons entendue ?
— Celle d’un étudiant du nom de Steven Burns, un étudiant en deuxième année d’histoire des sciences. Nous n’avons aucune charge contre lui, sinon que nous le soupçonnons d’être homosexuel.
— Homosexuel ? » Les yeux de ma mère s’écarquillèrent d’horreur. « C’est de cela qu’il s’agit, parce que, laissez-moi vous assurer, Mr Hubert…
— Hubbard, m’dame.
— Peu importe votre nom, laissez-moi vous assurer que mon fils n’est pas homosexuel ! Certainement pas.
— Bien sûr que non, Mrs Young. Croyez-moi, ce n’est pas ce que nous voulions laisser entendre. C’est ce que votre fils a dit qui nous intéresse. Hitler, Pölzl, Braunau…
— Vous n’arrêtez pas de répéter ces noms, trancha mon père. Qu’ont-ils de si important, bon Dieu ? N’est-il pas évident que mon fils est malade ? Il a besoin d’un traitement médical, pas de ce… cette inquisition, de ces jeux d’espions grotesques et puérils.
— Vous demeurez persuadés qu’il s’agit bien de votre fils ?
— Évidemment, que nous en sommes persuadés ! Combien de fois faudra-t-il vous le répéter ?
— Malgré son accent ?
— Ne soyez pas ridicule. Nous vous l’avons dit. Je reconnaîtrais Michael même s’il se rasait le crâne, qu’il se laissait pousser la barbe et ne s’exprimait plus qu’en swahili. »
Hubbard leva les mains. « Hé bien, voyez-vous, c’est ce qui rend toute cette affaire si curieuse.
— Affaire ? Quelle affaire ? Vous prenez ça pour quoi ? L’incident de Lisbonne ? Un gamin se cogne le crâne, perd la mémoire et parle avec un accent étranger. C’est un problème qui relève de la science médicale, pas d’interrogatoires paranoïaques à minuit. Maintenant, dit mon père en commençant à se lever de son siège, s’il n’y a rien de plus, nous aimerions ramener Michael à la maison. »
Brown, qui arpentait la pièce derrière Hubbard, se pencha en avant et lui chuchota quelques mots à l’oreille. Hubbard écouta, chuchota une réponse rapide, puis hocha la tête. Quelque chose dans leur attitude me donna à comprendre, avec un peu de surprise, que des deux, Brown était le supérieur.
« Colonel Young, dit Hubbard. Je crains que ce ne soit pas encore possible. J’ai besoin que vous vous asseyiez et que vous m’écoutiez.
— Je crois que j’en ai déjà assez entendu…
— Ça ne prendra pas longtemps, monsieur. Mrs Young ne nous en voudra pas d’attendre dans la pièce à côté un petit moment ?
— Je ne bouge pas d’ici ! » rétorqua ma mère, rose d’indignation.
« Ce que je vais révéler est couvert par le secret militaire, m’dame. Je crains bien de ne pas pouvoir vous autoriser à rester.
— Mais alors, pour Mike ?
— Nous avons des raisons de croire que votre fils détient déjà cette information. C’est pour cela que nous sommes réunis ici, ce soir.
— Ce matin, plutôt ! » répliqua ma mère avec acidité en se levant de mauvais gré pour se diriger vers la porte. Elle regarda par-dessus son épaule. Mon père hocha la tête pour la réconforter et elle quitta la pièce avec un reniflement. Tandis que la porte se refermait derrière elle, j’entendis une voix féminine lui demander avec amabilité si elle avait faim.
« Je vous présente toutes mes excuses pour ceci, mon colonel. Lorsque vous aurez entendu ce que j’ai à dire, je crois que vous comprendrez la nécessité de toutes ces précautions.
— Oui, oui, fit mon père en opinant.
— Bien que vous soyez en retraite de votre poste précédent, mon colonel, vous avez conscience de ce que je veux dire quand je parle de Sécurité niveau un ? L’expression vous est familière ?
— Fiston, dit mon père en bombant le torse qu’il tapota une demi-douzaine de fois, j’ai des secrets enfermés là-dedans qui vous feraient jaillir les tripes de la gorge.
— J’en suis tout à fait convaincu, mon colonel. » Hubbard se retourna vers moi, le regard perdu dans le lointain, comme s’il répétait un mantra appris à l’école. « Et vous, Michael. Vous devez comprendre que tout ce que je vous dis ici ne doit jamais être répété en-dehors de cette pièce ? »
Je hochai la tête, m’essuyant les mains avec nervosité sur le coton de mon short gris.
« Vous êtes prêt à prêter serment en ce sens ?
— Certainement », lui dis-je.
Hubbard tendit un bras vers le plancher, comme un homme au restaurant qui a laissé choir sa serviette, et présenta une petite bible noire. Il me la tendit avec tendresse.
Je jetai un regard vers mon père, cherchant quelqu’un avec qui partager l’absurdité comique de la scène, mais il affichait une profonde gravité.
« Prenez le livre dans la main droite, s’il vous plaît, Michael. »
J’obéis. La couverture, en cuir noir repoussé, portait le fer doré du Sceau du Président des États-Unis. Je soulevai la couverture d’un centimètre et vis avec surprise qu’il ne s’agissait pas du tout d’une bible.
« Répétez après moi. Moi, Michael Young…
— Moi, Michael Young…
— Je jure solennellement…
— Je jure solennellement.
— Sur la Constitution des États-Unis d’Amérique…
— Sur la Constitution des États-Unis d’Amérique.
— Que je garderai résolument en moi…
— Que je garderai résolument en moi…
— Toute information qui me sera impartie…
— Toute information qui me sera impartie…
— Concernant la sécurité de mon pays…
— Concernant la sécurité de mon pays…
— Et ne révélerai jamais par mot, par action ou de quelque façon que ce soit…
— Et ne révélerai jamais par mot, par action ou de quelque façon que ce soit…
— Ce qui m’est divulgué…
— Ce qui m’est divulgué…
— Par des officiers du Gouvernement des États-Unis…