— Par des officiers du Gouvernement des États-Unis.
— Dieu m’en soit témoin…
— Dieu m’en soit témoin.
— Très bien, déclara Hubbard en récupérant le livre. Vous comprenez le serment que vous venez de prêter ?
— Je crois, oui.
— Si jamais nous avions des raisons de penser que vous avez répété à qui que ce soit en dehors de cette pièce ce que vous allez entendre, vous seriez accusé de crime. Le nom de ce crime est la trahison, et la trahison est passible au maximum de la peine de mort.
— Hé bien, c’est très clair, fis-je.
— Bon, parfait. » Hubbard jeta un coup d’œil à Brown. « Don, vous voulez peut-être prendre la suite ? »
Brown, toujours debout, hocha la tête et commença à verser du café, perchant en même temps un biscuit sur chaque soucoupe, un de ces gros cookies avec des pépites de chocolat, du genre que des gamins américains avec des taches de rousseur et les cheveux en brosse prennent avec leur verre de lait dans les films des années cinquante.
« L’histoire que je dois vous raconter, dit-il en nous faisant passer les tasses, commence il y a très très longtemps dans la petite ville de Braunau-am-Inn, en Autriche, en 1889. De nos jours, Braunau est une morne petite ville de province, et c’était à l’époque une morne petite ville de province. Rien n’y arrivait jamais. La vie s’y déroulait, naissances, mariages, décès, naissances, mariages, décès. Tout cela autour du marché local, de la taverne, de l’église et, bien entendu, des ragots. »
Histoire de famille
Les eaux de la mort
« Des ragots, déclara Winship en cognant sa tasse de café contre la table, l’endroit se résume à cela. Un immense hypermarché du ragot.
— Hé bien, à quoi vous attendiez-vous ? demanda Axel en tapotant l’écume de chocolat sur sa moustache avec une serviette de collège.
— Certes, mais il y a ragots et ragots. Je fais une remarque en passant à un étudiant et, avant que j’aie compris ce qu’il se passe, le Doyen de la Faculté crache feu et flammes en prophétisant une catastrophe budgétaire. Je n’ai jamais affirmé que la Sorbonne nous avait doublés. J’ai simplement déclaré que Patrice Duroc aboutirait probablement le premier.
— Vous le pensez vraiment ?
— Ma foi, ça n’aurait rien d’invraisemblable, répondit Winship. Et franchement, quelle importance ? La communauté scientifique dépasse ces querelles, quand même. »
Axel gloussa d’une voix grave. « Vous croyez à ça ? Vous y croyez vraiment ?
— Hé bien, pour Berlin, peu importe qui atteint le but le premier, non ? Tant que c’est l’Europe, et pas l’Amérique. Mais les responsables du budget, doux Jésus, les responsables du budget. On croirait que l’avenir de la civilisation est en jeu.
— Ne me dites pas que vous ne croyez pas à la concurrence interne ? demanda Axel avec une horreur feinte.
— Oh, pour vous, tout va bien. Votre travail est tellement important que vous pouvez obtenir tous les crédits qu’il vous plaît. Et comment ça avance, à propos ? Vous approchez du but, ou êtes-vous toujours, comme j’entends dire, à entretenir de doux délires ?
— Vous savez bien que je ne peux pas en parler, Jeremy, dit doucement Axel.
— Bah, à quoi bon parler de quoi que ce soit ? » Winship se leva lourdement de son siège. « Hey ho, retour à la mine. Vous revenez aux labos ? Je ne détesterais pas me faire raccompagner.
— Désolé d’être désobligeant, mais j’ai un après-midi serein de cours au collège.
— Hé bien, sod you, then{Allez vous faire voir, alors ! (N.d.T.).}, dit Winship en anglais.
— J’ai compris ce que vous avez dit », répliqua Axel avec un sourire.
Ils se séparèrent à la porte de la salle des professeurs.
Axel s’attarda un moment à humer l’air doux du printemps, puis gagna d’un pas tranquille la loge du portier.
« Bonjour, Bill.
— Bonjour, professeur Bauer.
— Ça sent l’été.
— Pas trop tôt, monsieur. Pas trop tôt. »
Axel inspecta distraitement sa boîte aux lettres. Bourrée comme d’habitude de prospectus et d’avis inutiles. Un autre jour. Il la viderait un autre jour.
« Vous avez reçu le message, alors, monsieur ? »
Axel se retourna. « Le message ? Quel message ?
— Un télé-script pour vous. Urgent, ils disaient. Le petit Henry a appelé votre appartement, mais vous n’étiez pas là.
— J’étais sorti déjeuner.
— Je crois que Henry l’a transféré sur votre compte OAK, monsieur, mais j’ai l’exemplaire original ici.
— Ah, merci.
— Vous allez voir, ça vient d’Allemagne, dit Bill en tendant une enveloppe jaune. De Berlin », ajouta-t-il avec un mélange songeur de respect et de curiosité.
Axel chercha à tâtons ses lunettes de lecture et déchira l’enveloppe pour l’ouvrir.
Professeur Axel Bauer
Collège St-Matthew
Cambridge
Angleterre
Cher professeur Bauer,
Nous avons le regret de vous annoncer que votre père, le Freiherr Dietrich Bauer, est très gravement malade. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour le soulager, mais j’ai le devoir de vous prévenir : il est peu probable qu’il reste encore parmi nous plus d’une semaine. Il a exprimé une envie pressante de vous voir, et si vous pouvez arranger la chose avec vos employeurs je vous suggère instamment de venir aussi vite que possible.
Avec mes salutations amicales,
Axel était harassé quand il arriva enfin au Flughafen Speer. L’avion, un Pfeil-6 Messerschmitt était bondé d’hommes d’affaires, dont les costumes impeccables et la concentration absurde sur leurs ordinateurs portables lui donnaient l’impression d’être négligé et incongru. Les hôtesses de l’air, lui sembla-t-il, l’avaient traité comme si elles le considéraient elles aussi comme un être inférieur. Ah bah, fini le temps où l’on respectait les universitaires et les savants. De nos jours, l’Europe prisait le commerce, et les hommes d’affaires, à leur tour, après avoir exploité ce que les savants et les technologies avaient donné au monde, moissonnaient les récompenses et récoltaient les honneurs.
Les honneurs ! Ce fut seulement à mi-trajet, alors qu’il méditait sur ce nouveau monde, agressif et bruyant, autour de lui, qu’Axel s’aperçut avec un choc de surprise qu’il allait bientôt hériter comme de juste de la baronnie de son père. Freiherr Axel Bauer. Ridicule.
Peut-être cela expliquait-il la courtoisie et l’assistance extraordinaires dont les autorités universitaires avaient fait preuve envers lui lorsqu’il avait demandé ce congé exceptionnel d’une semaine. Quelque part dans les dossiers, supposa-t-il, il figurait comme fils d’un Reichsheld, d’un Héros de la Grande Allemagne. De nos jours, personne n’attachait plus beaucoup d’importance à ce genre de chevaleresques sottises glodériennes, mais les sentimentaux et les snobs restaient suffisamment nombreux pour assurer certaines attentions à un Baron du Reich cent pour cent authentique. De bonnes tables au restaurant, à tout le moins. Et peut-être, une fois qu’il aurait mis à jour ses cartes de crédit et ses papiers, un petit surcroît de service et de respect de la part de ces hôtesses de l’air…
Les autorités à Londres et à Berlin avaient également déployé une coopération exceptionnelle, lorsqu’on considérait dans quel grand secret ses collègues et lui œuvraient à leur projet, à Cambridge. Elles n’aimaient pas voir voyager les célibataires qui travaillaient dans des domaines sensibles, fût-ce à l’intérieur de l’Europe. Les hommes mariés, ceux qui laissaient derrière eux épouses et enfants : les autorités se sentaient assez en confiance avec eux. Et pourtant, ils avaient visé ses papiers avec politesse et diligence.