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«Tout cela tourne mal, lui murmure-t-il… Va donc donner de l’air à la mère Giry…»

Et Gabriel s’éloigne.

Bientôt on est arrivé devant la porte directoriale. C’est en vain que Mercier fait entendre ses objurgations, la porte ne s’ouvre pas.

«Ouvrez au nom de la loi!» commande la voix claire et un peu inquiète de M. Mifroid.

Enfin la porte s’ouvre. On se précipite dans les bureaux, sur les pas du commissaire.

Raoul est le dernier à entrer. Comme il se dispose à suivre le groupe dans l’appartement, une main se pose sur son épaule et il entend ces mots prononcés à son oreille: «Les secrets d’Érik ne regardent personne!»

Il se retourne en étouffant un cri. La main qui s’était posée sur son épaule est maintenant sur les lèvres d’un personnage au teint d’ébène, aux yeux de jade et coiffé d’un bonnet d’astrakan… Le Persan!

L’inconnu prolonge le geste qui recommande la discrétion, et dans le moment que le vicomte, stupéfait, va lui demander la raison de sa mystérieuse intervention, il salue et disparaît.

XVII Révélations étonnantes de Mme Giry, relatives à ses relations personnelles avec le fantôme de l’Opéra

Avant de suivre M. le commissaire de police Mifroid chez MM. les directeurs, le lecteur me permettra de l’entretenir de certains événements extraordinaires qui venaient de se dérouler dans ce bureau où le secrétaire Rémy et l’administrateur Mercier avaient en vain tenté de pénétrer, et où MM. Richard et Moncharmin s’étaient si hermétiquement enfermés dans un dessein que le lecteur ignore encore, mais qu’il est de mon devoir historique, – je veux dire de mon devoir d’historien, – de ne point lui celer plus longtemps.

J’ai eu l’occasion de dire combien l’humeur de MM. les directeurs s’était désagréablement modifiée depuis quelque temps, et j’ai fait entendre que cette transformation n’avait pas dû avoir pour unique cause la chute du lustre dans les conditions que l’on sait.

Apprenons donc au lecteur, – malgré tout le désir qu’auraient MM. les directeurs qu’un tel événement restât à jamais caché – que le Fantôme était arrivé à toucher tranquillement ses premiers vingt mille francs! Ah! il y avait eu des pleurs et des grincements de dents! La chose cependant, s’était faite le plus simplement du monde:

Un matin MM. les directeurs avaient trouvé une enveloppe toute préparée sur leur bureau. Cette enveloppe portait comme suscription: À Monsieur F. de l’O. (personnelle) et était accompagnée d’un petit mot de F. de l’O. lui-même: «Le moment d’exécuter les clauses du cahier des charges est venu: vous glisserez vingt billets de mille francs dans cette enveloppe que vous cachetterez de votre propre cachet et vous la remettrez à Mme Giry qui fera le nécessaire. »

MM. les directeurs ne se le firent pas dire deux fois; sans perdre de temps à se demander encore comment ces missions diaboliques pouvaient parvenir dans un cabinet qu’ils prenaient grand soin de fermer à clef, ils trouvaient l’occasion bonne de mettre la main sur le mystérieux maître chanteur. Et après avoir tout raconté sous le sceau du plus grand secret à Gabriel et à Mercier ils mirent les vingt mille francs dans l’enveloppe et confièrent celle-ci sans demander d’explications à Mme Giry, réintégrée dans ses fonctions. L’ouvreuse ne marqua aucun étonnement. Je n’ai point besoin de dire si elle fut surveillée! Du reste, elle se rendit immédiatement dans la loge du fantôme et déposa la précieuse enveloppe sur la tablette de l’appui-main. Les deux directeurs, ainsi que Gabriel et Mercier étaient cachés de telle sorte que cette enveloppe ne fût point par eux perdue de vue une seconde pendant tout le cours de la représentation et même après, car, comme l’enveloppe n’avait pas bougé, ceux qui la surveillaient ne bougèrent pas davantage et le théâtre se vida et Mme Giry s’en alla cependant que MM. les directeurs, Gabriel et Mercier étaient toujours là. Enfin ils se lassèrent et l’on ouvrit l’enveloppe après avoir constaté que les cachets n’en avaient point été rompus.

À première vue, Richard et Moncharmin jugèrent que les billets étaient toujours là, mais à la seconde vue ils s’aperçurent que ce n’étaient plus les mêmes. Les vingt vrais billets étaient partis et avaient été remplacés par vingt billets de la «Sainte Farce»! Ce fut de la rage et puis aussi de l’effroi!

«C’est plus fort que chez Robert Houdin! s’écria Gabriel.

– Oui, répliqua Richard, et ça coûte plus cher!»

Moncharmin voulait qu’on courût chercher le commissaire; Richard s’y opposa. Il avait sans doute son plan, il dit: «Ne soyons pas ridicules! tout Paris rirait. F. de l’O. a gagné la première manche, nous remporterons la seconde.» Il pensait avidement à la mensualité suivante.

Tout de même ils avaient été si parfaitement joués, qu’ils ne purent, pendant les semaines qui suivirent, surmonter un certain accablement. Et c’était, ma foi, bien compréhensible. Si le commissaire ne fut point appelé dès lors, c’est qu’il ne faut pas oublier que MM. les directeurs gardaient tout au fond d’eux-mêmes, la pensée qu’une aussi bizarre aventure pouvait n’être qu’une haïssable plaisanterie montée, sans doute, par leurs prédécesseurs et dont il convenait de ne rien divulguer avant d’en connaître «le fin mot». Cette pensée, d’autre part, se troublait par instants chez Moncharmin d’un soupçon qui lui venait relativement à Richard lui-même, lequel avait quelquefois des imaginations burlesques. Et c’est ainsi que, prêts à toutes les éventualités, ils attendirent les événements en surveillant et en faisant surveiller la mère Giry à laquelle Richard voulut qu’on ne parlât de rien. «Si elle est complice, disait-il, il y a beau temps que les billets sont loin. Mais, pour moi, ce n’est qu’une imbécile!

– Il y a beaucoup d’imbéciles dans cette affaire! avait répliqué Moncharmin songeur.

– Est-ce qu’on pouvait se douter?… gémit Richard, mais n’aie pas peur… la prochaine fois toutes mes précautions seront prises…»

Et c’est ainsi que la prochaine fois était arrivée… cela tombait le jour même qui devait voir la disparition de Christine Daaé.

Le matin, une missive du Fantôme qui leur rappelait l’échéance. «Faites comme la dernière fois, enseignait aimablement F. de l’O. Ça s’est très bien passé. Remettez l’enveloppe, dans laquelle vous aurez glissé les vingt mille francs, à cette excellente Mme Giry.»

Et la note était accompagnée de l’enveloppe coutumière. Il n’y avait plus qu’à la remplir.

Cette opération devait être accomplie le soir même, une demi-heure avant le spectacle. C’est donc une demi-heure environ avant que le rideau se lève sur cette trop fameuse représentation de Faust que nous pénétrons dans l’antre directorial.

Richard montre l’enveloppe à Moncharmin, puis il compte devant lui les vingt mille francs et les glisse dans l’enveloppe, mais sans fermer celle-ci.

«Et maintenant, dit-il, appelle-moi la mère Giry.»

On alla chercher la vieille. Elle entra en faisant une belle révérence. La dame avait toujours sa robe de taffetas noir dont la teinte tournait à la rouille et au lilas, et son chapeau aux plumes couleur de suie. Elle semblait de belle humeur. Elle dit tout de suite:

«Bonsoir, messieurs! C’est sans doute encore pour l’enveloppe?