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– Non, mais des fois! Pas conséquent! C'purin-là!

– Parfaitement, monsieur, reprit le voisin. J'dis qu'tu rousses et qu'pourtant tu voudrais bien être à leur place, à ces Jean Foutre.

– Pour sûr, mais qu'est-ce que ça prouve, face de fesse? D'abord, nous, on a été au danger et ce s'rait bien not' tour. C'est toujours les mêmes, que j'te dis, et pis, pa'ce qu'y a là-d'dans des jeunes qu'est fort comme un bœuf, et balancé comme un lutteur, et pis pa'c' qu'y en a trop. Tu vois, c'est toujours «trop» que j'dis, parce que c'est ça.

– Trop! qu'en sais-tu, vilain? Ces services, connais-tu qui i' sont?

– J'sais pas c'qu'i' sont, repartit Volpatte, mais j'dis…

– Tu crois qu'c'est pas un fourbi d'faire marcher toutes les affaires des armées?

– J'm'en fous, mais…

– Mais tu voudrais que ce s'rait toi, pas? goguenarda le voisin invisible qui, au fond de son capuchon sur lequel se déversaient les réservoirs de l'espace, cachait soit une grande indifférence, soit l'impitoyable désir de faire monter Volpatte.

– J'sais pas y faire, dit simplement celui-ci.

– Y en a qui sav't pour toi, intervint la voix aiguë de Barque; j'en ai connu un…

– Moi aussi, j'en ai vu! hurla désespérément Volpatte dans la tempête. Tiens, pas loin du front, à j'sais pas quoi, où il y a l'hôpital d'évacuation et une sous-intendance, c'est là qu'j'ai rencontré c't'anguille.

Le vent, qui passait sur nous, demanda en cahotant:

– Qu'est-ce que c'est qu'ça?

À ce moment, il se produisit une accalmie, et le mauvais temps laissa tant bien que mal parler Volpatte, qui dit:

– I' m'a servi d'guide dans tout le fouillis du dépôt comme dans une foire, vu qu'il était lui-même une des curiosités de l'endroit. I' m'menait dans des couloirs, des salles de maisons ou d'baraquements supplémentaires; i' m'entrouvrait une porte à étiquette ou m'la montrait et i' m'disait: «Vise ça, et ça donc, vise-le!» J'ai visité avec lui; mais lui n'est pas revenu, comme moi, aux tranchées: n't'en fais pas. I' n'en r'venait du reste pas non plus, fais t'en pas. C't'anguille, la première fois que j'l'ai vue, elle marchait tout doucement dans la cour: «C'est l'service courant», qu'i' m'dit. On a causé. L'lendemain, i' s'était fait coller ordonnance, pour couper à un départ, vu qu'c'était son tour de partir depuis l'commencement d'la guerre.

» Sur le pas de la porte où il s'était pagnoté toute la nuit dans un plumard, i' cirait les godasses de son ouistiti: des palaces pompes jaunes. I' leur z'y collait d'l'encaustique, î' les dorait, mon vieux. J'm'ai arrêté pour voir ça. Le gars m'a raconté son histoire. Mon vieux, j'me rappelle plus besef de c'bourrage de crâne arabe, pas plus que j'me rappelle de l'Histoire de France et des dates qu'on chantait à l'école. Jamais, mon vieux, i' n'avait été envoyé sur le front, quoique de la classe 3 et un costaud bougre, tu sais. L'danger, la fatigue, la mocherie de la guerre, c'était pas pour lui, pour les autres, oui. I' savait que si i' mettait l'pied sur la ligne de feu, la ligne prendrait toute la bête, aussi i' coulait de toutes les pattes pour rester sur place. On avait essayé de tous les moyens pour le posséder, mais c'était pas vrai, il avait glissé des pinces de tous les capitaines, de tous les colonels, de tous les majors, qui s'étaient pourtant bougrement foutus en colère contre lui. I' m'racontait ça. Comment qu'i' f'sait? I' s'laissait tomber assis. I' prenait un air con. I' faisait l'saucîsson. I' d'venait comme un paquet de linge sale. «J'ai comme une espèce de fatigue générale», qu'i' chialait. On savait pas comment l'prendre et, au bout d'un temps, on le laissait tomber, i' s'faisaît vomir par tout un chacun. V'là. I' changeait sa manière aussi suivant les circonstances, tu saisis? Qué'qu'fois, l'pied y faisait mal, dont i' savait salement bien s'servir. Et pis, i' s'arrangeait, l'était au courant des binaises, savait toutes les occases. Tu parles d'un mecton qui connaissait les heures des trains! Tu l'voyais s'rentrer en s'glissant en douce dans un groupe du dépôt où c'était l'filon, et y rester, toujours en douce poil-poil, et même, i' s'donnait beaucoup d'mal pour que les copains ayent besoin de lui. I' s'levait à des trois heures du matin pour faite le jus, allait chercher de l'eau pendant que les autres bouffaient; enfin quoi, partout où i' s'était faufilé, il arrivait à être d'la famille, c'pauv' type, c'te charogne! Il en mettait pour ne pas en mettre. I' m'faîsait l'effet d'un mec qu'attrait gagné honnêtement cent balles avec le travail et l'emmerdement qu'il apporte à fabriquer un faux billet de cinquante. Mais voilà: I' raboulera sa peau, çui-là. Au front, i' s'rait emporté dans l'mouvement, mais pas si bête. I' s'fout d'ceux qui prennent la bourre sur la terre, et i' s'foutra d'eux plus encore quand i's seront d'ssous. Quand i's auront fini tous de s'battre, i' r' viendra chez lui. I' dira à ses amis et connaissances: «Me v'là sain t'et sauf», et ses copains s'ront contents, parce que c'est un bon type, avec des magnes gentilles, tout saligaud qu'il est, et – c'est bête comme tout – mais c't'enfant d'vermine-là, tu l'gobes.

» Eh bien, des clients de c'calibre-là, faut pas croire qu'y en ait qu'un: y en a des tinées dans chaque dépôt, qui s'cramponnent et serpentent on ne sait pas comment à leur point d'départ, et disent: «J'marche pas», et marchent pas, et on n'arrive jamais à les pousser jusqu'au front.»

– C'est pas nouveau, tout ça, dit Barque. Nous l'savons, nous l'savons!

Y a les bureaux! ajouta Volpatte, lancé dans son récit de voyage. Y en a des maisons entières, des rues, des quartiers. J'ai vu que mon tout petit coin de l'arrière, un point, et j'en ai plein la vue. Non, j'n'aurais pas cru qu'pendant la guerre y avait tant d'hommes sur des chaises…

Une main, dans la file, sortit, tâta l'espace.

– V'là la sauce qui n'tombe plus…

– Alors, on va s'en aller, t'vas vouère…

En effet, on cria: «Marche!»

L'averse s'était tue. On défila dans la longue mare mince qui stagnait dans le fond de la tranchée et sur laquelle, l'instant d'avant, se trémoussaient des plaques de pluie.

Le murmure de Volpatte reprit dans le fatras du déambulement et les remous des pas pataugeurs.

Je l'entendais, en regardant se balancer devant moi les épaules d'une pauvre capote pénétrée jusqu'aux os.

C'était après les gendarmes qu'en avait alors Volpatte.

– À m'sure que tu tournes le dos à l'avant, t'en vois de plus en plus.

– I' n'ont pas l'même champ d'bataille que nous.

Tulacque avait une vieille rancune contre eux.

– Faut voir, dit-il, comment dans les cantonnements les frères se développent, pour chercher d'abord où bien loger et bien manger. Et puis, après qu'la chose du bidon est réglée, pour choper les débits clandestins. Tu les vois guetter avec la queue de l'œil les portes des casbas pour voir si des fois des poilus n'en sortent pas en douce, avec un air d'avoir deux airs, en r'luquant d'droite et d'gauche et en se léchant les moustaches.

– Y en a d'bons: j'en connais un, dans mon pays, la Côte-d 'Or, d'où j'suis…

– Tais-toi, interrompit péremptoirement Tulacque. I' s'valent tous; y en a pas un pour raccommoder l'autre.

– Oui, i' sont heureux, dit Volpatte. Mais tu crois p't'êtr' qu'i' sont contents? Pas du tout… I's roussent.

Il rectifia:

– Y en a un qu'j'ai rencontré et qui roussait. Il était bougrement embêté par la théorie: «C'est pas la peine d'apprendre la théorie, qu'i' disait, elle change tout l'temps. T'nez, le service prévôtal; eh bien, vous apprenez c'qui fait le principal chapitre de la chose, après c'n'est plus ça. Ah! quand cette guerre s'ra-t-elle finie?» qu'i disait.