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— Non, dit-elle…

— Il a pourtant trouvé un mot sous sa lourde, il est pas venu tout seulâbre ?

Elle se poire.

— C’est moi que je l’ai mis pour pas réveiller le monsieur…

Envapeuse, elle ajoute, le regard humide :

— Il était un peu fatigué…

— Où que tu l’avais chopé, ce bifton, dis, enfant de garce ?

La fille de famille ne s’offusque pas de cette appellation non contrôlée.

— C’est un grome qui me l’avait donné.

J’insiste :

— Un quoi ?

— Un grome ! Un petit grome d’hôtel…

— Ah ! Un groom ?

— Oui… Il m’a dit : « Pour M. Carmona, c’est urgent. »

— Il appartenait à quel hôtel, ce petit gars ?

— Continental.

— Bon, ça va, merci…

Je salue les deux protagonistes de mes amours extra-policières et je m’emmène balader. Bérurier est dans les parages, fulminant comme à son ordinaire contre moi qui lui fais faire le tapin pour balpeau.

Je cramponne un bahu et me fais conduire à l’hôtel Continental. Là, je demande au portier de voir les chasseurs.

Il me demande à quel titre, car je ne suis pas loqué comme un prince ; je lui dis que c’est au titre du billet de mille balles que je lui glisse dans le creux de la paluchette et ça lui suffit comme explication.

En moins de temps qu’il n’en faut au comte de Monte-Cristo pour s’évader du château d’If, j’ai retrouvé le gamin porteur du fameux message. Je lui allonge une demi-jambe en guise de préambule, ce qui prédispose particulièrement aux confidences. C’est une grande règle, les gars, les paroles c’est comme le blé : faut pas pleurer l’engrais si on veut une belle moisson.

Le « grome » est un jeunot joufflu au nez plongeant et au regard naïf.

Oui, il a bien porté un mot à l’hôtel des Pirouettes. Qui l’avait chargé de la course ? Un client… Non, il n’a jamais vu ce client, il a pensé que c’était un client parce que l’homme était assis dans le hall.

— Comment était cet homme ? Eh ben !… Attendez voir, m’sieur… Heu… Grand… Oui, très grand, avec des cheveux blancs qui avaient dû être roux… Des yeux… J’sais plus ! Bien habillé : en gris… avec une pochette bordeaux…

Je le remercie et je vais tuber à Pinaud en lui refilant ce signalement.

— Tâche de voir si tu ne trouves pas quelque chose dans ce style aux dossiers, dis-je, sans conviction…

Sans conviction, car je sens que les mecs qui pourchassent Carmona ne sont pas des truands ordinaires… Il y a des éléments troublants qui me font penser que j’ai affaire à des types d’un genre particulier dont on ne trouve trace ni aux sommiers ni dans le catalogue de la Samaritaine.

Je ressors du Continental plus flottant que j’y suis entré, l’œil vague, la salive salée… Il fait tout à fait nuit et Paris s’illumine.

Bérurier est rangé au volant de sa tire le long du trottoir. Il a un coude passé par la portière et il semble abîmé dans des pensées, ce qui n’est de sa part qu’un mauvais rôle de composition.

Je poursuis mon chemin sans ralentir… La nuit est légère et pourtant elle contient une menace. Elle a des yeux : de grands yeux intenses braqués sur moi. Je les sens dans mon dos, pareils à des vrilles. Je marche comme sous le rayon des projecteurs. « Ils » sont là… Ils ne peuvent pas ne pas être là… Ils me suivent pas à pas…

« Pourquoi avoir fait porter ce mot par un type du Continental ? Pour déjouer les soupçons de la police ? Sans doute… Mais alors que pensent ces gens de ma petite enquête ? Ne sont-ils pas surpris de constater qu’au lieu de fuir, je suis venu au point de départ du message menaçant afin de savoir “qui” l’avait envoyé ? N’ai-je pas commis une grosse faute en leur prouvant ainsi que je ne savais pas d’où venait ce billet ? Merde arabe ! Tout ça c’est d’un compliqué ! »

Je file doucement vers l’Opéra… J’entre au Trou dans le mur et je biberonne le whisky dont je rêvais depuis un bout de temps. L’alcool me fait du bien.

L’opération coup de fouet, comme sur la 4 CV.

En sortant du bar, je vais au Rally, à côté. C’est la grande usine à tortore, mais j’ai besoin de me sentir entouré de trèpe. Je vais vous faire un aveu : j’ai peur… Pourquoi vous le cacher ? Puisque c’est vrai. Oui, le gros dur de San-Antonio a les jetons… Et cela vient de mon changement de personnalité. C’est mon côté Carmona qui a les copeaux. L’homme traqué… Je dégauchis une table tout au fond de la salle du premier. De là, je n’ai pas besoin de surveiller mes arrières et j’ai le champ libre pour examiner les gens qui vont et viennent.

Une serveuse s’empresse, la carte à la main.

Je consulte le menu.

— Un œuf mayonnaise et un mutton-chop !

— Bien, monsieur… Du vin ?

— Oui, une bouteille de pommard !

Après tout, j’ai bien droit à ma ration de calories, non ?

Les gens se figurent comme ça qu’un flic ne tortore que des steaks en semelle crêpe dans des bistrots pour chauffeurs de taxis, en lichetrognant des quarts de Bercy ! Enfin tout de même ! Pourquoi toujours vous faire des idées préconçues ? Un flic, mes zenfants, ça a droit aux bonnes choses, aux assurances sociales, à la médaille militaire et au cancer du fumeur comme n’importe quel banquier !

Seulement, son cancer, il se l’attrape à la Gauloise bleue et non au Corona, voilà tout !

Je bigle sauvage les gens qui entrent à ma suite dans la salle. Tous paraissent bien innocents, bien pépères, bien cornichons…

C’est tout du brave Français moyen qui marine dans la vie en attendant d’aller passer ses vacances en Italie. Voyage organisé : mon père, regardez à gauche ! Ma mère, regardez à droite ! Le Vésuve fait relâche aujourd’hui… Voir le pape au téléobjectif ! Respirer les miasmes du Grand Canal de Venise. Se faire coiffer sa valoche en gare de Milano par un spécialiste… Vous ramenez quatre vues de Naples dans la lentille d’un porte-plume souvenir, plus une vieille vérole et un morceau de Pompéi (c’est pas le volcan qui l’a détruite, cette ville, ce sont les touristes !). Le rêve, quoi ! Le rêve des besogneux et des paumés, le rêve de ceux qui passent leur existence à attendre quelque chose qui ne viendra jamais…

J’ai beau les mater, les convives du Rally, je ne vois pas de suspects… Non… C’est décidément de la bonne population, sans complication.

Soudain une superbe fille s’annonce dans le secteur. Elle est belle, bronzée, appétissante comme un beau fruit de luxe… Elle tient en laisse un chien bizarre dont on ne peut définir où il commence ni où il finit, tant il a le poil long…

La vamp cherche une table où atterrir. Il y en a précisément une à côté de la mienne. Alors elle se la radine et fait sisite sur la moleskine avec son cador entre nous !

J’examine l’O Cedar et, du fait qu’il est assis, je repère sa gueule.

Je balance un coup de saveur à la patronne par-dessus le dog.

— C’est quelle race ? je demande en ponctuant ma question d’un sourire enjôleur.

— Un mahu-maho, fait-elle…

— Ah bon ! fais-je, il me semblait aussi…

Écoutez, les mecs : quand vous tenez à portée de la main une donzelle aussi sensationnelle et qu’elle est flanquée d’un chien, vous pouvez la baratiner sur le gaille, ça rendra toujours… Les bonnes femmes qui ont un cador aiment qu’on les complimente sur l’enfant chéri… C’est ce que je fais. J’y vais de tous mes superlatifs : feu à volonté ! Et c’est du chien-chien extraordinaire. Et si ça n’a pas le premier prix à l’exposition canine c’est que le jury est acheté ! Et ça paraît tellement intelligent, ces petites bêtes ! Il ne leur manque que la parole ! L’ami de l’homme ! Vaut mieux l’amitié d’une bête que celle de bien des gens ! Qu’est-ce qu’elle lui fait prendre pour qu’il soit si beau, ce chéri ? Du Stérogyl 15 ? Oh alors ! Tout s’explique… Elle a raison de le dorloter, c’est une satisfaction de pouvoir élever une bête de race… Quand on pense qu’il y a des gens aussi mesquins pour tolérer les bâtards ! On devrait les fusiller ! Qu’est-ce qu’elle fout, la SPDA, dites-moi un peu ?