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Il est catégorique, apostolique et romain : pas de plaintes enregistrées émanant d’un Bargette. Nulle part on ne trouve trace de l’affaire. Voilà qui est pour le moins étrange !

— Ça va, dis-je, merci, vieux chnoque !

J’embrasse ma brave femme de mère.

— Tu rentres pour déjeuner ? s’enquiert-elle, pleine d’espoir.

— Oui.

— Tant mieux… Je vais te faire une blanquette de veau.

— Merveilleux, M’man ! N’oublie pas d’y mettre des rondelles de cornichons… Le cornichon, c’est un peu le Sacha Guitry de la blanquette.

Je bombe en direction de Boulogne.

* * *

Comme qui dirait pour ainsi dire nous sommes voisins, Bargette et moi. Il ne me faut qu’une faible douzaine de minutes pour parvenir à sa demeure. Je me trouve devant une agence immobilière rupine… Tous les communistes d’Auteuil doivent venir acheter làga leur hôtel particulier. Et il se fait de la fraîche, Bargette, si comme les écrevisses on se fie aux appâts rances !

De la pierre de taille, ma bonne dame… Et du fer forgé comme s’il en vasait ! Un hall moelleux comme une boîte à bijoux, le confort suprême : eau chaude et froide !

Une dactylo accorte au torse moulé dans un pull blanc qui dégage ses mamelons (de Cavaillon) me réceptionne.

Je lui dis qui je suis mais elle ne me dit pas qui je fréquente pour autant.

Son blot c’est d’amorcer le client et, à l’occasion, de martyriser une Hermès qui ne lui a rien fait !

Quand un acheteur éventuel se propage chez Bargette et qu’il voit s’annoncer deux seins comme ça, avec par-derrière une souris aussi harmonieuse, il ne pense plus à sa villa Sam-Sufy ! Il voit grand instantanément. Pour lui c’est carrément le six pièces avenue Mozart avec grille en forgé noir et concierge reçue première au concours général ! La folie des grandeurs qu’elle vous flanque, la bergère ! Pif paf ! Et vous êtes chambré. Un regard en coulisse, ardent comme une 100 bougies, profond comme la mer qu’on voit danser au fond des golfes clairs ! Après ça, le Bargette n’a plus qu’à rédiger l’acte de vente et à faire signer les traites !

— La police ! elle fait en me toisant de bas en haut, puis de gauche à droite en passant par Montfort-l’Amaury.

— Pourquoi pas ?

— Bien… M. Bargette va vous recevoir.

Elle s’éclipse et je perçois des chuchotements dans la pièce voisine. Enfin elle revient, souriante.

— Si vous voulez bien entrer…

Je m’exécute. Bath burlingue ! De la peau de Suède, de l’acajou, de la tenture brochée, des livres reliés…

Bargette est un type assez corpulent mais portant bien son poids. Visage un peu blafard, regard terne… Élégance suprême… Bref, il vous vendrait le palais de l’Élysée en deux temps trois mouvements.

Il se lève.

— Vous désirez me parler, monsieur l’inspecteur ?

— Commissaire !

— Oh ! pardon…

Est-ce une illusion ? Mais je crois déceler une légère inquiétude sur cette face copieuse, sirupeuse et gélatineuse…

— Quelques mots seulement…

Il me désigne un siège. J’y dépose mon contrepoids en prenant soin de tirer sur le pli de mon bénard. Mon regard tombe sur un élégant coffre-fort enchâssé dans le mur. Le meuble blindé est peint en crème. Je remarque, d’où je suis, quelques traces d’éraflures près de la serrure.

Bargette suit mon regard.

— C’est ce coffre qui a été forcé ? je questionne…

Vous le voyez, le démarrage se fait sec et à froid ! Il en prend un drôle de coup dans les gencives, mon gars Bargette ! S’il fait de la gingivite, il pourra sucer du citron après ça.

Sa face pâle ne pâlit pas, mais je vois se creuser deux cernes bleuâtres sous son regard. Il ne bronche pas, ne répond rien. Il pense… Et il n’arrive pas à ordonner le flot de questions qui s’annoncent au contrôle !

Je poursuis, d’une voix égale, courtoise, préhensive :

— Vous avez eu, somme toute, de la chance d’avoir affaire à un professionnel. Si ç’avait été un amateur qui bricole ce coffre, vous auriez pu téléphoner chez Bauche pour vous le faire changer…

Il se décide enfin à manœuvrer sa menteuse.

— Comment a-t-on su que mon coffre avait été ouvert ?

— Le voleur a été arrêté…

— Ah !…

Il tortille ses bons gros doigts pareils à des francforts.

— Dites, Bargette, en général les gens cambriolés cavalent au commissariat lorsqu’ils constatent le méfait ; comment se fait-il que vous n’ayez rien dit ?

Il secoue la tête :

— C’est mon affaire…

— Je crois que c’est devenu aussi un peu celle de la police. J’attends vos explications…

Il hausse les épaules.

— Je ne tenais pas à faire de la publicité autour de ce vol.

— Pourquoi ?

— Pour mon standing…

— En quoi le fait d’avoir été cambriolé porte-t-il atteinte à un standing ?

Il doit être colérique dans le fond car il abat brusquement sa grosse main sur son buvard.

— Je suis libre d’apprécier ce qui convient ou non à ma situation ! Quoi que vous en disiez, monsieur le commissaire, la police n’a pas à s’occuper de cette affaire.

En guise de réponse je me mets à compter posément sur mes doigts.

— Un… deux… trois… quatre… cinq…

Je change de main, n’étant pas un phénomène, et je conclus :

— … six !

Il me regarde d’un œil inquiet.

— Six morts, fais-je… à la suite de ce cambriolage, à cause de ce cambriolage ! Si vous estimez que ça ne regarde pas la police, prévenez au moins la voirie pour le ramassage des cadavres.

Il blêmit !

— Vous dites, des morts ?

— Je dis six morts !

— À cause de ?…

— À cause de !

— Mais… C’est impossible !

— C’est impossible et pourtant vrai… Pour plus de détails prière de vous reporter à votre journal habituel… Vous n’aurez pas à chercher, c’est en première page !

Il flanche, puis se redresse.

— Comment ce diamant pourrait-il occasionner un tel massacre ? Certes, il a une grosse valeur, mais tout de même…

Alors là, il vaut mieux me passer la boîte de biscottes. Je ne déjeunerai pas aujourd’hui. Félicie peut expédier sa blanquette de veau aux petits orphelins du treizième !

Je parle document et il me répond diamant.

Il explique :

— Bon, je préfère tout vous dire. Je compte sur votre discrétion ! Il y a quelques mois j’ai eu un trou à ma banque à la suite d’une opération malheureuse. Oh ! il s’agissait d’un simple accident ne devant pas comporter de suites graves. Mais il me fallait absolument du liquide… En emprunter ? Oui, j’aurais pu, seulement, vous savez comment se manœuvre l’opinion publique. Dans nos métiers tout est extérieur… J’ai eu recours à une bague splendide que possédait ma femme. Un solitaire merveilleux ! Valeur trois millions !

Il s’essuie le front car il transpire, le pauvre Bargette.

— Ma femme est une personne de caractère très… difficile… Elle n’aurait jamais accepté que j’engage sa bague. Alors je… je lui ai fait croire qu’elle l’avait perdue… Vous… vous comprenez ?

Je comprends très bien que le gros a chouravé la bagouze de sa bergère. C’est de bonne guerre.

— Le vol entre époux n’est pas passible de poursuites, dis-je…

Le mot le fait tiquer…

— J’ai donc engagé la bague… J’ai eu de la sorte le liquide qui me manquait… Ensuite, lorsque ma situation a été redressée, je l’ai dégagée et serrée dans mon coffre en attendant de trouver un prétexte plausible pour la rendre à ma femme.