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Nous fumons, mes collègues et moi, regardant la terre monter à côté de la fosse, composant une petite montagne qui croît à chaque pelletée.

Une bonne chose pour nous, Pinaud ne parle pas… Il est peut-être impressionné par la solennité de l’instant.

Enfin les gars s’arrêtent de piocher et de pelleter. Ils descendent dans la fosse, munis de cordes… Et les voilà qui hissent avec précaution un cercueil pourri.

À l’ouverture du meuble, une affreuse odeur de décomposition nous bondit dans le nez.

Bérurier fait un pas en arrière, comme le cheval du père à Victor Hugo.

— Ça fouette vilain, explique-t-il en manière d’excuse.

— Merci du renseignement, fais-je en me penchant au-dessus du cercueil…

Les terrassiers retournent à leur saucisson et à leur litre de rouge. Eux, ils ont l’habitude. Le cadavre, c’est comme qui dirait leur matériau principal.

— Fais-moi de la lumière ! ordonné-je à Pinuche, lequel est muni d’une lampe de poche à dynamo.

Il actionne sa lanterne, le mec. Un peu faiblard, avec les fesses qui font « bravo ».

Ce qu’il y a dans le cercueil est mal racontable…

Un squelette habillé de hardes… Un squelette chevelu… Une drôle de vision ! De quoi battre M. Clouzot sur le chemin du diabolisme et Frédéric Dard sur celui du Grand-Guignol !

Je prends le futal à pleines pognes et courageusement je tire. Il est humide et il s’effiloche… Bientôt, sous les yeux, j’ai la carcasse inférieure à nu…

Pinaud me colle le faisceau de la lampe en pleine poire.

— C’est pas bibi qu’il faut illuminer, gars, je rouspète.

Il balance son projo sur le pauvre défunt.

Je cherche dans son froc car il n’a plus de bidoche sur les os, le pauvre chéri… Je cherche fébrilement… Et soudain, soudain, les enfants, je trouve ! La balle est bien là… Toute petite, comme si une duègne la gardait ! Scintillante ! Calibre 9… Elle est assez grossière du reste… Mal façonnée. Spécimen de propagande…

Je suis ému. Je la regarde dans ma main, à la clarté de la lampe.

— C’était donc ça ? balbutie Bérurier.

— Oui, ça n’était que ça, Gros…

Je glisse le morceau de métal dans mon paquet de cigarettes et j’enveloppe ce dernier dans mon mouchoir.

— Bon, fais-je aux terrassiers. Maintenant, remettez ce monsieur en place comme si de rien n’était. Tenez, voilà mille balles pour boire un coup après le turbin…

Nous retournons à la voiture !

CHAPITRE XX

La blanquette de veau (fin)

Minuit sonne au clocher du village lorsque j’arrête ma tire devant la crèche à Félicie. Délesté de la fameuse balle que j’ai déposée sur le buvard du Vieux, je me sens léger…

De la lumière filtre sous la lourde. Félicie paraît en haut du perron, heureuse…

— Enfin, c’est toi !

On s’embrasse.

— Avant toute chose, lui dis-je, je vais aller me laver les pognes… Amène ta boutanche d’eau de Javel, j’ai besoin de me désinfecter…

— T’as touché quelque chose de sale ? demande-t-elle.

Sa question mérite réflexion.

La mort est-elle sale, dites ? Répondez un peu à la question de Môman !

— Sale ? Non… fais-je. Quelque chose de triste…

Lorsque je ressors du lavabo, mon couvert est mis dans la salle à manger. Devant moi il y a un plat de terre fumant empli de blanquette de veau odorante… Une bouteille de bordeaux…

Je me verse à boire, puis j’attrape la cuillère.

Félicie, assise dans son vieux fauteuil, me regarde vivre avec un rien d’extase au fond de la prunelle.

J’enfonce la cuillère dans le plat. Mais je m’arrête.

— Écoute, M’man, murmuré-je, faut pas m’en vouloir mais… j’ai pas faim…

Elle a un grand geste résigné, le geste qu’ont toutes les mères…

— Eh bien, laisse-la, murmure-t-elle. De toute façon, ça se réchauffe !

FIN