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Et il faut que les apprenne prompto.

Je décroche le bignou pour demander la Santé.

J’ai le diro en priorité. Je lui demande comment se comporte son pensionnaire. Il me répond que tout est O.K.

— Reçoit-il des visites ? je questionne.

— Une fois son frère est venu, mais il n’a pas voulu aller au parloir.

— Du courrier ?

— Des lettres anodines de son frère, toujours…

— Bon, je vais rendre une petite visite à ce zèbre.

— À votre disposition.

Je raccroche. Avant de partir, je demande le préposé aux fichiers qui m’apprend en un temps record que Carmona n’a pas de frère.

Du coup mon thermomètre monte jusqu’au maxi.

Ce Carmona me paraît vraiment intéressant et l’affaire dans laquelle sa beigne m’a projeté, passionnante.

C’est pas du lard, c’est du cochon !

CHAPITRE III

Enlevez, c’est pesé !

Voilà près de quinze jours qu’il a dégusté le tabassage de gala des services condé, et sa gogne est toujours aussi marquée que s’il avait passé ses grandes vacances à l’intérieur d’un mixer.

Il a le naze style boxeur en retraite, une arcade qui a de la peine à se ressouder et une pommette enflée comme un édredon. Le tout parsemé d’auréoles multicolores du plus gracieux effet.

Je le salue gentiment.

— Salut, Carmona… Eh bien ! mon gars, comme chirurgie esthétique, ça se pose là ! Tu ressembles à un arc-en-ciel !

Il me dévisage de cet œil morne qu’ont tous les prisonniers du monde.

— Tu sembles plus calme que l’autre fois, dis donc…

Sa bouille cabossée reste impavide. Au fond de sa prunelle vacille une flamme infiniment triste qui m’émeut. Sans blague ! Je vous jure qu’en vieillissant je deviens sensible comme une petite rosière. J’ai le palpitant qui fait du rabe.

Je m’assieds au pied du lit rudimentaire et je lève les yeux vers le vasistas haut percé. On ne distingue pas le ciel. La cellule est comme une île perdue dans l’espace. Elle est grise et elle pue.

— Ça te plaît, la villégiature ?

J’allume une cigarette. Comme il me regarde tirer une bouffée avec envie, je lui lance mon paquet.

— Tiens, j’ai pas de rancune, v’là un petit cadeau pour continuer d’entretenir notre bonne vieille amitié.

— Merci…

Il se colle une pipe dans le bec et jette le paquet sur la tablette où se trouvent déjà Les Trois Mousquetaires, reliés toile.

— Dis donc, attaqué-je, c’était pas la peine de me démolir la physionomie pour te faire cloquer au ballon. T’avais qu’à le dire que tu cherchais seulement à te garer des taches ; on t’aurait trouvé un petit coin pépère…

Il laisse tomber sa cigarette de ses lèvres.

— Fous pas le feu à la literie, Carmona, après c’est moi qui aurai droit au lavage de tête !

Ses yeux se sont vidés de leur infinie tristesse et ils reflètent la crainte.

Pire que la crainte : la peur ! Et même plus que la peur : la trouille ! Cette espèce de vilaine trouille décomposée et décomposante qui rend les hommes gâteux avant l’âge.

— Vois-tu, Carmona, ai-je poursuivi, je me doutais bien que ça n’était pas de gaieté de cœur que tu avais agi ainsi.

Je le regarde fixement et j’énonce :

— Biernarski a été mis en l’air… Ils l’ont eu !

Gros bide ! Si je pensais obtenir un effet, j’en suis pour mes frais de poste. Il n’accuse pas réception de l’envoi.

Son calme me fout en renaud.

Je sors de ma poche une photographie du mort.

— Ça te dit quelque chose, cette gueule ?

Il hausse les épaules après avoir jeté un rapide coup d’œil à l’image.

— Absolument rien, dit-il.

Il paraît sincère. Mais faut se défier des apparences.

— Ce gars-là, poursuis-je, a avalé son extrait de naissance dans de drôles de conditions, imagine-toi, et j’ai bien failli être du voyage aussi ; si je n’avais pas les réflexes montés sur caoutchouc, je ne serais pas en train de te parler en ce moment.

Là, il semble captivé.

Je continue sur le mode bon enfant.

— Il était là, dans la rue, devant la maison parapluie à m’attendre. Le voilà qui m’aborde : « Je voudrais vous faire de graves révélations au sujet d’un certain Carmona », qu’il me bonnit, le frangin.

« Carmona ! Les amis de nos amis sont nos amis, pas vrai ? Du moment qu’il venait de ta part, il pouvait se passer de la carte du club.

Je rallume ma roulée. Il est suspendu à mes paroles et il semble comme en transe.

— Juste à cet instant, continué-je en exhalant un soupir chargé en nicotine, ce petit dégourdoche se fait sucrer par un gars à bord d’une traction noire, exactement comme dans les films noirs, tu te rends compte ! Au seuil de notre P.C., c’est pas à mourir… de rire ? Remarque, lui n’est pas mort de rire, ça a été dans un sens plus douloureux…

J’observe mon interlocuteur. Il est attentif mais prudent. Il attend la suite.

— Les gars qui sont après toi étaient après lui. Il est mort sans avoir pu parler… Mais toi, Carmona, tu es en vie, bien en vie, alors tu vas te mettre à table, c’est moi qui rince !

Il secoue la tête.

— Écoutez, monsieur le commissaire, je ne sais vraiment pas de quoi, ni de qui vous parlez. Je ne connais pas cet homme, et ça m’étonnerait qu’il vous ait parlé de moi, vu que lui non plus ne pouvait pas me connaître… Quant à ces hommes qui seraient soi-disant à mes trousses, alors là, c’est du vrai feuilleton, sauf votre respect.

Je le toise un bon moment, une idée me traverse la tête.

— Mon respect ! Dis donc, Carmona, te voilà devenu déférent tout d’un coup…

— Faut pas m’en vouloir pour l’autre dimanche, m’sieur le commissaire, j’avais fait un bon gueuleton, j’étais raisin, alors…

— Bon, puisque tu te repens, mon garçon, on va te remettre en liberté…

Le sourire obséquieux qui mettait un peu de gaieté dans sa face de voyou blême disparaît.

— En liberté ? dit-il…

— Oui, gars… Et très ouvertement. Demain, un papier paraîtra dans les journaux annonçant que le tribunal te condamne à trois mois avec sursis… Tu verras, t’auras du monde à la sortie pour t’attendre, tu ne seras pas seul dans la vie…

Un peu pâlichon, le casseur de blindage ! Il se sent mou des genoux… J’ai trouvé son talon d’Achille !

— Tu es bien certain de n’avoir rien à me dire ?

— Rien ! grince-t-il.

— Tu sais, même si t’as des choses pénibles sur la patate, tu peux me les confier… Il y a des moments où les oreilles d’un condé ne sont qu’un couloir. Ça ressort par l’autre bout sans laisser de traces, tu me comprends ?

— Je ne sais rien…

— O.K… Alors, que la Justice du Roy suive son cours, fils, tant pis pour les cachottiers.

Je me barre sans ajouter une parole, car il est des plats qu’il vaut mieux laisser mijoter.

Une fois dehors j’entre dans un troquet afin de téléphoner à un de mes potes de France-Soir.

* * *

Le lendemain, sur le coup d’onze heures, je rends une seconde visite à Carmona. Il me paraît amaigri, malgré sa pommette enflée. Il n’a pas dû faire un bon dodo, car des cernes qui ne doivent rien aux phalanges des poulets soulignent son regard fiévreux.

Je dépose sur ses genoux la première édition de France-Soir. En quatrième page, il y a un petit entrefilet.

Cinq petites lignes faussement innocentes, qui apprennent aux neuf cent mille lecteurs du canard que le nommé Carmona qui avait giflé un commissaire de police, en état d’ivresse, ne s’est vu condamner, grâce à l’éloquence de son avocat, qu’à trois mois de durs avec sursis…