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« Quarante ? Et tu les trouves où, hein ? » Coup d’épaule.

« Partout. Aux Philippines, en Thaïlande, en Russie, partout où en trouve pour pas cher, vous voyez ? » Une autre gifle du revers de la main. Râmânandâchârya a un mouvement de recul. Ils passent devant le robot sentinelle, accroupi sur ses cuisses en acier.

« Y a de gentilles Bhâratîes dans le lot ?

— Quelques-unes du village… ah ! » Shiv frappe plus fort, à présent. Râmânandâchârya se frotte l’oreille. Shiv prend entre les doigts un repli de belle soie aux fils d’or, en éprouve le tissage subtil, la douceur qui rappelle la peau, la légèreté.

« Elles aiment ça, hein ? Toutes ces conneries mogholes ? » Il pousse Râmânandâchârya des deux mains. Le datarâja trébuche sur une marche. Yogendra écarte son couteau d’un geste sec. « T’aurais pas pu être hindou, hein ? »

Râmânandâchârya hausse les épaules.

« C’est un fort moghol », avance-t-il d’une petite voix. Shiv le frappe à nouveau.

« Rien à foutre ! » Il se glisse tout près de son oreille. « Alors, combien de fois, tu… hein ? Par nuit ?

— À l’heure du déjeuner aussi…» La phrase devient cri aigu au moment où Shiv le frappe d’un coup puissant sur la tempe.

« Putain de chûtiyâ de merde ! » Il sait maintenant ce qu’est l’odeur. Cette mystérieuse odeur douce, aigre et musquée qui monte des vêtements et des bijoux de Râmânandâchârya : c’est celle du sexe.

« Hé ! » fait Yogendra. Le fourmillement des robots a quitté son orbite autour du temple lodhî pour s’écouler dans la cour en direction du trio telle une flèche sombre et huileuse. Les pattes en plastique cliquettent sur les pavés. Leurs carapaces mouillées jettent des reflets sombres. Râmânandâchârya lâche une petite exclamation, soupire et tourne l’anneau qu’il porte à l’auriculaire gauche. Le flot s’écarte comme la mer dans cette histoire des chrétiens, le genre que les missionnaires américains fourrent dans la tête de gentilles jeunes filles pour les transformer en choses inépousables incapables de trouver de bons maris.

« Ils vous auraient dévoré les pieds jusqu’à l’os en vingt secondes, annonce Râmânandâchârya.

— Ta gueule, le gros. » Shiv le gifle à nouveau, parce qu’il a eu peur des robots-scarabées. Râmânandâchârya fait un pas, un autre. Le cercle de robots avance avec lui. Yogendra effleure l’entrejambe du datarâja de la pointe de son couteau.

La colonnade du temple est la même lamentable et dégoulinante coquille de plâtre recouverte de graffitis et de barbouillages à motifs religieux populaires que Shiv a observée du créneau, mais la signature Kirlian de Râmânandâchârya active les rangées de lampes à large faisceau bleu, et Shiv s’aperçoit qu’il retient son souffle. Le suddhâvâsa à l’intérieur est un cube de plastique translucide, aux arêtes luisantes dans la vive lumière bleue. Les robots-scarabées reprennent leurs évolutions orbitales. Râmânandâchârya lève les mains vers le yoni en plastique translucide du sas. Un pavé numérique apparaît sur la surface fluctuante. Le datarâja va pour entrer un code, le couteau luit et il pousse un cri en s’agrippant la main. Du sang coule d’une très fine incision sur son index droit.

« Toi, tu le fais. » Yogendra fait signe à Shiv avec sa lame.

« Quoi ?

— Il pourrait avoir des trucs, des pièges, des choses qu’on ne sait pas. Il pense que de toute manière, il est mort dès qu’on aura ce qu’on veut. Sers-toi du code. »

Les yeux de Râmânandâchârya s’écarquillent en voyant Shiv sortir le palmeur et commencer à entrer le mot de passe.

« Où avez-vous eu ça ? Dane ? Où est Dane ?

— À l’hôpital, répond Shiv. Il a donné sa langue au chat. » Yogendra ricane. Le pavé se fond à nouveau dans la surface du plastique intelligent (que Shiv trouve plus cool qu’il ne l’admettra jamais devant un chûtiyâ comme Râmânandâchârya) et la porte s’ouvre avec un déclic très peu spectaculaire.

Le système de décryptage est un garbhagriha lumineux en plastique assez petit pour que Shiv sente la claustrophobie le démanger.

« Où est l’ordinateur ? demande Shiv.

— C’est l’ensemble », répond le datarâja qui, d’un geste, rend les parois translucides. Elles révèlent leur tissage de circuits protéiniques aussi dense que la soie de Vârânacî, ou que des fibres nerveuses. Des fluides bouillonnent autour des neurones artificiels. Shiv s’aperçoit qu’il frissonne dans sa tenue de combat trempée.

« Pourquoi est-ce qu’il fait si froid dans ce putain de truc ?

— Mon unité de traitement central quantique doit rester en permanence à basse température.

— Ta quoi ? »

Râmânandâchârya passe les mains au-dessus de la seule irrégularité dans la paroi de plastique : une culasse en titane rainurée.

« Il rêve en code », dit-il. Shiv se penche pour déchiffrer l’inscription sur le disque métallique. Sir William Gates.

« Qu’est-ce que c’est ?

— Une âme immortelle. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Des souvenirs téléchargés, un bodhisoft. La manière dont les Américains s’imaginent l’emporter sur la mort. L’un des plus grands esprits de sa génération… tout ça, c’est à cause de lui. Maintenant, il travaille pour moi.

— Trouve-moi juste ce fichier et mets-le là-dessus. » Shiv frappe Râmânandâchârya sur la tempe avec le palmeur.

« Oh, pas le cryptage du Tabernacle, la CIA va me tuer, je suis un homme mort », supplie Râmânandâchârya, avant de fermer son clapet stupide et de faire apparaître sur le plastique un autre pavé numérique pour entrer une courte séquence. Shiv pense à l’âme gelée. Il a lu des articles sur ces trucs, qui tournent en rond dans des bracelets de céramique supraconductrice. Tout ce qui fait une vie : son sexe, ses livres, sa musique et ses magazines, ses amis, dîners et tasses de café, ses maîtresses et ennemis, les instants où on lève les poings en criant jaï ! et ceux où on veut tout détruire, le tout réduit à quelque chose qu’on donne à une femme dans un bar pour qu’elle se le mette au poignet.

« Juste un truc, dit Râmânandâchârya en rendant le palmeur chargé à Shiv, vous le voulez pour quoi faire ?

— N.K. Jîvanjî veut parler aux types de l’espace », répond Shiv. Il glisse le palmeur dans une des nombreuses poches de son pantalon. « Tirons-nous. » Le truc avec l’anneau ouvre à nouveau la mer de robots-scarabées ; Shiv lit sur le visage de Râmânandâchârya qu’il croit qu’ils vont le libérer, puis voit l’expression de ce visage changer quand Yogendra pousse le datarâja en avant avec son pistolet-mitrailleur. Un gros homme qui se mouille de peur n’a rien d’un spectacle agréable ou édifiant. Shiv frappe à nouveau le captif.

« Voudriez-vous arrêter ça, c’est très ennuyeux », s’emporte Râmânandâchârya.

Yogendra le force à les raccompagner, par l’entrée des touristes, jusqu’à l’ancien camp militaire indien. Ils se glissent par la brèche pratiquée dans le revêtement. Shiv enfourche sa moto, lance le moteur. Vaillants petits moteurs japonais. Il cherche Yogendra du regard, le découvre penché sur Râmânandâchârya à genoux, le canon du Stechkin dans la bouche du datarâja. Il le lèche. Il promène sa langue sur le pourtour du canon, le léchant le lapant l’aimant. Yogendra sourit.

« Laisse-le ! »

Yogendra fronce les sourcils, sincèrement, profondément contrarié.

« Pourquoi ? On en a terminé avec lui.

— Laisse-le. Il faut qu’on se tire.

— Il peut nous faire poursuivre.

— Laisse-le ! »

Yogendra ne bouge pas.