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Elle serre les poings, secoue la tête, soupire de frustration quand le volume sonore dans l’amphithéâtre atteint celui d’un faible rugissement. Vishram s’empare du micro.

« Mesdames et messieurs, pourriez-vous avoir l’amabilité de m’accorder votre attention ? Je sais que la journée a été longue pour beaucoup d’entre vous, et rien moins que fertile en événements, mais si vous voulez bien m’accompagner dans le labo où s’est produite cette découverte capitale…»

Les employés guident les invités au laboratoire point zéro.

« Aucun plan ne survit jamais au contact avec l’ennemi », chuchote-t-il à Sonia Yâdav. Une hovercam passe à toute vitesse près de sa tête, aussi énervante qu’un insecte, pour relayer les événements aux actionnaires en téléprésence. Il imagine les fantômes virtuels des agents aeais en surplace au-dessus de la lente file des invités. Surjît, le directeur du centre, s’était fermement opposé à ce que Vishram ouvre le laboratoire de la théorie point zéro, avec ses labyrinthes d’écritures et de hiéroglyphes sur les murs. Il craignait que cela donne un air amateur au projet : voyez comme on fait les choses chez Ray Power ! Avec des crayons de couleur et des bombes aérosol, sur les murs, comme des badmashs avec leurs graffitis. Vishram y tenait justement pour cette raison : c’était humain, désordonné, créatif. Il obtient l’effet désiré : les gens se détendent, lèvent des yeux émerveillés vers les hiéroglyphes. Cela sera-t-il un nouveau Lascaux, une chapelle Sixtine ? se demande Vishram. Les symboles qui ont donné naissance à une époque. Il devrait commencer à se renseigner sur la manière dont conserver cette pièce.

Vishram Ray et ses pressentiments d’immortalité. Il remarque avec un bref mais vif plaisir que la date de son dîner avec Sonia Yâdav se détache toujours au marqueur rouge sur le coin du bureau. Dans cet environnement moins solennel, la passion avec laquelle elle parle retient sans difficulté l’attention de son auditoire. Vishram observe ses mouvements de bras délimiter des portions du plafond pour un groupe de costumes gris captivés. Il l’entend leur dire : «… à un niveau fondamental où la théorie des quanta, la théorie Étoile-M et l’informatique interagissent. Nous découvrons que les ordinateurs quantiques dont nous nous servons pour maintenir les champs de confinement – et ce sont les champs de confinement qui affectent les géométries à tension des branes – peuvent en fait manipuler la structure granulaire Wolfram/Friedkin du nouvel univers. À un niveau fondamental, l’univers est informatique. »

Les petites bouches sont grandes ouvertes.

Vishram se glisse près de Marianna Fusco.

« Quand ce sera terminé…», dit-il en s’approchant d’elle autant qu’on peut s’approcher d’un conseiller juridique sans violer les convenances professionnelles. « Si. On partait. Quelque part. Un endroit avec soleil mer sable, et des bars vraiment bien, et personne pour nous empêcher de nous balader partout pendant un mois avec rien que de la crème solaire sur la peau ? »

Elle glisse la tête aussi près de la sienne qu’elle l’ose pour répondre sans se départir d’un sourire figé pour la galerie : « Impossible. Je dois partir.

— Oh », fait Vishram. Puis : « Chiottes.

— Une histoire de famille, explique Marianna Fusco. Une grande commémoration dans ma constellation familiale. Avec du monde qui vient de partout. Des parents que je n’avais pas la dernière fois qu’on a fait ça. Mais je reviendrai, l’humoriste. Dis-moi juste où me pointer, sans bagages. »

Puis les lumières vacillent et la pièce frissonne. Les vitres vibrent aux fenêtres et à la porte. Un murmure de consternation naît. Le directeur Surjît lève les mains en un geste lénifiant.

« Mesdames et messieurs, mesdames et messieurs, allons, il n’y a aucune inquiétude à avoir. Ce que nous venons de sentir est un effet secondaire tout à fait normal de l’accélération du collisionneur. Nous avons fermé une ouverture et nous nous sommes servis de l’énergie pour forcer la brane dans un autre. Mesdames et messieurs, nous venons d’accéder à un nouvel univers ! »

Il y a des applaudissements polis et perplexes. Vishram saisit l’occasion pour leur en mettre plein la vue.

« Ce qui signifie, mes amis, douze pour cent de retour sur notre investissement en énergie. Nous consacrons cent pour cent au maintien de l’ouverture, et on en récupère autant, plus encore douze pour cent supplémentaires ! Tel est le chemin de l’avenir point zéro ! »

Inder lance d’enthousiastes applaudissements collectifs.

« Tu aurais dû être avocat, persifle Marianna Fusco. Tu as le talent de débiter un tas de conneries sur des sujets dont tu ne connais rien.

— Je ne t’ai pas dit que c’est ce que mon père voulait me faire devenir ? » répond Vishram en se plaçant de manière à voir dans le décolleté de Marianna Fusco. Il s’imagine passant lentement, voluptueusement de la crème sur ses mamelons qui se logent si bien au creux de la paume.

« Je me souviens t’avoir entendu dire que le droit et le one-man-show étaient deux métiers où on gagnait sa vie dans l’arène, indique-t-elle.

— J’ai dit ça ? Je devais chercher à te sauter. »

Il se souvient de cette conversation. Elle semble dater d’une autre époque géologique, d’une autre incarnation. La pièce tremble à nouveau, plus fort, plus longtemps. Des stylos tombent du bureau, des rides concentriques se heurtent dans le distributeur d’eau.

« Un autre univers, une autre hausse du cours de l’action », lance Vishram, mais Sonia Yâdav semble inquiète. Vishram croise son regard. Elle abandonne la visite. Ils traversent le groupe d’actionnaires jusqu’à l’amphithéâtre vide.

« Un problème ? » chuchote-t-il. Sonia désigne les écrans. Rendement : cent trente-cinq pour cent.

« On ne devrait pas approcher de ce chiffre, même de loin.

— Ça marche mieux que prévu.

— Monsieur Ray, c’est de la physique. Nous connaissons exactement les caractéristiques des univers que nous créons, pas de surprises, de conjectures, de “mieux que prévu, bien joué petit”. »

Vishram envoie un message au directeur Surjît. Lorsque celui-ci arrive, il ferme la porte pour se protéger des hovercams et des oreilles indiscrètes.

« Sonia m’informe que nous avons un problème avec le point zéro. »

Surjît se suce les dents de cette manière qui irrite les mamelons de Vishram, surtout quand cela révèle qu’il a pris du sâg au déjeuner.

« Les mesures donnent des chiffres anormaux.

— Ce qui m’en dit autant que “Vishram, on a un problème”.

— Très bien, monsieur Ray. C’est un univers, mais pas celui qu’on a commandé. »

Vishram sent ses couilles se contracter. Sur le palmeur ouvert de Surjît pivotent des rendus mathématiques et des graphiques en fil de fer. Sonia lit elle aussi les chiffres.

« Huit trois zéro.

— Ce devrait être…

— Deux deux quatre.

— Hop hop hop, attendez, assez avec ces résultats du loto. »

Sonia Yâdav pèse ses mots : « Tous les univers ont ce que nous appelons des nombres de tension, plus ce nombre est élevé, plus il nous faut d’énergie pour y accéder et plus nous pouvons en récupérer d’énergie.