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— Une aeai », dit Vishram, et Sonia Yâdav comprend qu’il ne lui pose pas une question. Le refuge, la clause échappatoire, la sortie pour les Générations Trois confrontées à l’anéantissement ultime. « Dites-moi, des Intelligences Artificielles pourraient-elles se servir du point zéro pour construire leur propre univers ?

— Cet univers ne pourrait pas ressembler au nôtre, il faudrait que les calculs informatiques et les chiffres qui composent leur réalité puissent y devenir partie intégrante de la structure de la réalité physique.

— Un univers qui pense ?

— Un espace homomental, comme nous disons, mais c’est ça. » Elle le regarde bien en face, affrontant son mépris. « Un univers de dieux véritables. »

Des sirènes au loin, qui approchent à toute vitesse. Une brèche s’ouvre dans l’univers, appelez les pompiers. Un autre bruit se superpose au camion de pompiers, celui de réacteurs d’avion.

« Pris pour un putain d’imbécile », grimace Vishram et à ce moment-là, tout devient blanc en un éclair pur, parfait et aveuglant d’ur-lumière, et quand il recouvre la vision, il y a une étoile, pure, parfaite et éblouissante qui scintille au milieu du bâtiment du centre de recherches.

Un blanc si brillant, si éclatant qu’il traverse le miroir sans tain de la visière de la pilote, et avant d’être aveuglé, M. Nanda reçoit, brûlée sur sa rétine, l’image de grands yeux bruns, de pommettes hautes, d’un petit nez. Magnifique. Une déesse. Tant d’hommes doivent vouloir vous épouser, ma guerrière, pense M. Nanda. Le visage s’estompe en une image rémanente, puis le monde réapparaît en taches ou points violets, et M. Nanda sent des larmes de justification lui venir aux yeux, car il y a le signe et le sceau prouvant qu’il avait raison. Une étoile brûle au cœur de la ville, du plus profond de la terre. D’un signe, il demande à la pilote de se poser.

« À l’écart des gens, précise-t-il. Nous ne voulons pas mettre inconsidérément des vies en danger. »

Vishram pense avoir déjà vu cette scène dans un film. Sinon, il devrait l’écrire : une foule de gens debout dans un grand champ vert et regardant tous dans la même direction, les mains levées pour protéger leurs yeux d’une éblouissante lueur actinique au loin. C’est une image autour de laquelle construire une histoire. Même avec les yeux plissés, presque fermés, tout se réduit à des silhouettes étrangement étirées.

« Si c’est bien ce que je pense, il en sort beaucoup plus que de la lumière brillante, dit la voix de Râmesh près de lui.

— Et que penses-tu que c’est ? » demande Vishram en se souvenant du coup de soleil quand il avait regardé par la fenêtre d’observation. Ce n’était alors qu’un univers de bas niveau. Un coup d’œil au palmeur de Sonia Yâdav, où continuent à arriver des données en provenance des systèmes de surveillance qui entourent l’ouverture, lui apprend qu’il s’agit de l’univers 212 255. Deux lâkhs et quelques univers.

« Un univers en train de naître, répond Râmesh d’un ton songeur. Si nous sommes encore là, s’il reste encore quoi que ce soit, c’est parce que les champs de confinement continuent à fonctionner. En termes de physique subjective de notre univers, ça doit ressembler à une super-gravité compressant son espace-temps pour empêcher son expansion. Mais ce genre d’énergie d’expansion doit bien aller quelque part.

— Combien de temps les cœurs peuvent-ils le retenir ? » demande Vishram à Sonia Yâdav. Il imagine qu’il devrait crier. Dans les films, ils crient tout le temps. Elle hausse les épaules, ce qui apprend à Vishram tout ce qu’il a besoin de savoir et de redouter. Une nouvelle secousse. Les gens tombent à terre, même si cette terre les trahit. Vishram les voit à peine. L’étoile, l’étoile aveuglante… est devenue une sphère minuscule. Il entend alors une voix, celle de Sonia Yâdav.

« Debâ ! Quelqu’un a vu Debâ ? »

Tandis que le cri se répand dans le champ, Vishram Ray se met à courir. Il sait qu’ils ne trouveront pas Debâ parmi eux. Il est en bas, dans son trou, dans son trou noir sous terre, au bord du néant. Une voix appelle Vishram par son nom, une voix qu’il ne reconnaît pas. Il se retourne, s’aperçoit que Marianna Fusco s’est lancée à sa poursuite. Elle s’est débarrassée de ses chaussures et court maladroitement dans sa jupe de tailleur. Il ne l’avait encore jamais entendue crier son nom.

« Vish ! Reviens, tu ne peux rien faire ! »

La bulle continue à grossir. Elle mesure désormais trente mètres et sort du centre de l’unité de recherches comme un dôme moghol. Comme le dôme du Tâj, elle est vide, plus vide que la tombe d’un empereur accablé de chagrin. Elle n’est rien. Elle est anéantissement si absolu que l’esprit ne peut le contenir. Et Vishram plonge vers elle.

« Debâ ! »

Une silhouette émerge de la lumière éblouissante, agitant maladroitement bras et jambes.

« Par ici ! crie Vishram. Venez ! »

Il prend Debâ dans ses bras. Le visage du jeune homme est gravement brûlé, sa peau sent l’ultraviolet. Il ne cesse de se frotter les yeux.

« Ça fait mal ! gémit-il. Ça fait mal, bordel, ça fait mal ! »

Vishram le fait se retourner et la bulle grossit à nouveau, d’un bond titanesque, prodigieux. Vishram se retrouve face à une paroi de lumière, intense, aveuglante, mais dans cette lumière, il croit distinguer des formes, des motifs, des scintillements de brillant et de moins brillant, de lumière et d’ombre. De blanc et de noir. Il observe, fasciné. Jusqu’à l’apparition d’une sensation de brûlure sur sa peau.

Marianna Fusco prend Debâ par l’autre épaule et aide Vishram à l’emmener en sécurité. Les actionnaires de Ray Power ont reculé dans la zone la plus éloignée du symétrique charbâgh. Vishram trouve étrange, et en même temps humain, que personne ne soit parti.

« État des lieux ? » demande-t-il à Sonia Yâdav. Les sirènes vont arriver d’un instant à l’autre, il espère que ce sont des ambulances. Et cet avion est vraiment tout près.

« Nos ordinateurs téléchargent à une vitesse incroyable, dit-elle.

— Où ?

— Dans ça.

— On peut faire quelque chose ?

— Non, répond-elle simplement. Ce n’est plus entre nos mains. »

Tu as ce que tu veux, supplie-t-il en s’adressant à la sphère de lumière. Tu n’as pas besoin de faire quoi que ce soit d’autre. Ferme juste la porte et va-t’en. Et au moment où il formule cette pensée se produit un second éclair de lumière accompagné d’un énorme coup de tonnerre d’air, de lumière, d’énergie et d’espace-temps se précipitant dans un vide absolu, et quand la vue lui revient, Vishram voit deux choses.

D’abord, un large cratère parfaitement hémisphérique et parfaitement lisse à l’emplacement du centre de recherches de Ray Power.

Mais aussi une ligne de soldats en tenue de combat complète qui traversent, au présentez armes, la belle pelouse arrosée derrière un homme grand et mince qui porte un bon costume, arbore un vilain début de barbe et tient un pistolet à la main.

« Votre attention s’il vous plaît ! crie celui-ci. Personne n’est autorisé à partir. Vous êtes tous en état d’arrestation. »

Lisa Durnau trouve Thomas Lull agenouillé sur l’herbe, les mains toujours entravées par une attache en plastique noir. Il est au-delà des larmes, au-delà de la douleur. Il ne reste qu’un calme terrible. Elle s’assoit tant bien que mal près de lui sur l’herbe, tire avec ses dents sur ses propres liens en plastique.