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« Par-dessous ! » Thomas Lull se penche pour se glisser sous le wagon. « Attention à ça. » Aux mortels câbles à haute tension et tambours de fluide hydraulique sous pression. Thomas Lull rampe, se retrouve face à un mur de phares d’automobiles. « Chiottes ! » Les véhicules sont garés en une longue rangée à cent mètres du train. Des camions, des bus, des pick-up, des berlines familiales, des phut-phuts. « Ils nous encerclent. Il va falloir tenter notre chance. »

Aj lève la tête vers le ciel.

« Ils sont là. »

Thomas Lull se retourne, voit les hélicoptères, rapides, durs, passer en rugissant au-dessus du train à une altitude assez basse pour attiser les flammes en une tornade de feu. Ce sont des insectes aveugles, avec des robots de combat accrochés comme des œufs à leur thorax de libellule. Ils portent l’emblème de l’Awadh, un symbole du yin et du yang aux couleurs vert et orange. Des lasers pulsés anti-insurrectionnels pivotent dans leurs logements, à la recherche de cibles. Loin sous Delhi, allongés sur des couchettes gélifiées, des pilotes d’hélicoptères observent de leurs yeux pinéaux, déplacent leurs mains d’un centimètre ici, d’un frémissement là pour commander les systèmes de contrôle. Les trois hélicoptères tournent au-dessus des automobiles garées, s’inclinent l’un vers l’autre en une gavotte robotique, puis fondent larguer leurs charges. Des coups de feu éclatent derrière la rangée de phares, des balles claquent et vrombissent sur les carapaces en tissage de diamant. À dix mètres de haut, ils lâchent leurs robots antiémeute, puis reprennent de l’altitude, pivotent et déclenchent leurs lasers. Les robots chargent dès qu’ils ont touché terre. Cris. Coups de feu. Des hommes sortent en courant d’entre les voitures et se retrouvent à découvert. Les hélicoptères braquent et déclenchent leurs armes sur eux. Douces explosions, éclairs ternes, corps qui s’affaissent, qui rampent. Les lasers pulsés vaporisent la première chose qu’ils touchent en plasma et l’injectent dans une onde de choc de plus en plus large, qu’il s’agisse d’un vêtement ou de la peau nue et maculée de cendres d’un nâgâ. Les kârsevaks se mettent à tituber, poitrine mise à nu par les lasers. Les robots anti-insurrectionnels franchissent la rangée d’automobiles en un bond assez semblable à ceux des bandes dessinées japonaises, puis déploient leurs perches à décharges antiémeute.

« À terre ! » crie Thomas Lull en enfonçant le visage d’Aj dans le sol. Les hommes fuient, mais les robots bondisseurs sont plus rapides, plus efficaces, plus précis. Un corps s’écrase près de Thomas Lull, le visage brûlé au deuxième degré. Des sabots d’acier passent en un éclair, Lull se couvre la tête des bras, puis roule sur lui-même pour voir les machines franchir le train. Il attend. Les hélicoptères sont toujours là-haut. Il fait le mort jusqu’à ce qu’ils passent au-dessus de lui, frêles diptères conçus dès le départ pour ne pas accueillir d’humain à bord. « Debout ! Va, cours ! » Un vague chatouillement sur sa nuque lui fait lever les yeux. Un hélicoptère braque une grappe de senseurs sur lui. Un laser rotatif pivote. Puis des volutes de fumée montent entre l’homme et l’appareil, l’aeai perd sa trace et l’hélicoptère plonge derrière le train, ses tourelles crachant le feu du laser. « Va derrière les voitures t’accroupir contre une roue, crie Thomas Lull dans le tumulte, c’est l’endroit le plus sûr. » Tous deux se figent alors, car l’air entre les voitures semble frissonner et le flot de lumière déversé par l’ensemble des phares se brise en échardes mouvantes. Des hommes en tenue de combat deviennent visibles. Thomas Lull sort son passeport de sa poche, le brandit au-dessus de sa tête comme un prêcheur de jadis son Évangile.

« Citoyen américain ! » crie-t-il aux soldats qui passent furtivement près de lui, leur tenue désormais camouflée dans le réfléchissant et l’infrarouge. « Citoyen américain ! » Un subedâr à la moustache délicieusement soignée s’arrête le temps d’inspecter ses papiers. Son badge d’unité arbore la roue éternelle du Bhârat. Il tient avec désinvolture un fusil d’assaut multitâche.

« On a des unités mobiles à l’arrière, dit-il. Allez-y. On s’occupera de vous. » Il n’a pas fini de parler que les hélicoptères réapparaissent au-dessus du train, désormais à moitié en feu. « Partez, monsieur. » Le subedâr se met à courir, l’hélicoptère de tête braque sa tourelle ventrale sur lui et ouvre le feu. Thomas Lull voit l’uniforme de l’officier luire en absorbant la décharge laser, puis le militaire bhâratî braque son arme et tire un missile antiaérien. L’hélicoptère remonte et vire dans une gerbe de paillettes, tandis que le petit missile qui le poursuit trace un zigzag flamboyant dans la nuit. Une pluie de fines lamelles métalliques de la couleur du shatabdi en feu tombe autour de Thomas Lull et d’Aj. Reconnaissant une plus grande menace, un groupe de robots antiémeute a pris position sur le toit du train et tente de tenir les troupes bhâratîes à distance à l’aide de lasers incapacitants et de paillettes antiémeute. La lueur des flammes se reflète sur les joints et les tendons chromés. Les humains les attaquent un à un avec des tirs électromagnétiques. Chaque robot qui tombe du train libère une couvée de sous-drones gros comme le poing, qui rebondissent, se déploient en scarabées armés de câbles rotatifs genre coupe-bordure et se précipitent sur les militaires. Thomas Lull voit un soldat tomber et détourne Aj avant qu’il se fasse écorcher par le câble. Il voit le subedâr agiter le pied pour détacher un scarabée de son brodequin et le réduire en pièces d’un coup de crosse. Mais les machines sont trop nombreuses. C’est la tactique. Le subedâr rappelle ses soldats. Ils se replient en courant, poursuivis par les scarabées. Thomas Lull s’agrippe toujours à son passeport, comme un crucifix brandi au visage d’un vampire.

« Je ne pense pas que ça suffira », dit le subedâr tout en tirant Thomas Lull par le bras. Derrière la rangée de véhicules, des hommes munis de lance-flammes, jusqu’ici furtifs, deviennent visibles. Et Thomas Lull se rend compte qu’Aj lui a échappé. Il crie son nom. Il ne sait pas combien de fois, ce soir-là, il l’a appelée d’un ton aussi perdu, aussi désemparé par la peur. Thomas Lull s’arrache à l’officier bhâratî.

Aj se tient debout devant la rangée de robots de combat qui bondissent et avancent à toute allure. Elle pose un genou à terre. Ils sont à quelques mètres, à quelques instants, on entend le son aigu de leurs fils à écorcher. Elle lève la main gauche, paume en avant. L’assaut des robots s’interrompt. Un par un, puis par deux, dix, vingt, ils cessent de faire tourner leurs armes et se recroquevillent dans leur sphère de transport. Puis un javân bhâratî se précipite pour emmener Aj et les lance-flammes se déchaînent, feu sur feu. Thomas Lull rejoint Aj. Elle tremble, larmoie, tachée de fumée, la sangle de son petit bagage encore tordue dans la main.

« Quelqu’un a une couverture ou quelque chose comme ça ? » demande-t-il alors que le soldat leur fait traverser la rangée d’automobiles. Une couverture de survie se déploie de quelque part, Thomas Lull la drape sur les épaules d’Aj. Le soldat recule, il a vu les hélicoptères de frappe aeais et combattu les robots, mais cela l’effraie. Tu fais bien, pense Thomas Lull en guidant Aj vers le camp de transporteurs de troupes. On ferait tous bien.

19

M. Nanda

Chacun des cinq cadavres a les poings levés. M. Nanda a vu assez de victimes d’incendie pour savoir qu’il y a à cela une explication liée à la biologie et la température, mais une sensibilité plus ancienne, pré-siècle des Lumières les voit combattre des tourbillons de djinns de feu. La fin a dû être diabolique. L’appartement est toujours noir de suie, avec, flottant ou dérivant dans l’air, des cendres de polycarbone et de la vapeur de boîtiers informatiques. Quand elles retombent sur la peau de M. Nanda, elles la maculent d’un khôl très soyeux et très foncé. Il faut une température supérieure à mille degrés pour réduire du plastique en suie de carbone pur.