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« Je vais maintenant vous faire part de notre théorie sur la manière dont ils sont morts à Badrinâth, dit M. Nanda. Nous croyons à une attaque délibérée par un drone armé d’un laser. » Il relève le store suivant, laissant entrer le soleil aveuglant, le ciel perfide.

« Espèce de salaud ! » crie J.P. Anreddy en sautant sur ses pieds. M. Nanda s’approche de la troisième fenêtre.

« Cette théorie nous paraît convaincante. Une simple décharge à haute énergie. » Il traverse la pièce pour gagner les meneaux de l’autre mur.

« Par la fenêtre du salon. Une attaque de précision. Les aeais ont dû cibler, identifier et tirer en quelques millisecondes. Il y a une telle circulation aérienne depuis l’incident du train que personne ne repérera jamais un drone qui s’écarte de sa routine de patrouille. »

Anreddy, les mains à plat sur le plastique, scrute le ciel blanc de ses yeux écarquillés, à la recherche de mouchetures de trahison.

« Que savez-vous de Kalkî ? »

M. Nanda replie un autre store. Il n’en reste plus qu’un. Des colonnes de lumière tombent en oblique jusqu’au sol. Anreddy semble souffrir, cybervampire brûlé par le soleil.

« Ils vous tueront, bon sang !

— Nous verrons cela. Kalkî est-elle une aeai de Troisième Génération ? »

Il saisit le petit cordon de coton souple du dernier store et tire, une main après l’autre. Une nappe de lumière s’élargit sur les carreaux. J.P. Anreddy a reculé au milieu de sa cage en plastique, mais il n’a aucun endroit où se dissimuler au ciel.

« Alors ?

— Kalkî est une aeai de Troisième Génération. Elle existe. Elle est réelle. Elle est réelle et elle existe depuis plus longtemps que vous ne le pensez. Elle est quelque part. Vous savez ce que signifie Troisième Génération ? Ça signifie une intelligence, évaluée de la manière standard, entre vingt et trente mille fois supérieure à l’être humain de base. Et ce n’est que le début. Ce sont des propriétés émergentes, vous savez. L’évolution se fait un million de fois plus vite, là-dedans. Et si elles vous cherchent, impossible de s’enfuir, impossible de se cacher, impossible de faire profil bas en espérant qu’elles finiront par vous oublier. Quoi que vous fassiez, elles vous voient. Quelle que soit l’identité que vous adoptiez, elles la connaissent avant vous. Où que vous alliez, elles auront de l’avance sur vous, elles vous attendront, parce qu’elles auront deviné votre destination avant même que vous y ayez pensé vous-même. Ce sont des Troisième Génération… Des dieux ! Vous ne pouvez pas donner d’autorisation officielle à des dieux. »

M. Nanda le laisse finir avant de ramasser les vilaines amulettes de Kalkî, ternies par la chaleur, pour les remettre dans leurs sachets.

« Merci. Je connais maintenant le nom de mon ennemi. Bonne journée. »

Il fait demi-tour, s’éloigne des puits de lumière blanche poussiéreuse. Ses talons résonnent sur le beau marbre islamique. Derrière lui, il entend le léger bruit de poings qui martèlent le plastique flexible transparent ainsi que la voix d’Anreddy, distante et assourdie.

« Hé, les stores, bon sang ! Ne me laissez pas, ne laissez pas les stores comme ça ! Les stores, bordel ! Elles me voient ! Elles me voient, putain ! Les stores ! »

20

Vishram

Il a une table de travail assez grande pour qu’un avion de chasse puisse se poser dessus. Il a un bureau tout de verre et de bois au dernier étage. Il a un ascenseur et des toilettes privés. Il a quinze costumes de la même coupe et du même tissu que celui qu’il portait au moment où il a hérité de son empire, avec des chaussures assorties façonnées à la main. Et il dispose d’une assistante personnelle, Inder, dotée de la déconcertante aptitude de pouvoir se trouver physiquement devant lui tout en se manifestant sur son gestionnaire d’informations et comme un fantôme dans son cortex visuel. Il a entendu parler de ces systèmes moitié humain, moitié aeai de secrétariat particulier. Ce sont les méthodes d’administration modernes.

Vishram Ray a aussi une atroce gueule de bois à cause de la Strega, et un coup de soleil ovale autour des yeux pour avoir regardé trop intensément et trop longtemps un autre univers.

« Qui sont ces gens ? demande-t-il.

— Le groupe Siggurdson-Arthurs-Clementi », répond Inder-sur-la-moquette tandis qu’Inder-dans-le-système ouvre ses mains-lotus pour lui montrer son emploi du temps et qu’Inder-dans-la-tête se dissout en une série de portraits d’hommes blancs bien nourris avec de bons costumes et une dentition encore meilleure. Inder-sur-la-moquette a une voix d’une profondeur surprenante pour quelqu’un d’aussi Audrey Hepburn. « Mme Fusco vous fournira davantage de détails dans la voiture. Et M. Patel, le ministre de l’Énergie, demande à vous voir, tout comme la porte-parole énergie du Shivajî. Tous deux veulent connaître vos plans pour la compagnie.

— Je ne les connais pas moi-même, mais le ministre sera le premier à le découvrir. » Vishram marque un temps d’arrêt sur le seuil. Les trois Inder le regardent d’un air interrogateur. « Inder, serait-il possible de déménager tout ce bureau hors de la tour Ray pour l’installer au Centre de Recherches ?

— Certainement, monsieur Ray. Il ne vous convient pas ?

— Si, c’est un très beau bureau. Très… homme d’affaires. Je m’y sens juste un peu… près de la famille. De mes frères. Et tant qu’on y est, j’aimerais quitter la demeure familiale. Je la trouve un peu… oppressante. Pouvez-vous me trouver un bon hôtel, avec un service en chambre de qualité ?

— Certainement, monsieur Ray. »

Quand il sort, les alter ego d’Inder sont déjà en train de demander des devis à des entreprises de déménagement professionnel et de se renseigner sur le prix des suites de luxe avec terrasse dans les hôtels. En pénétrant dans la Mercedes de Ray Power, Vishram sent l’odeur du Chanel 27 de Marianna Fusco. Il sent aussi qu’elle est en rogne contre lui.

« C’est une physicienne.

— Qui ça ?

— La femme avec qui j’ai dîné hier soir. Une physicienne. Je vous le dis parce que vous semblez un peu… crispée.

— Crispée ?

— Revêche. Brusque. À cran, quoi.

— Oh. Je vois. Et ce serait parce que vous avez dîné avec une physicienne ?

— Une physicienne mariée. Et hindoue.

— J’aimerais savoir pourquoi vous vous sentez obligé de me préciser qu’elle était mariée.

— Mariée et hindoue. Elle s’appelle Sonia. Et je suis son patron.

— Comme si ça changeait quelque chose.

— Bien entendu. Nous sommes des professionnels. Je l’ai emmenée dîner, ensuite elle m’a emmené chez elle pour me montrer son univers. Il est petit, mais parfaitement formé.

— Je me demandais comment vous alliez expliquer vos yeux de panda. C’est un univers de bancs solaires ?

— D’énergie du point zéro, en fait. Et vous avez des chevilles très élégantes. »

Il croit voir un début de sourire.

« Bon, ces gens, comment je fais avec eux ?

— Vous ne faites pas, indique Marianna Fusco. Vous leur serrez la main avec un sourire poli, vous écoutez ce qu’ils ont à dire et vous ne faites absolument rien. Ensuite, vous venez me raconter.

— Vous ne m’accompagnez pas ?

— Vous vous débrouillerez tout seul, cette fois, l’humoriste. Mais préparez-vous à ce que Râmesh reçoive une offre de Govind dans l’après-midi. »

Le temps que Vishram arrive à l’aéroport, son front commence à peler. L’automobile longe les dépose-minute, les zones blanches, celles de prise en charge et celles de stationnement interdit, traverse ensuite la double barrière de sécurité pour gagner l’espace réservé aux jets d’affaires puis le terrain où un avion à réacteurs basculants attend, posé comme une mante sur ses moteurs et sa queue. Une hôtesse assamaise en impeccable costume traditionnel ouvre la porte du jet privé, adresse à Vishram un namasté semblable à une fleur naissante et le conduit à son siège. Il salue d’un geste Marianna Fusco au moment où la Mercedes repart. Vol solo.