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— Le temps du gâchis est terminé, dit doucement Algan. Et je ne crois pas que nous ayons perdu quoi que ce soit de notre valeur. Je pense au contraire que nous l’avons enfin retrouvée après un long détour. Un détour bien plus long encore que mon voyage. Quant au réseau des citadelles, à cette immense toile d’araignée étalée sur l’espace, sa nécessité n’est pas absolue. Son utilité sera grande dans les premiers temps. Puis les hommes apprendront à se mouvoir seuls sur les grandes routes du vide.

— Peu importe, dit Nogaro, quoi qu’il arrive, j’irai avec vous. Je veux voir le centre de la Galaxie. Je veux assister à la transformation de l’espèce humaine.

— Les hommes, des robots, dit Stello. Je ne puis m’accoutumer à cette idée.

— Vous aurez le temps pour vous y faire, dit Algan en souriant. Tout le temps. Lorsque vous vous promènerez entre les étoiles.

Olryge frappa de son énorme poing sur la table de cristal.

— Vous n’êtes qu’un ramassis de traîtres, cria-t-il, et ceux qui vous envoient, Algan, ne sont qu’une bande de lâches. Oh ! je les vois d’ici. Ils vous ont envoyé dans l’espoir que nous nous rendrions sans coup férir, que nous nous remettrions dans leurs mains sur la foi de belles légendes. Je ne crois pas votre histoire.

— Personne ne vous demande de croire quoi que ce soit, coupa Algan.

— Nous ne nous laisserons pas faire ainsi, rugit Olryge. Ainsi le jour que nos ancêtres prévoyaient déjà est arrivé. Il va nous falloir combattre. Pour ma part, je ne m’en plains pas. Ce sera la guerre, Algan, et nous vaincrons. Vous pouvez aller le dire à vos maîtres. Nous ne les craignons pas. Ils ne nous réduiront pas en servitude parce qu’ils habitent le centre d’une Galaxie qui appartient à l’homme.

— Il n’y aura pas de guerre, dit Algan d’une voix sèche.

Il s’avança vers la table et les dévisagea les uns après les autres. Et, brusquement, ils se sentirent flotter en l’air tandis qu’une longue vibration ébranlait les parois de la salle souterraine. Leurs corps ne pesaient presque plus rien. Olryge en eut le souffle coupé. Les mains de Luran se mirent à trembler. Le visage de Nogaro demeura impassible, tandis que les yeux de Stello s’arrondissaient d’étonnement.

— La gravité vient de varier, annonça Algan, sur toute la surface de cette planète. Ils peuvent faire cela. Ils peuvent anéantir une étoile en une seconde. Ils cloueraient vos navires au sol. Il n’y aura pas de guerre. Pensez-vous que les hommes seront décidés à vous suivre, lorsque l’immortalité et l’empire des étoiles leur seront accordés ?

— Mais qui sont-ils, demanda Nogaro. Ressemblent-ils aux hommes ? Quelle est leur forme ? Sont-ils donc éternels ?

— Non, dit Algan, ils ne sont pas éternels, quoique leurs existences couvrent plus de vies humaines qu’il n’y en a eu depuis que l’homme existe. Ils se savent mortels. Et vous les connaissez. C’est vers eux que les hommes, toujours, se sont tournés. Ce sont les étoiles.

Il se tut un instant, réfléchissant à ce qu’il allait dire, scrutant leurs visages et lisant l’effroi, ou le scepticisme, ou un étrange soulagement. Et il sentait les mots qu’il allait prononcer se former dans sa tête. Il les avait portés longtemps en lui, tandis qu’il croisait dans l’espace, tandis qu’il frôlait comètes et nébuleuses, tandis qu’il explorait le jardin de l’homme, l’univers. Il leur dit qui étaient les Maîtres, sans les quitter des yeux. Les étoiles.

Il leur dit ce qu’étaient les étoiles, des points de lumière rassemblés en immenses familles qui strient le ciel comme des gouttes de lait, perdus dans un immense espace noir et froid ; il leur dit qui étaient les Maîtres.

Les étoiles, ou plutôt quelque chose qui habitait les étoiles, qui naissait, vivait et mourait avec les étoiles, qui était apparu quelques milliards d’années plus tôt, dans l’immense explosion des atomes, dans le choc de milliards de particules jetées les unes contre les autres, quelque chose qui s’était amassé, lentement, au centre de la Galaxie, au point de devenir un noyau de conscience, quelque chose qui désirait douloureusement jeter un réseau de lumière et de chaleur sur le vide glacé.

Il leur parla de la solitude des étoiles que les hommes ne pouvaient comprendre ni concevoir, mais seulement essayer d’imaginer, et de leur immense volonté d’établir entre elles d’autres liens que ceux de la lumière. Il leur dit que le grand plan élaboré des millions d’années plus tôt ne faisait que commencer, et que par-delà les étoiles visibles il en existait d’autres, et qu’eux, les hommes, seraient comme l’intelligence, la conscience, le sang des étoiles se déplaçant dans les veines de l’espace, faisant reculer sans cesse le froid des ténèbres et le désordre de l’inorganisé. Il leur dit qu’il existait d’autres Galaxies, et d’autres univers et que les hommes étaient destinés à les explorer jusqu’à ce que les étoiles s’éteignent, et qu’au-delà de cette mort gelée de l’univers ils continueraient peut-être à porter le flambeau d’une existence glorieuse et stellaire.

Il leur décrivit la beauté des mondes tournoyant dans le vide, qu’aucun d’eux n’avait jamais réellement vus, la splendeur des étoiles doubles ou triples, la magnificence des ciels du centre de la Galaxie, où les étoiles se touchaient, coopéraient à leur grande œuvre sans commencement et sans fin.

Il leur expliqua que pour la première fois l’univers était à la taille de l’homme. Qu’il pourrait se jeter à corps perdu dans la mêlée contre la nuit et savoir, tant qu’il verrait luire la lumière d’un soleil, que rien n’était perdu.

Il leur dit que les étoiles elles-mêmes ne savaient pas d’où elles venaient, mais qu’elles se contentaient d’être ce qu’elles étaient et d’accomplir la tâche qui était la leur, et qu’elles pensaient parfois qu’elles étaient pour d’autres êtres plus grands ce que les hommes étaient pour elles, qu’elles représentaient peut-être des points privilégiés de l’univers, et qu’elles tenaient peut-être une place glorieuse ou muette dans une lutte plus vaste qu’elles ne pouvaient comprendre.

Il leur parla des autres hommes qu’ils rencontreraient, des mondes étranges et merveilleux qu’ils relieraient, portant ici et là la flamme de la vie, de la connaissance, et le message des étoiles, étant les yeux et les oreilles, la voix et les mains des soleils. Il n’y avait pas de honte à servir les étoiles, dit-il enfin.

Il attendit et il lut finalement sur leurs visages quelque chose qui ressemblait à de la compréhension.

Il leur parla du monde étonnant des cristaux, des gaz et des vapeurs répandus dans l’espace, des mouvements incessants des atomes se déroulant dans le temps et des infatigables combinaisons de la matière.

Ils n’étaient, dit-il, que des enfants. Il leur fallait réapprendre à regarder le ciel avec des yeux d’enfant. Un ciel dans lequel brillerait une multitude de sphères embrasées et palpitantes. Et, brusquement, ils franchirent les grandes portes, largement ouvertes, de l’espace, et ils pénétrèrent, les yeux encore clos, dans le domaine infini qui s’étend au-delà.