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Progressivement, je parvins à distinguer les contours vagues d’une croix dressée dont je finis par saisir le fût; je me hissai jusqu’en haut à grand effort et me glissai dans l’espace vide.

Désormais debout sur la croix, je tentai de m’orienter. Si le toucher de mes doigts ne me trompait pas, les restes d’un escalier tournant en fer venaient aboutir là. Je dus tâtonner pendant un temps infini avant de trouver la deuxième marche que j’escaladai. Il y en avait huit en tout, séparées par une hauteur d’homme ou presque.

Bizarre: l’escalier allait buter contre une sorte de plancher horizontal laissant passer par des fentes régulières qui se coupaient la lueur aperçue du bas, alors que j’étais encore dans le passage.

Je me baissai tant que je pus pour distinguer d’un peu plus loin le tracé des lignes et je vis alors à mon grand étonnement qu’elles dessinaient exactement l’étoile à six branches que l’on trouve dans les synagogues. Qu’est-ce que cela pouvait bien être?

Soudain la solution de l’énigme m’apparut: c’était une trappe qui laissait filtrer la lumière par ses bords! Une trappe de bois en forme d’hexagone.

Je m’arcboutai, donnai une poussée à la plaque de bois avec les épaules, la soulevai et l’instant d’après je me trouvai dans une pièce éclairée par la lumière dure de la lune. Assez petite, elle était complètement vide, à l’exception d’un tas de friperie dans un coin et sa seule fenêtre était fortement grillagée. Mais j’eus beau scruter minutieusement les murs, je ne découvris aucune porte ni aucune issue quelconque, à l’exception de celle que je venais d’emprunter.

Les barreaux de la fenêtre étaient trop serrés pour que je pusse passer la tête entre eux, mais je fis néanmoins certaines constatations. La pièce se trouvait à peu près à la hauteur d’un troisième étage, car les maisons en face, qui n’en avaient que deux, étaient notablement plus basses. Je voyais l’un des trottoirs de la rue, encore que d’extrême justesse, mais l’éblouissante lumière de la lune qui me frappait en plein visage le plongeait dans une ombre si épaisse que je ne pouvais distinguer le moindre détail.

La rue se trouvait certainement dans le quartier juif, car les fenêtres en face étaient murées, ou leur encadrement simulé dans la construction et c’est seulement dans le ghetto que les maisons se tournent si bizarrement le dos.

Vainement, je me torturais l’esprit pour deviner dans quel édifice étrange je me trouvais. Était-ce un clocheton abandonné de l’église grecque? Appartenait-il à la vieille synagogue? Non, l’aspect du quartier ne concordait pas.

Une fois encore, je regardai autour de moi dans la pièce: rien qui pût me donner la moindre indication. Les murs et le plafond étaient nus, l’enduit et le plâtre tombés depuis longtemps, pas un clou ni un trou de clou indiquant que la pièce eût été habitée autrefois. Une couche de poussière de plusieurs centimètres recouvrait le plancher, comme si aucun être vivant n’y avait posé le pied depuis des dizaines d’années.

Fouiller le tas de débris dans le coin me soulevait le cœur. Il se trouvait dans une ombre épaisse et je ne pouvais distinguer de quoi il était fait. D’après l’apparence extérieure, on eût dit des chiffons roulés en boule. Ou bien s’agissait-il de vieilles valises noires?

Je tâtai du pied et parvins avec le talon à tirer une partie de l’amas vers la traînée de lumière que la lune jetait au travers de la pièce. Une sorte de large bande de tissu sombre se déroula lentement. Un point étincelant comme un œil! Un bouton de métal peut-être?

Peu à peu je démêlai la réalité: une manche d’une coupe étrange et démodée pendant du ballot. Et une petite boîte blanche ou quelque chose d’analogue, qui se trouvait dessous, s’écrasa sous mon pied, puis s’éparpilla en une foule de fragments tachetés.

Je leur donnai un coup léger: une feuille vola dans la clarté!

Une image? Je me penchai: un Fou! Ce que j’avais pris pour une boîte blanche était un jeu de tarots. Je le ramassai.

Un jeu de cartes, ici, dans cet endroit hanté! Quelle cocasserie! Mais, chose étrange, je dus me forcer pour sourire. Une légère angoisse me gagnait.

Je recherchai une explication banale à la présence de ces cartes en pareil lieu, tout en les comptant machinalement. Elles étaient au complet: soixante-dix-huit. Mais ce faisant je remarquai une particularité étrange: on eût dit qu’elles étaient taillées dans la glace. Un froid paralysant émanait d’elles et mes doigts étaient devenus gourds au point que je pus à peine lâcher le paquet que je tenais dans la main. Une fois encore je cherchai avidement quelque raison raisonnable. Mon complet léger, la longue errance sans manteau ni chapeau dans les souterrains, la féroce nuit d’hiver, les murs de pierre, le froid terrible qui entrait par la fenêtre en même temps que la clarté de la lune: il était d’ailleurs bizarre que j’eusse seulement commencé maintenant à me sentir glacé. La surexcitation dans laquelle je m’étais trouvé pendant tout ce temps avait dû m’empêcher de m’en apercevoir.

Les frissons se succédaient sur ma peau. Couche par couche ils s’enfonçaient de plus en plus profondément dans mon corps. Je sentais mon squelette se changer en glace et chacun de ses os me paraissait être une barre de métal sur laquelle la chair était collée par le froid.

Rien n’y faisait. J’avais beau courir en rond, battre la semelle, décrire des moulinets avec les bras comme des ailes de moulin, j’étais obligé de serrer les dents pour ne pas les entendre claquer. Je me dis que c’était la mort qui posait ses mains glacées sur ma tête. Et je me défendis comme un forcené contre l’engourdissement narcotique de la congélation qui m’enveloppait comme d’un manteau suffoquant.

Les lettres dans ma chambre: ses lettres! Ce fut comme un hurlement en moi: si je meurs, on les trouvera. Et elle a mis son espoir en moi! Son salut entre mes mains! Au secours! Au secours! Au secours!

Et je hurlai par la fenêtre dans la rue déserte qui en résonnait:

– Au secours, au secours, au secours!

Je me jetai sur le sol, puis me relevai d’un bond. Il ne fallait pas que je meure, il ne fallait pas! Pour elle, rien que pour elle! Dussé-je faire jaillir des étincelles de mes os pour me réchauffer.

Mes yeux tombèrent alors sur les loques dans le coin, je me précipitai sur elles et les enfilai par-dessus mes vêtements avec des mains tremblantes. C’était une veste déchirée, d’une coupe bizarre, très ancienne, taillée dans un épais drap sombre. Une odeur de moisi s’en dégageait.

Puis je m’accroupis dans l’angle opposé et sentis ma peau se réchauffer lentement, très lentement. Seule l’impression d’avoir en moi une charpente de glace ne se dissipait pas. Sans un mouvement, je restai tapi là, laissant mon regard errer autour de la pièce: la carte qui avait la première attiré mon attention gisait toujours au milieu de la traînée de lumière.

Je ne pouvais en détacher mon regard.

Elle semblait, pour autant que je pusse le reconnaître de loin, maladroitement peinte à l’aquarelle par une main d’enfant et représenter la lettre hébraïque aleph sous la forme d’un homme, habillé à l’ancienne mode, la barbe en pointe grisonnante taillée court et le bras gauche levé, cependant que l’autre pointait vers le bas.