– Ciel! que vous êtes beaux! Mais comme vous êtes sales!
Grand-Mère demande:
– Qu'est-ce que vous voulez?
– Des pommes de terre pour M. le curé. Pourquoi êtes-vous si sales? Vous ne les lavez jamais?
Grand-Mère dit, fâchée:
– Ça ne vous regarde pas. Pourquoi ce n'est pas la vieille qui est venue?
La jeune femme rit de nouveau:
– La vieille? Elle était plus jeune que vous. Seulement, elle est morte hier. C'était ma tante. C'est moi qui la remplace à la cure.
Grand-Mère dit:
– Elle avait cinq ans de plus que moi. Comme ça, elle est morte… Combien vous en voulez, de pommes de terre?
– Dix kilos, ou plus, si vous en avez. Et aussi des pommes. Et aussi… Qu'est-ce que vous avez encore? Le curé est maigre commeun clou et il n'y a rien dans son garde-manger.
Grand-Mère dit:
– C'est à l'automne qu'il aurait fallu y penser.
– Cet automne, je n'étais pas encore chez lui. Je n'y suis que depuis hier soir.
Grand-Mère dit:
– Je vous préviens, à cette époque de l'année, tout ce qui se mange est cher.
La jeune femme rit encore:
– Faites votre prix. On n'a pas le choix. Il n'y a presque plus rien dans les magasins.
– Il n'y aura bientôt plus rien, nulle part.
Grand-Mère ricane et sort. Nous restons seuls avec la servante du curé. Elle nous demande:
– Pourquoi vous ne vous lavez jamais?
– Il n'y a pas de salle de bains, il n'y a pas de savon. Il n'y a aucune possibilité pour se laver.
– Et vos habits! Quelle horreur! Vous n'avez pas d'autres vêtements?.
– Nous en avons dans les valises, sous le banc. Mais ils sont sales et déchirés. Grand-Mère ne les lave jamais.
– Parce que la Sorcière est votre grand-mère? Il y a vraiment des miracles!
Grand-Mère revient avec deux sacs:
– Ce sera dix pièces d'argent ou une pièce d'or. Je n'accepte pas de billets. Ça n'aura bientôt plus de valeur, c'est du papier.
La servante demande:
– Qu'est-ce qu'il y a dans les sacs?
Grand-Mère répond:
– De la nourriture. C'est à prendre ou à laisser.
– Je prends. Je vous apporterai l'argent demain. Les petits peuvent m'aider à porter les sacs?
– Ils peuvent s'ils le veulent. Ils ne veulent pas toujours. Et ils n'obéissent à personne.
La servante nous demande.
– Vous voulez bien, n'est-ce pas? Vous porterez chacun un sac, et moi je porterai vos valises.
Grand-Mère demande:
– Qu'est-ce que c'est que cette histoire de valises?
– Je vais laver leurs habits sales. Je les rapporterai demain avec l'argent.
Grand-Mère ricane:
– Laver leurs habits? Mais si ça vous amuse…
Nous partons avec la servante. Nous marchons derrière elle jusqu'à la cure. Nous voyons ses deux tresses blondes danser sur son châle noir, ses tresses épaisses et longues. Elles lui arrivent à la taille. Ses hanches dansent sous la jupe rouge. On peut voir un bout de ses jambes entre la jupe et les bottes. Les bas sont noirs et, sur celui de droite, une maille a filé.
Le bain
Nous arrivons à la cure avec la servante. Elle nous fait entrer par la porte de derrière. Nous déposons les sacs dans le garde-manger et nous allons à la buanderie. Là, des ficelles sont partout tendues pour le linge. Il y a des récipients de toutes sortes, dont une baignoire en zinc de forme bizarre, comme un fauteuil profond.
La servante ouvre nos valises, met nos vêtements à tremper dans de l'eau froide, puis fait du feu pour chauffer l'eau de deux grands chaudrons. Elle dit: