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« Je ne me sens pas très bien… » dit-il avec un spasme affreux.

Dans le salon, résistaient encore Emilio — quel que fût son état, il s’était promis de ne jamais laisser sa femme seule en compagnie du Grec — et Lena, animée des mêmes intentions.

Ce qui était exaspérant, c’est que ni Socrate ni Olympe ne paraissaient gênés le moins du monde par la tempête qui se déchaînait. Dans le grand salon, tout ce qui n’était pas accroché aux murs ou rivé au plancher commença à valser. Un paravent de Coromandel voltigea, et des vases de glaïeuls dont l’eau se répandit sur la moquette.

« Veux-tu que nous allions dans la cabine ?… demanda Mimi, de plus en plus vert, à la Menelas.

— Mais pourquoi ?… lui répondit-elle d’un air innocent… Ici ou ailleurs…

— Vous ne vous sentez pas bien ?… interrogea le Grec.

— Si… Si… Très bien… rétorqua Mimi en contenant une nausée.

— Moi, je m’en vais !… » dit Lena.

Elle était blanche comme un linge. Pour ne pas dévisager sans cesse la Menelas, elle avait eu le tort de fixer son regard sur la ligne d’horizon qui devenait presque verticale toutes les six secondes. Quelques minutes de ce manège l’avaient détruite. Elle se leva en courant et sortit. Héroïque, Mimi faisait semblant de lire un magazine — Socrate s’aperçut qu’il le tenait à l’envers et ne put s’empêcher de sourire.

« Qu’est-ce qui vous amuse ?… gémit-il.

— Je crois que vous tenez votre magazine à l’envers. »

Il répliqua, non sans esprit :

« Mon magazine est à l’endroit. C’est votre bateau qui est à l’envers. »

Ayant dit, il se précipita vers la sortie, lançant un dernier et rageur :

« Olympe, viens !… Allons dans la cabine ! »

Dans le salon, il ne restait plus que Céyx, imperturbable, à genoux, épongeant l’eau des fleurs sur le tapis, et les vomissures.

« Laisse-nous !… » dit Socrate.

À la Menelas :

« Ça va ?…

— Ça va. Et vous ?

— Je n’ai aucun mérite, je ne crains pas le mal de mer. Je n’aurais jamais soupçonné que vous aviez une telle résistance…

— Aucun mérite non plus. Jusqu’à maintenant, je ne savais pas ce qu’était une tempête.

— Sous les tropiques, j’ai vu pire. »

Tout naturellement, ils avaient abandonné l’anglais pour le grec.

« Vous êtes née à Athènes ?

— Non. À Corfou.

— Vous avez appris le piano à Corfou ?

— Le rudiments, oui. J’avais six ans. Mon père est pêcheur. C’est moi qui allais livrer le poisson dans une villa de Paléokastrista. Le propriétaire était un Américain un peu raté et bourré de charme. Il m’offrait des bonbons. Moi, je préférais l’entendre jouer du Chopin. Je restais des heures à l’écouter. Le pauvre vieux… J’ai été le seul public qu’il ait jamais eu. Il m’a appris à monter des gammes. Il disait que j’étais douée.

— Il était bon prophète.

— Boph !… Vous connaissez le proverbe… Le génie, c’est dix pour cent d’inspiration, quatre-vingt-dix pour cent de transpiration. Pourquoi souriez-vous ?

— Pour rien… Je vous écoutais jongler avec vos pourcentages et ça me faisait penser à… Non, rien, des affaires…

— Vous ne jouez d’aucun instrument ?

— Moi ?… Non ! Je ne suis même pas certain d’entendre juste.

— Vous devez souffrir quand je répète mes exercices !

— Pas du tout !…

— Vos parents n’ont pas cherché à vous apprendre la musique ?… »

Ses parents… Tina, sa mère… Il faillit lui en parler. Après tout, elle ne cherchait pas à se hausser du col en s’inventant une ascendance brillante, le papa général, la maman faiseuse de bouquets…

« Mes parents ont préféré m’enseigner le calcul mental plutôt que le solfège… »

Il mentait, s’en rendait compte, en avait honte mais ne pouvait faire autrement. Une seconde nature. Qu’il était donc difficile de dire la vérité ! Il demanda :

« Vous dites toujours la vérité ?

— Je ne mentirais pas en disant le contraire.

— Attendez, allez plus lentement, c’est trop fort pour moi ! »

Elle eut un geste léger :

« Bien sûr que je mens !… Comme tout le monde. »

Elle était assise sur un divan. Le Grec lui faisait face dans un fauteuil. Entre eux, balayés par le tangage, roulaient et glissaient deux lourds cendriers. Elle reprit :

« Et vous, vous mentez ?

— Sans arrêt.

— Vous voyez bien que vous dites la vérité ! »

Ils éclatèrent de rire. La porte du salon s’ouvrit : Mimi apparut. La peau de son visage avait pris des nuances bleues. Socrate se leva, se cramponnant au dossier de son fauteuil pour se porter au secours du mari. Mimi eut l’énergie de lui faire un signe dont on n’aurait pu dire s’il était reproche, apaisement ou refus. Toujours est-il qu’il disparut.

« Je vais aller l’aider… », dit la Menelas.

Le capitaine Kirillis passa un visage inquiet dans le salon.

« Commandant… Puis-je vous dire un mot ?

— Entrez, Kirillis. Vous pouvez parler devant Madame.

— C’est moche, commandant !… La gîte du bateau est trop forte. On embarque des paquets de mer…

— Qu’allez-vous faire ?

— On nous a demandé par radio de ne pas approcher des côtes… On risque de se faire drosser.. ! J’ai peur que le Pégase ne tienne pas le coup…

— Saloperie de bateau !…

— C’est un bon bateau, commandant. Il n’est pas prévu pour ce genre de grain…

— Kirillis, je vous donnerai bientôt un autre commandement !

— Bien, commandant. Mais, pour l’instant… »

Le Grec était reparti dans ses pourcentages… Avec l’argent qu’il venait de gagner sur le dos de Kallenberg — dix pour cent de soixante millions de dollars, ça fait six millions de dollars — il allait pouvoir se payer un nouveau yacht encore plus superbe que celui de son beau-frère. Il redescendit sur terre, ou, plutôt, sur ce toboggan infernal qu’était devenu le Pégase.

« Commandant… interrogea Kirillis, je voulais savoir si tous les passagers avaient bien regagné leur cabine. Vous-même commandant… et vous madame…

— Ne vous occupez pas de moi !… Si vous y êtes, j’y suis !

— Et si vous y êtes tous les deux, précisa la Menelas, je vois encore moins pourquoi je n’y serais pas non plus !

— C’est que… hasarda Kirillis.

— Allons sur le pont !… dit Socrate.

— Vous n’y pensez pas, commandant !

— Chère amie, je vais voir ce qui se passe… Pouvez-vous m’attendre ici ?… »

Presque à quatre pattes, Kirillis et le Grec progressèrent dans la coursive, giflés par des paquets de mer, s’agrippant à tout ce qui offrait une prise. Dans le poste de commandement, Stavenos était accroché à la barre. Il les entendit entrer mais ne tourna pas la tête.

« Ça va ?… hurla Satrapoulos…

— On fait aller, commandant… grinça le second, les dents serrées.

— Vous allez où ?

— Nulle part, répliqua Kirillis. On tourne.

— Qu’est-ce qu’il faut faire ?

— Attendre que ça se passe.

— Si le bateau tient… ajouta Stavenos.