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« C’est notre dernière journée. Si on allait voir les nudistes au Levant ?

— C’est loin ?… demanda Stany.

— Une heure de bateau… », répondit évasivement S.S.

Visiblement, l’acteur ne tenait pas à affronter à nouveau la mer et ses dangers. Il prit les autres à partie :

« On pourrait peut-être se baigner dans le coin ?

— J’aimerais bien voir les nudistes…

— George ! reprocha Lady Eaglebond.

— Moi aussi !… fit Nancy avec enthousiasme… Il a raison !

— Excuse-moi, coupa Stany d’un air pincé… Je suis encore un peu secoué…

— Attendez !… lança Socrate… J’ai une meilleure idée ! On va aller à Tahiti ! C’est tout près !… Une plage épatante, bourrée de nudistes. On y va ?

— On prend le chris-craft ? s’inquiéta Lady Eaglebond.

— Socrate !… Allons-y en hélicoptère ! dit Lindy Nut.

— Pas possible. Nous sommes trop nombreux. Et le Pégase, il sert à quoi ?… Céyx !… »

Le maître d’hôtel, qui veillait à remplir les coupes de champagne dès qu’elles étaient vides, se figea :

« Oui, monsieur.

— Allez dire au capitaine que nous appareillons. Direction, Tahiti ! »

Céyx roula des yeux ronds. On rit de sa méprise :

« Mais non idiot !… se tordit le Grec… C’est la plage de l’autre côté de la presqu’île !…

— Vous m’avez fait un choc… ironisa Pickman.

— Vous avez déjà vu des nudistes ?… s’inquiéta Lady Eaglebond.

— Oui. Moi. Quand je me regarde dans la glace après mon bain… sourit Nut.

— Il paraît qu’ils ont les fesses toutes rouges ?

— Mais non ! Qui vous a dit ça ?

— Moi, on m’a raconté qu’ils sont tous gros et moches…

— Tant mieux, intervint Eaglebond… Je n’aurai pas de complexe.

— Vous avez l’intention de vous déshabiller ? »

Le Grec se rasséréna. La conversation était devenue générale. Il avait enfin réussi à reprendre ses invités en main, à les distraire de leur morosité. Dix minutes suffirent pour larguer les amarres, mais il fallut une bonne demi-heure pour sortir le yacht du port. Son tonnage lui interdisait les évolutions en surface réduite et chaque arrivée, chaque départ, étaient un calvaire pour Kirillis qui craignait d’éventrer des embarcations de moindre importance. Toutefois, Socrate était content : massées sur le quai, des centaines de personnes avaient admiré le navire et suivi la manœuvre. Un instant, il évoqua le Vagrant de Kallenberg et se rembrunit. Le salaud ne perdrait rien pour attendre !

Le Pégase contourna le phare, piqua vers le large, prit sa vitesse de croisière et longea la baie des Canoubiers. Sur les transats du pont arrière, les demandes et les réponses se chevauchaient…

« Ils ont le droit d’être à poil ?

— Mais non ! Quand ils aperçoivent la police, ils passent un slip.

— Les flics sont nus aussi ?

— Un flic nu, ça n’est plus un flic.

— C’est quoi alors ?

— Ce serait marrant que les flics se déguisent en nudistes !

— Et leur sifflet, ou est-ce qu’ils le mettraient ?

— Je ne vois qu’un seul endroit.

— Dans la bouche ?

— Pas du tout ! »

Nut frotta doucement le coude du Grec…

« Socrate, où est Lena ?

— Oublie-la. Elle boude.

— Qu’est-ce que tu as encore fait ?

— Rien !… Rien du tout ! Elle râle sûrement parce que, la Menelas et moi, on n’a pas dégueulé comme tout le monde.

— Comment la trouves-tu ? »

Socrate hésita une seconde. Amie ou ennemie ? Il opta pour la vérité.

« Je la trouve unique.

— Tu es pincé ?

— Bon !… Je crois qu’on approche… Céyx ! Apporte des longues-vues ! »

Nut répéta :

« Tu es pincé ?

— Je trouve surtout lamentable qu’une femme de cette classe vive avec un con pareil.

— Je les vois !… hurla Nancy… Non !… Ah ! ça… C’est formidable ! »

Elle accaparait la seule paire de jumelles disponible pour l’instant. Elle s’y accrochait, feignant d’ignorer les gestes de Lady Eaglebond qui voulait les lui prendre.

« Mais c’est incroyable !… Ils sont vraiment nus !…

— Fais voir !… insista Stany…

— Attends !… Bon dieu !… Ah ! non… Ce n’est pas possible !… C’est dégoûtant !

— Quoi ?… Qu’est-ce qu’il y a ?…

— Elle est monstrueuse !… Comment peut-on…

— Commandant, voici les longues-vues. »

On se rua sur le maître d’hôtel pour lui arracher les objets des mains.

« Zut !… Je ne peux rien voir… se lamenta Lord Eaglebond.

— Vous les tenez peut-être à l’envers ?… susurra Nut.

— Même pas, hélas !… Je suis myope.

— La blonde, là-bas… elle n’est pas mal… Regardez !

— Où ça, Stany ?… Où ça ?…

— À droite… Au bout…

— Racontez-moi !… feignit de geindre Eaglebond.

— Veux-tu que je te décrive ?… demanda sa femme.

— Non, pas toi… On n’a pas la même vision des choses. »

La Lady n’en perdait pas une miette. Les autres non plus. Pas même les matelots ni les officiers qui se camouflaient pour voir sans être vus des invités.

« Ce n’est pas juste ! dit Socrate, ravi de constater que ses amis s’amusaient comme des petits fous… Il n’y a pas de raison que Harry ne profite pas !

— Laissez !… Laissez !… J’ai l’habitude des brimades !

— C’est à moi que tu fais allusion ? plaisanta son épouse.

— Non, Virginie. À la politique.

— Attendez !… s’exclama le Grec… Harry, j’ai une idée ! On va mettre le chris-craft à la mer et aller les admirer sur place ! »

Chœur des vierges :

« Oh ! oui… Allons-y !

— Céyx !… Dites au lieutenant Stavenos de mettre le canot à la mer. Avec deux marins !…

— Allez-y sans moi… dit le lord en faisant un geste de dénégation souriante… Vraiment, non… En vous attendant, je me contenterai de ça… (Il désignait un Punch de chez Davidoff, son cigare favori, et une bouteille de Dom Pérignon qui rafraîchissait dans la glace.)

— Vous êtes sûr ?… s’inquiéta le Grec.

— Absolument.

— Harry, dès notre retour, je vous ferai mon rapport.

— Je reste avec lui… décida Virginie.

— Tu n’as pas envie de voir de beaux hommes nus ?… Polir changer un peu ?…

— Méchant !… D’ailleurs, ne t’inquiète pas. J’ai les jumelles.

— On embarque !… », cria S.S.

Tous dévalèrent l’échelle de coupée et s’entassèrent dans le hors-bord qui démarra immédiatement en direction de la plage. Quand il en fut à une centaine de mètres, le pilote stoppa les moteurs. L’embarcation se balança doucement. On apercevait nettement les silhouettes des nudistes. C’était bizarre de les voir marcher ou bavarder comme si de rien n’était, le sexe au vent.

« C’est quand même scandaleux ! dit Nancy, rivée au spectacle à s’en faire mal aux yeux.

— C’est vrai. Ils exagèrent… », ajouta son mari dont le puritanisme héréditaire ne l’empêchait pas de fureter du regard dans tous les sens, passant d’un ventre à des seins, d’une paire de fesses à des hanches.